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Quand le pape eut recours à l'ordre des Frères prêcheurs qu'il chargea tout spécialement de combattre l'hérésie, plusieurs Dominicains doués d'une grande énergie et d'une éloquence remarquable, tels Pierre de Vérone, Moneta de Crémone, Jean de Vicence, parcoururent les villes lombardes, excitant les catholiques à la lutte, semant la terreur parmi les hérétiques et allant jusqu'à se mettre à la tête de troupes armées. Pierre de Vérone (cathare converti) fut assassiné en 1252, ce qui lui valut la canonisation et le titre de saint Pierre martyr. Les mouvements de réaction catholique se multiplièrent. À Parme est fondée une association de "chevaliers de Jésus-Christ". À Florence se fonda une congrégation de la Vierge, et le peuple s'enrôla dans des milices pieuses chargées de sévir contre les cathares; cependant, les hérétiques comptaient dans cette ville des partisans zélés parmi la plus haute noblesse, ainsi que dans le peuple; le clergé local n'osait rien entreprendre contre eux, malgré les efforts des inquisiteurs. Mais, à Milan, les menaces de l'empereur forcèrent les habitants à faire preuve d'orthodoxie et, en 1240, le podestat Oldrado de Tresseno fit brûler un grand nombre de cathares. À Vérone, Jean de Vicence fit brûler, en 1233, soixante personnes; en 1235, l'évêque cathare, Jean Beneventi, fut brûlé à Viterbe avec plusieurs de ses compagnons; à Pise, deux parfaits sont brûlés en 1240.

Mais l'exercice de l'Inquisition rencontra dans la plupart des villes une résistance de plus en plus grande; à Bergame, les magistrats de la ville restèrent sourds à toutes les menaces des légats, à Plaisance, l'inquisiteur Roland fut maltraité et chassé par la foule; à Mantoue, en 1235, l'évêque fut assassiné; à Naples, les hérétiques saccagèrent le couvent des Dominicains, etc.

À la mort de Grégoire IX, en 1241, les cathares sont aussi puissants en Italie qu'ils l'étaient un demi-siècle plus tôt: à cette date, on compte en Lombardie plus de 2000 parfaits, plus les 150 parfaits de l'Église française de Vérone. En 1250, la mort de Frédéric II déliera les mains au pape qui pourra concentrer tous ses efforts sur l'extirpation de l'hérésie en Italie du Nord, mais jusqu'au début du XIVe siècle les villes lombardes resteront de tenaces foyers de catharisme, et la lutte entre magistrats et évêques continuera avec la même violence, soutenue par les passions politiques et les rivalités de clans; les bûchers, de plus en plus nombreux, décimeront les rangs des parfaits, des inquisiteurs seront assassinés, de nouvelles hérésies surgiront pour remplacer le catharisme qui commencera à perdre du terrain, et les hérétiques français continueront à se réfugier en Lombardie pour y réorganiser leurs Églises persécutées.

Dans le Midi de la France, comme nous l'avons vu, l'expansion de l'hérésie n'avait pas donné lieu à des troubles sociaux, et seules quelques initiatives personnelles dans le genre de la Confrérie blanche de Foulques rappellent ce climat de guerre civile qui régnait en permanence dans les villes de Lombardie. Des catholiques italiens pouvaient prendre les armes pour le pape, en voyant en lui l'adversaire d'un empereur qui les opprimait. Il se trouve qu'en Languedoc à peu près tout le monde (sauf le clergé) était contre le pape, dès avant la croisade; les cités méridionales étaient patriotes et n'avaient guère de sympathie pour une puissance qui les exploitait sans leur fournir de compensation sur le plan politique ou social. Les évêques eux-mêmes, mondains ou cupides, ne servaient le pape que dans la mesure où ce dernier servait leurs intérêts et préféraient souvent laisser en paix les hérétiques parmi lesquels ils comptaient des parents et des amis. La croisade acheva de cimenter la profonde union du pays presque tout entier; mais elle avait créé, entre l'Église et la société laïque, une opposition qui allait toujours grandissant.

Frédéric II, ennemi et rival de la papauté, n'eût pas mieux demandé que d'exterminer par les armes les hérétiques de Lombardie pour occuper cette province, et le pape se garda bien de l'y inviter; le roi de France put occuper le Languedoc avec les encouragements et la bénédiction solennelle du pape, qui ne craignit pas d'identifier, pour ce pays, la cause de la France avec celle de Dieu. La croisade avait réussi à créer cet état de choses si rare au moyen âge: un pays où le peuple, la bourgeoisie, la noblesse, au lieu de s'entre-déchirer - ou tout au moins de vivre dans un climat de méfiance réciproque - formaient une véritable union nationale autour de leur souverain légitime; et si le malheur seul crée de ces situations privilégiées, elles ne peuvent se produire que chez un peuple déjà profondément uni et conscient de sa grandeur nationale.

Il serait difficile de croire que tout le peuple du Languedoc fût hérétique; il est à peu près certain qu'il était, en 1229, tout entier anticatholique, puisque l'Église était devenue l'ennemi national. Le traité de Paris met sur le même plan l'Église et le roi de France; qui donc pouvait, sans passer pour un traître, vénérer le pape, dans un pays où, depuis vingt ans, le nom de Français était devenu synonyme de bandit et de pillard? Le roi ne s'était pas montré plus magnanime que Simon de Montfort. Et il était plus difficile à éliminer.

Raymond VII, quand il eut signé le traité qui livrait le pays à la France, ne perdit pas sa popularité: il fut considéré comme une victime. Un pays mutilé et dévasté par la guerre accueillait des sénéchaux et des fonctionnaires étrangers qui venaient abattre les murs de ses places fortes, occuper sa capitale pour rendre impossible toute velléité d'indépendance de la part du comte, prélever sur des terres déjà ruinées des impôts assez lourds pour paralyser la vie économique du pays. Tout cela se faisait au nom et sur l'ordre de l'Église. Une grande partie des impôts exigés (la moitié) allait revenir aux églises et aux abbayes, et les évêques, plus puissants que jamais, allaient être libres de prélever les dîmes et les redevances dont les intendants royaux sauraient faire exiger le paiement. Le Carcassès, le Razès, l'Albigeois, le pays narbonnais devenaient terres du roi - ce qu'ils étaient déjà depuis 1226, mais cette fois-ci l'annexion semblait définitive; le Toulousain, le Quercy et l'Agenais dépendaient encore du comte de Toulouse, ce dernier étant sous la surveillance d'une garnison française installée dans la capitale. Revenu dans Toulouse invaincue et dont on allait de nouveau abattre les murailles, le comte était suivi par le cardinal-légat de Saint-Ange lui-même; le légat entendait bien faire comprendre aux Toulousains et à tout le Languedoc que cette paix était avant tout la paix de l'Église.

Mais ce n'était pas une Église victorieuse qui s'installait pour régner en maîtresse dans un pays conquis; c'était une Église vaincue. Les vrais vainqueurs - les croisés, le roi de France, et surtout la misère du peuple - avaient merveilleusement servi la cause de l'hérésie, et l'Église était si bien vaincue que seules les armes d'un occupant pouvaient lui faire partiellement sauver la face; il lui fallait à présent commencer lai reconquête de ce pays par d'autres moyens que le recours au bras séculier; et elle risquait fort de voir! son action réduite à des menaces impuissantes, a moins d'inventer un nouveau système de contrainte,; plus efficace que celui de la force armée.