Les grandes hérésies des premiers siècles avaient déjà enraciné en elle un profond esprit d'intolérance. Les grandes invasions, et les conversions en masse des barbares (certaines très tardives, comme celles des Saxons, des Scandinaves et des Slaves) avaient enrichi la chrétienté d'une masse hétéroclite de peuples encore à demi païens, qui en adorant le Christ et les saints les distinguaient assez mal de leurs divinités anciennes. L'Islam avait conquis l'Afrique du Nord, l'Orient méditerranéen, une grande partie de l'Espagne, et semblait moins que jamais décidé à renoncer à ses conquêtes. Sa combativité et son esprit de prosélytisme étaient au moins aussi grands que ceux du christianisme, et les croisades de Terre Sainte étaient des guerres défensives de la chrétienté contre un adversaire qui cherchait sans nulle équivoque à imposer sa foi par les armes. L'Église grecque, opposée depuis longtemps en esprit et en fait à l'Église romaine, dominait les pays d'Europe orientale soumis à Byzance ou influencés par sa culture, tels la Bulgarie, la Russie, et disputait le terrain à l'Église romaine dans les autres pays slaves qui, attachés à leur langue nationale, s'accommodaient mal du latin que la papauté leur imposait comme langue d'Église.
L'Italie, l'Espagne (qui se trouvait encore en partie sous la domination des Maures), la France, l'Angleterre, l'Allemagne, la Pologne, les Pays Scandinaves, la Hongrie, la Bohême, la Bosnie, étaient catholiques - à des degrés très divers suivant leur éloignement de Rome et l'ancienneté de leur conversion au christianisme. Tel pays, comme la Hongrie ou la Bosnie, étaient encore à moitié païens, et les Juifs et même les musulmans y rivalisaient d'influence avec les catholiques; le Sud de la Russie était païen, et le chef des Coumans ne se fit baptiser qu'en 1227. Les Pays baltes restaient païens malgré les efforts conjugués des Polonais, des Allemands et des Scandinaves pour les convertir de gré ou de force. En Allemagne et en Angleterre le catholicisme, religion d'État, était accepté par les peuples, mais les pouvoirs publics étaient sans cesse en conflit avec Rome. L'empereur était l'ennemi politique le plus redoutable du pape, et son influence dans le Nord de l'Italie était si grande que ce pays devait longtemps rester un des plus rebelles à l'autorité de l'Église. L'Espagne, obligée de défendre sa foi contre l'Islam, était une terre où le catholicisme était d'autant plus ardent qu'il était la foi nationale opposée à celle d'un oppresseur étranger, mais ce pays qui était en train de reconquérir son indépendance était lui-même sans cesse menacé par l'Islam.
La France capétienne était, pour Rome, le seul allié puissant et sûr; et cependant, la conduite de Philippe Auguste avait montré à la papauté qu'un roi de France n'est pas toujours ni forcément le paladin de l'Église. L'ambition d'un Grégoire VII, d'un Innocent III: la fondation d'un Empire chrétien ayant à sa tête le pape dont les rois seraient les lieutenants, était à la mesure du caractère autoritaire de ces grands papes, mais ne correspondait nullement à la réalité. Et si l'Islam et même l'Église grecque (malgré le coup que lui avait porté la croisade de 1204) restaient pour Rome une menace extérieure permanente, les pays officiellement catholiques voyaient surgir des mouvements de plus en plus nombreux d'opposition ouverte à l'Église, car toutes les hérésies avaient pour caractère commun une condamnation absolue et violente de l'Église de Rome.
Les pays balkaniques, le Nord de l'Italie et le Languedoc étaient les terres d'élection des hérésies, parmi lesquelles le catharisme était, aux XIIe et XIIIe siècles, de loin la plus puissante. Cependant, en France, en Allemagne, en Espagne, les foyers d'hérésie étaient également nombreux et actifs.
Au début du XIIIe siècle, l'Église romaine, devenue une grande puissance politique, était en train de perdre la confiance des élites laïques dans les pays mêmes où son orthodoxie n'était nullement contestée; et dans bon nombre de pays catholiques l'hérésie obtenait l'adhésion des foules et avait déjà ses traditions, son organisation, ses ministres et ses martyrs.
