Quand un hérétique abandonne l'hérésie de son plein gré, il changera de résidence, il sera déclaré hors de tout soupçon; il portera deux croix d'une autre couleur que ses vêtements, cousues sur les deux côtés de sa poitrine; il n'exercera aucune charge publique, ne sera pas admis à rédiger des actes publics (à moins d'être réintégré dans ses droits par lettre du pape ou du légat). Tout hérétique qui serait revenu à la foi catholique non spontanément mais par crainte de la mort ou toute autre raison, sera mis en prison par l'évêque; ceux auxquels ses biens seront donnés seront tenus de pourvoir à son entretien; s'il n'a pas de fortune l'ordinaire y pourvoira.
Tout homme âgé de plus de quatorze ans et toute femme de plus de douze ans devra abjurer l'hérésie, jurer fidélité à l'orthodoxie et promettre de rechercher les hérétiques et de dénoncer ceux qui lui sont connus. On relèvera les noms de tous les habitants de la paroisse, et tous prononceront le serment devant l'évêque ou son mandataire; les absents le prêteront dans les quinze jours qui suivront leur retour. S'ils ne le font pas (ce qui sera facile à constater par l'examen des noms) ils seront suspects d'hérésie. Ce serment doit être renouvelé tous les deux ans.
Toute personne des deux sexes, arrivée à l'âge de raison, doit se confesser à son curé (ou à un autre prêtre avec la permission de son curé) trois fois par an. Elle communiera à Noël, à Pâques et à la Pentecôte, à moins qu'elle ne s'en abstienne ad tempo sur le conseil de son curé. Les prêtres rechercheront ceux qui s'abstiendront de communier, et qui encourront, de ce fait, le soupçon d'hérésie.
Les chefs de famille sont tenus d'assister à la messe les dimanches et jours de fête sous peine d'une amende de douze deniers, à moins qu'ils n'en soient excusés par la maladie ou autre cause légitime.
Nul ne pourra posséder un Ancien ni un Nouveau Testament, sauf peut-être le Psautier, le Bréviaire ou les Heures de la Vierge, mais en latin.
Aucune personne suspecte d'hérésie ne pourra exercer la profession de médecin. Le malade qui a reçu la communion sera mis en surveillance pour empêcher l'approche d'un hérétique ou d'un suspect d'hérésie.
Les testaments seront faits en présence du curé, ou, en son absence, d'une personne ecclésiastique ou laïque de bonne réputation; sinon ils sont nuls.
Il est interdit à tout seigneur, baron, chevalier, châtelain, etc., de confier à un hérétique ou à un croyant l'administration de ses terres.
Sera "diffamé" celui qui sera dénoncé par l'opinion publique et dont la mauvaise réputation serait constatée par l'évêque ou par des personnes dignes de foi152.
Ces décrets, comme on le voit, exigeaient pour être appliqués un personnel nombreux chargé d'en surveiller l'exécution. Sans doute chaque prêtre pouvait-il dresser la liste de ses paroissiens et même signaler ceux qui se seraient abstenus de prêter serment ou de communier, et les déclarer suspects d'hérésie. Il était déjà difficile de les faire tous traduire en jugement pour peu qu'ils fussent nombreux. La crainte de s'attirer des ennuis pouvait pousser beaucoup de fidèles à se conformer aux règlements; mais encore fallait-il que cette crainte, fut justifiée, à la longue, par la puissance effective de l'Église.
Il n'était peut-être pas difficile de trouver dans chaque paroisse deux ou trois laïques désireux de rechercher les hérétiques, mais encore fallait-il que ces deux ou trois personnes fussent soutenues par la majorité des habitants du lieu, sinon il leur serait difficile de s'emparer des hérétiques découverts.
