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Les conditions du traité ayant été arrêtées par le synode de Meaux, il ne restait plus qu'à les faire confirmer solennellement par le jeune roi et la régente; la cérémonie devait avoir lieu le jeudi saint, qui tombait le 12 avril. Là seulement, le comte allait être enfin absous et réconcilié à l'Église, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, en présence de la reine, des barons, des légats et des évêques, du parlement et du peuple de Paris.

Ce jour qui célébrait la paix entre le roi de France et un grand vassal du Midi devait être signalé par une pompe digne de l'événement. Cet acte de diplomatie devait en même temps être un grand spectacle, avec tribunes, gradins disposés autour du parvis de la cathédrale toute neuve encore, étincelante d'ors et de couleurs vives, et avec laquelle les vêtements somptueux des barons, des dames, des prélats, les bannières, les dais, les tapis, les armures des gardes royaux, les chevaux magnifiquement harnachés pouvaient rivaliser de splendeur. La reine et son fils, le jeune Louis IX, assis sur leurs trônes, avaient les prélats à leur droite, les barons à leur gauche; devant le roi était dressé un pupitre où était posé l'Évangile sur lequel le comte allait jurer d'observer le traité de paix.

À vrai dire, le comte doit apparaître dans cette cérémonie non comme un prince qui vient signer un traité, mais comme un vaincu mené en triomphe derrière le char du vainqueur. Quatorze ans plus tôt un traitement beaucoup plus indigne était infligé à Ferrand, comte de Flandres, traîné dans Paris sur une charrette, les fers aux mains et aux pieds, sous les quolibets de la foule; et le peuple, toujours heureux de l'humiliation d'un grand seigneur, voyait dans le comte de Toulouse un ennemi juré du roi de France justement puni de sa perfidie. Mais Raymond VII n'avait pas été vaincu dans une bataille ni fait prisonnier, et n'était coupable d'aucun manquement à la foi jurée; il était venu de lui-même pour conclure une paix plus avantageuse pour la France que pour son propre pays. S'il fallait à tout prix le présenter comme un vaincu auquel on ne fait grâce que par pure bonté, c'était (indépendamment du rôle joué dans l'affaire par l'Église) parce que la royauté capétienne était en train de devenir assez forte pour se croire de droit divin.

Devant le roi et la régente, et l'assemblée des prélats et des barons, le tabellion royal lit à haute voix le texte du traité, lequel est rédigé au nom du comte de Toulouse qui est, du reste, le seul à s'engager à quoi que ce soit, le roi et l'Église ne lui promettant absolument rien, sinon la libération du peuple de Toulouse des engagements pris envers le roi et les Montfort, engagements qui, de toute façon, n'avaient plus aucune valeur réelle. Le comte par le présent traité déclare: "Que tout l'univers sache qu'ayant soutenu la guerre pendant longtemps contre la sainte Église romaine et notre très cher seigneur Louis, roi des Français, et que, désirant de tout notre cœur être réconcilié à l'unité de la sainte Église romaine, et de demeurer dans la fidélité et le service du seigneur roi de France, nous avons fait nos efforts soit par nous-même, soit par des personnes interposées, pour parvenir à la paix. Que, moyennant la grâce divine, elle a été conclue entre l'Église romaine et le roi des Français d'une part, et nous de l'autre, ainsi qu'il suit149".

Il y a quelque chose de curieux dans ce traité où l'Église descend officiellement au rang de puissance belligérante assimilable au roi des Français; et jamais l'équivoque mélange des pouvoirs spirituel et temporel ne fut poussé plus loin. Tout se passait comme si l'Église, pour absoudre un excommunié, avait besoin de le faire d'abord déposséder par une tierce personne. Les sources de cette étrange situation remontent au concile de Latran: du point de vue de l'Église, le roi, légitime propriétaire (en tant qu'héritier des droits de Montfort), pouvait librement disposer du tout.

À moins de se déclarer contre l'Église, le comte et sa délégation n'avaient rien à répondre à de tels arguments qui, cependant, ne reposaient que sur une pure fiction juridique. C'est donc l'Église qui impose d'abord ses conditions: extermination des hérétiques par tous les moyens, restitution de biens d'Église, indemnisation des dommages faits aux églises et personnes ecclésiastiques, fondation de l'école de théologie, pénitence en Terre Sainte, etc.

