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Blanche de Castille, avec plus de hardiesse que son beau-père Philippe Auguste, orientait la monarchie capétienne vers un véritable culte de la personne du roi et vers cet absolutisme qui devait, quatre siècles plus tard, conduire à la quasi-déification d'un Louis XIV. Prenant pour modèle la papauté, la reine agissait comme si le seul fait de s'opposer à la volonté royale constituait un sacrilège. Elle avait de bonnes raisons pour agir ainsi: l'insoumission et les intrigues des grands barons mettaient sans cesse en péril un royaume exposé depuis près d'un siècle à la menace anglaise, et le jeune Louis IX était encore un enfant incapable de se faire craindre. Il fallait donc, non seulement réduire à l'obéissance le vassal insoumis, l'adversaire toujours dangereux qu'était le comte de Toulouse, mais l'humilier, afin de frapper les esprits par cette manifestation éclatante du pouvoir royal. Les verges que maniait Romain de Saint-Ange symbolisaient la victoire future de la monarchie sur la féodalité.

Après la douloureuse cérémonie du Jeudi saint 1229, le comte de Toulouse resta encore six mois prisonnier au Louvre, tant on se méfiait de lui, tant on craignait que sa présence n'empêchât l'exécution des clauses du traité. Il ne devait revenir dans sa ville que le jour où elle serait privée de ses murailles et occupée par les émissaires du roi.

Du mois d'avril jusqu'au mois de septembre Raymond VII restera incarcéré au Louvre, avec les notables et les barons toulousains qu'il avait amenés avec lui. Une lettre royale prétend qu'il est "resté en prison sur sa propre demande". En fait, on pourrait croire que la reine et le légat supposaient que, laissé libre, il eût aussitôt dénoncé le traité et leur eût fermé les portes de Toulouse, au risque d'une guerre à mort. Le traité, qui prévoyait la livraison d'otages, ne stipulait nullement que le comte se livrerait en otage lui-même.

Pendant que le comte restait enfermé dans une tour du Louvre, les commissaires de la reine et du légat - Mathieu de Marly et Pierre de Colmieu, vice-légat des Gaules - se rendaient en Languedoc pour prendre possession des territoires qui étaient concédés au roi et faisaient procéder à la destruction des murs de Toulouse et à l'occupation du château Narbonnais, puis au démantèlement des murailles des places fortes désignées par le traité. Il ne leur fut pas opposé de résistance: la paix était signée, le comte retenu en otage, et c'était sous la garantie de sa signature qu'agissaient les mandataires du roi. Les deux infantes d'Aragon, Éléonore et Sancie, belle-mère et femme de Raymond VII, furent expulsées de leur résidence du château Narbonnais pour céder la place au sénéchal du roi, et la petite princesse Jeanne fut enlevée à sa mère (qu'elle ne devait plus revoir) pour être conduite en France.

Les grands vassaux du comte de Toulouse vinrent prêter hommage aux émissaires du roi. Le comte de Foix refusa d'abord de se soumettre; le traité signé n'était pas celui auquel il avait donné son accord de principe. Au mois de juillet, cependant, il consentit à une entrevue à Saint-Jean-des-Verges (à une lieue au nord de Foix); ses vassaux eux-mêmes le pressaient de conclure la paix. Ce grand chef méridional eut tout au moins la chance de se soumettre sur ses propres terres, entouré de ses vassaux et de ses soldats; et de le faire avec les honneurs de la guerre. Il promit ce qu'on exigeait de lui: les libertés de l'Église, la restitution des dîmes, la poursuite des excommuniés, l'expulsion des routiers, etc. On n'osa pas lui demander des engagements trop précis au sujet de la répression de l'hérésie, son adhésion à la foi cathare étant trop notoire; par son courage, il sut la faire respecter. Cet accord signé, il se rendit lui-même en France et fut reçu par la reine.

Pendant ce temps le comte de Toulouse, toujours prisonnier, accompagnait Blanche de Castille et le jeune roi qui allaient recevoir des mains du sénéchal de Carcassonne la princesse Jeanne. Désormais, la fille du comte de Toulouse n'allait plus connaître d'autre mère que l'austère régente et, en vingt ans, son père ne la reverra que deux fois. Ce précieux otage livré, le père put jouir d'une demi-liberté, et fut même armé chevalier par le jeune roi Louis. (Sans doute considérait-on que son excommunication l'avait en quelque sorte privé du titre de chevalier).

Étrange faveur pour le héros de Beaucaire et de Toulouse, le guerrier éprouvé qu'était Raymond VII, que de se voir donner l'accolade rituelle par un enfant de quatorze ans. Du point de vue des canons de la chevalerie, l'inverse eût été plus logique, le plus modeste chevalier étant supérieur à un jeune homme sans expérience, ce dernier fût-il roi. Les personnes de sang royal étaient-elles (déjà!) en train de devenir les "enfants des dieux" dont parle La Bruyère? Quoi qu'il en soit, le comte accepta de bonne grâce ce douteux honneur, il en avait vu bien d'autres.

Le comte de Foix, arrivé à Paris pour faire ratifier l'accord signé à Saint-Jean-des-Verges, dut comprendre qu'il est plus difficile de négocier en pays ennemi que sur ses propres terres, car la reine réussit à lui extorquer la remise aux forces royales du château de Foix pour une durée de cinq ans. Après quoi, elle lui alloua une pension de mille livres de Tours sur les revenus des domaines confisqués sur l'héritage du comte de Foix dans le Carcassès.

Après avoir reçu l'hommage du dernier baron insoumis du Languedoc, la reine laissa les deux comtes repartir dans leur pays.

137 Op. cit., ch. CLXV.

138 L'affaire de Montgey fut le seul véritable massacre en masse de croisés et de "pèlerins". D'après Catel (cité par Dom Vaissette, éd. de 1879, t. VI, p. 355) "il y en eut mille de tués". En représailles, le bourg et le château de Montgey furent détruits de fond en comble.

139 Op. cit., ch. CLIV, 3812.

140 Guillaume de Puylaurens, ch. XXXX.

141 Tel, par exemple, Bernard-Raymond de Roquefort, déjà cité, dont la mère et le frère étaient notoirement cathares.

142 Rituel cathare. P. Dondaine, Un traité manichéen du XIIIe siècle. Le "Liber de duobus principiis", suivi d'un fragment du"Rituel cathare", Instituto storico domenicano, S. Sabina, Roma, 1939.

143 Liste des seigneurs faidits. Dom Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de France t. 24.

144 Op. cit., ch. CLIV, 3812.

145 Thierry d'Apolda et Constantin d'Orvieto.

146 Constantin d'Orvieto nous apprend que cet homme s'appelait Raymond Gros. En 1236 un parfait de ce nom se convertissait et dénonçait à l'Inquisition un grand nombre de croyants. Il ne s'agit peut-être pas de la même personne.

147 Thibaut de Champagne. Œuvres poétiques.

148 Bernard de La Barthe, "...patz forsada..." Cf. Dom Vaissette, éd. 1885, t. X, p. 337.

149 Texte du Traité de Meaux.

150 Guillaume de Puylaurens, ch. XXXIX.

CHAPITRE IX

LA PAIX DE L'ÉGLISE

I - L'ÉGLISE ET L'HÉRÉSIE

À la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, l'Église catholique ne pouvait prétendre au titre de catholique, c'est-à-dire d'universelle, que sur un plan théorique ou mystique; en fait elle était une des religions du monde occitendal, et en se voulant seule et unique elle tendait de plus en plus à devenir une secte puissamment organisée, plutôt que la patrie spirituelle de tout homme comme elle prétendait l'être.