L'intérêt pouvait pousser les seigneurs à confisquer les terres des personnes qui abriteraient les hérétiques; la peur de perdre leurs biens ou leurs places et de voir leurs maisons démolies pouvait forcer les gens à refuser aux hérétiques le droit d'asile. Mais encore fallait-il qu'il existât une autorité assez forte pour se charger de cette chasse aux hérétiques, pour démolir les maisons et confisquer les terres. Outre les désordres inévitables qu'un tel système de répression risquait de provoquer dans le pays, il était difficile de compter, pour l'exécution de ces mesures, sur le comte et ses vassaux, et même sur les fonctionnaires du roi, déjà assez pris par leurs autres obligations. Les évêques possédaient des milices armées; mais pour capturer les hérétiques il fallait d'abord les trouver, et ils étaient habiles à dépister les recherches. Et parmi les gens "diffamés" se trouvait un grand nombre de puissants seigneurs auxquels il n'était pas facile de s'attaquer, et qui du reste avaient prêté serment pour prouver leur orthodoxie.
Romain de Saint-Ange ne se contenta pas de faire promulguer les décrets: il voulut, avant son départ de Toulouse, frapper l'opinion par un procès éclatant, susceptible d'intimider ceux qui croiraient ses règlements inapplicables. Or, il avait sous la main deux hérétiques récemment découverts et arrêtés par les hommes du comte de Toulouse (qui, pour inspirer confiance au légat, avait tenu à lui donner cette preuve de bonne volonté). Ces deux hommes étaient des parfaits; l'un, Guillaume, est même mentionné par Albéric des Trois Fontaines153 sous le titre de "pape" (apostolicus) des Albigeois; peut-être s'agissait-il d'un évêque du diocèse d'Albi, en tout cas d'un vieillard particulièrement vénéré que, pour donner plus d'éclat à leur capture, ses adversaires auraient paré du titre de pape. L'autre parfait, prénommé également Guillaume - de Solier - était aussi un hérétique de marque, bien connu dans le diocèse de Toulouse.
Le prétendu pape des Albigeois marche au supplice avec la fermeté qui était de règle chez les ministres cathares, et fut solennellement brûlé à Toulouse devant le cardinal-légat. Mais Guillaume de Solier se convertit au catholicisme et devint ainsi le plus précieux auxiliaire de l'Église. Le concile le réhabilita, afin de pouvoir légalement recueillir ses témoignages. Cet homme dénonça un grand nombre de personnes qu'il savait appartenir à l'Église cathare. Il était bien placé pour les connaître, pour révéler leurs cachettes et leurs lieux de réunion. Il ne semble pourtant pas qu'il ait dénoncé ou fait découvrir beaucoup de parfaits, car les personnes citées sur ses dénonciations étaient de simples croyants.
L'évêque de Toulouse fit ensuite convoquer un certain nombre de personnes dont l'orthodoxie était reconnue et en obtint des témoignages contre ceux des hérétiques qu'elles connaissaient; ce qui, avec les dépositions de Guillaume de Solier, forma une liste impressionnante de suspects. Ces derniers furent cités pour comparaître devant le tribunal ecclésiastique.
Mais cette première enquête ne donna pas de résultats appréciables: interrogés, les suspects refusèrent de parler. Certains, plus courageux ou plus instruits que les autres, exigèrent les noms des témoins qui avaient déposé contre eux - ce qui était leur droit le plus strict; il ne pouvait y avoir de procédure juridique régulière sans confrontation des inculpés avec les témoins à charge. Mais il est bien évident que le cas était un peu spécial; les juges ne pouvaient donner les noms de leurs informateurs, par crainte de les exposer à la vengeance publique et de décourager ainsi les délations dans l'avenir. Le cardinal-légat ayant refusé de donner aux inculpés les noms de leurs accusateurs, ils le suivirent jusqu'à Montpellier où ils lui présentèrent de nouveau leur requête.
Romain Saint-Ange s'en tira par une ruse: il leur montra la liste de toutes les personnes qui avaient été citées lors de l'enquête, sans dire si elles avaient déjà déposé ni contre qui elles avaient témoigné, demandant aux accusés s'ils pouvaient indiquer dans cette liste les noms de leurs ennemis personnels. Désorientés, et ne sachant si les témoins cités avaient déposé en leur faveur ou contre eux ou même s'ils avaient accusé qui que ce soit, les inculpés n'osèrent récuser personne et s'en remirent à l'indulgence du légat. La ruse de Romain de Saint-Ange devait être, plus tard, largement utilisée par les tribunaux ecclésiastiques.