Vers 1160, l'Église cathare de Cologne comptait des adeptes dans plusieurs villes du Sud de l'Allemagne, en particulier à Bonn, et malgré la condamnation et le martyre de ses chefs elle inspirait au chanoine Eckbert de Schönau les craintes les plus vives à cause du nombre de ses croyants. En Angleterre, les cathares semblent n'avoir eu guère de succès, et pourtant des missionnaires partis des Flandres y firent vers 1159 un assez grand nombre de néophytes pour provoquer l'inquiétude du clergé, qui d'ailleurs ne les condamna pas au bûcher mais les fit marquer au fer rouge et les chassa dans la campagne où, n'étant pas secourus par une population hostile, ils moururent de froid; cependant, en 1210 encore, il y eut des cathares en Angleterre car l'un d'eux fut brûlé à Londres, et l'on prêche une croisade contre eux.
Dans les Flandres, les cathares étaient nombreux, et l'église cathare d'Arras était si puissante que l'évêque Frumoald, vers 1163, ne pouvait que s'en désoler sans essayer de la combattre, et en 1182 seulement les chefs de cette église furent jugés et brûlés. Mais les Flandres restèrent jusqu'aux temps de l'Inquisition un foyer d'hérésie.
En Champagne, les cathares comptaient plusieurs communautés secrètes mais activement recherchées par le clergé, durant la seconde moitié du XIIe siècle et la première moitié du XIIIe. Nous connaissons l'histoire de la jeune Rémoise qui paya de sa vie son attachement à la virginité; si elle et la vieille qui l'instruisit furent les seules hérétiques découvertes à Reims, il ne s'ensuit pas qu'il n'en existait pas d'autres: ces femmes intrépides devaient être capables de garder le secret. Mais c'est à Montwimer (Mont-Aimé) qu'il y avait surtout, depuis 1140 environ, une grande communauté cathare, qui ne devait être découverte que sous l'Inquisition: elle devait être importante, puisque cent quatre-vingt-trois hérétiques y furent brûlés par l'inquisiteur Robert le Bougre.
Près de Vézelay, dans le comté de Nevers, en 1154, un méridional, Hugues de Saint-Pierre, fonda une communauté hérétique à tendances sociales mais indubitablement cathares d'inspiration, qui groupa les habitants de la région désireux de s'affranchir de la tyrannie des abbés de cette ville; ils furent soutenus par le comte lui-même mais, convaincus d'hérésie, leurs chefs furent condamnés en 1167, ce qui n'empêche pas leurs doctrines de se répandre dans tout le Nivernais, ainsi qu'en Bourgogne où, dans la région de Besançon, ils s'attirèrent les sympathies du peuple à tel point que les prêtres qui les réfutaient risquaient d'être lapidés. Les deux chefs du mouvement furent convaincus d'hérésie par l'évêque et brûlés.
À la Charité-sur-Loire, l'évêque d'Auxerre, Hugues de Noyers, découvrit dès 1198 un foyer d'hérésie; le doyen du chapitre de Nevers protégeait lui-même les doctrines cathares, et l'hérésie était puissante jusque dans les milieux ecclésiastiques. Terric, le chef de la communauté locale, fut brûlé en 1199, mais les progrès de la secte forcèrent tout de même le pape Innocent III à envoyer un légat avec mission spéciale pour enquêter dans le Nivernais, et en 1201 le chevalier Évrard de Châteauneuf, disciple de Terric, fut brûlé à Nevers, tandis que son neveu, le doyen du chapitre Guillaume, parvenait à fuir et se réfugiait dans le pays de Narbonne, où il allait devenir un des chefs de l'Église cathare du pays sous le nom de Théodoric (ou Thierry). En dépit de ces persécutions, le catharisme ne désarme pas et en 1207 la secte cathare de la Charité provoquait encore les foudres des évêques de Troyes et d'Auxerre. En 1223 le fameux inquisiteur Robert le Bougre recevait l'ordre du pape d'exterminer l'hérésie en cette région.