La paix royale ne vient qu'après: le mariage de la fille du comte avec un des frères du roi. Jamais cadeau plus magnifique ne fut reçu avec autant de mauvaise humeur: "Espérant, dit le traité, que nous persévérerons dans notre dévouement à l'Église et notre fidélité pour sa personne, le roi nous fait la grâce de recevoir notre fille que nous lui livrerons pour la donner en mariage à l'un de ses frères, et de nous laisser Toulouse et son diocèse sauf la terre du maréchal que le maréchal tiendra du roi; de manière qu'après notre mort la ville et le comté reviendront à notre gendre, ou à leur défaut, au roi..." De cette façon, le classique droit d'héritage est transformé en une faveur royale, un prétexte inventé par le roi pour laisser au futur beau-père d'un de ses frères l'usufruit de ses anciens domaines. Cependant, Raymond VII, petit-fils lui-même d'une fille de France et d'un roi d'Angleterre, n'a pas à considérer comme une "grâce" le mariage de son héritière avec un frère du roi.

La lecture publique de ce traité équivoque se poursuit, avec l'énumération des villes à démanteler, des indemnités à payer, des serments de fidélité à exiger des vassaux, jusqu'à la dernière clause, la seule qui fasse mention des obligations du roi. (Le roi décharge les habitants de Toulouse et tous les peuples du pays des engagements contractés soit envers lui, soit envers son prédécesseur, soit envers le comte de Montfort). La lecture terminée, le comte et le roi apposent leur signature au bas du traité.

Une fois le traité dûment signé, et après que le comte eut donné la promesse de laisser vingt otages (choisis parmi les personnes de sa suite) comme garantie de sa loyauté, Raymond VII va être, enfin, réconcilié à l'Église. Mais il ne le sera qu'après avoir subi l'humiliation publique infligée à son père vingt ans plus tôt sur le parvis de l'église de Saint-Gilles. Dépouillé de ses vêtements, la corde au cou, il sera introduit dans la cathédrale par le légat R. de Saint-Ange et les légats de Pologne et d'Angleterre, et mené jusqu'à l'autel où, agenouillé, il sera frappé de verges par le cardinal-légat. "C'était pitié, écrira Guillaume de Puylaurens, de voir un si grand prince qui, pendant si longtemps, avait résisté à tant et de si puissantes nations, conduit pieds nus, en chemise et en braies, jusqu'à l'autel150". Le chroniqueur était lui-même du diocèse de Toulouse et attaché à ses princes; sa douleur n'était sans doute pas partagée par la majorité de l'assistance, pour laquelle le comte de Toulouse était l'étranger, l'ennemi de la France, un autre Ferrand de Portugal.

On a pu se demander pourquoi Blanche de Castille avait consenti à exposer son parent, déjà assez injustement traité, à cet affront sanglant et nullement nécessaire. Raymond VI, le jour où il fut flagellé à Saint-Gilles, était soupçonné d'un crime capital commis sur ses terres et dont il endossait la responsabilité en tant que chef d'État; il était châtié par le légat sur ses propres domaines; c'était une affaire d'Église, et aucun souverain étranger n'était là pour assister à son humiliation. Paris n'était pas le seul endroit où l'Église de Rome pût manifester son autorité (en principe, du moins).

Or, Raymond VII n'était pas accusé du meurtre d'un légat, et son catholicisme n'avait jamais été mis en doute; s'il avait pris les armes contre Simon de Montfort, ses prétentions étaient si légitimes que, même en l'écrasant, ses adversaires ne pouvaient lui refuser le titre de comte de Toulouse. De plus, il s'était soumis de son plein gré, et cédant aux sollicitations empressées de ses adversaires. Il semble que l'Église, au lieu de le fustiger, eût dû rendre hommage à son esprit de conciliation. Cette humiliation publique d'un prince méridional sur le parvis de la cathédrale de Paris semble être plutôt un triomphe de la politique royale qui, par l'intermédiaire de l'Église, abaissait un grand féodal.