Dans le Toulousain, la réaction de la population contre l'Église était d'autant plus violente qu'elle était soutenue presque ouvertement par le comte. Le Dominicain Roland de Crémone, ayant prêché dans la chaire de l'Université nouvelle contre les hérétiques et ayant accusé les Toulousains d'hérésie, les consuls avaient protesté hautement et demandé au prieur du couvent des Dominicains d'imposer silence au fougueux prédicateur. Le Frère Roland n'en continua pas moins de flétrir la conduite des gens de Toulouse, et provoqua le scandale dans la ville en faisant exhumer et brûler les corps de deux personnes mortes récemment: A. Peyre, donat du chapitre de Saint-Sernin, et Galvanus, ministre vaudois enterré au cimetière de Villeneuve; les deux hommes, bien qu'hérétiques ou du moins suspects d'hérésie, avaient joui d'une grande considération jusque dans les milieux catholiques. Ces actes accomplis "pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, du bienheureux Dominique et en l'honneur de notre mère l'Église romaine" (G.Pelhisson), révoltèrent l'opinion publique et amenèrent les consuls à protester de nouveau auprès du prieur des Dominicains et à obtenir le renvoi du Frère Roland. Le même Pelhisson se plaint des chevaliers et des bourgeois de Toulouse qui ne cessaient de multiplier les attentats contre les personnes qui recherchaient les hérétiques. Ces recherches devenaient si dangereuses qu'il fallait aux autorités ecclésiastiques beaucoup de courage pour les continuer malgré tout et pour amener les suspects capturés dans les prisons d'Église où ils pouvaient être interrogés et jugés.
La difficulté n'était pas de découvrir les hérétiques, mais de parvenir à s'emparer de leurs personnes; les tribunaux en étaient le plus souvent réduits à condamner par contumace ou à arrêter des gens très peu suspects et contre lesquels rien de grave ne pouvait être prouvé, comme cette Peyronnelle, de Montauban, âgée de douze ans, élevée dans un couvent de parfaites et réconciliée à l'Église par l'évêque Foulques. Encore mieux: les bourgeois passaient parfois à l'attaque en se servant des arguments mêmes de leurs adversaires. Ainsi un certain P. Peytavi ayant, au cours d'une dispute, traité le fabricant de boucles Bernard de Solaro d'"hérétique" (et avec raison, semble-t-il), ce dernier porta plainte en diffamation. Peytavi fut convoqué devant le conseil de la ville et condamné par les consuls à plusieurs années d'exil, à des dommages-intérêts à Bernard et à une amende. La faute de Peytavi n'était pas d'avoir suspecté l'orthodoxie du fabricant de boucles, mais d'avoir trop ouvertement manifesté ses sentiments catholiques. Il se plaignit d'ailleurs aux Dominicains de Toulouse, en appela à l'évêque, et, devant le tribunal d'Église, soutenu par les Dominicains Pierre Seila et Guillaume Arnaud, il gagna son procès avec éclat et son adversaire dut s'enfuir en Lombardie. À ce sujet, G.Pelhisson écrit: "Bénis soient Dieu et son serviteur Dominique qui a su si bien défendre les siens157!" L'importance accordée par l'Église à une affaire aussi insignifiante (les deux Dominicains qui aidèrent Peytavi n'étaient autres que les deux futurs Inquisiteurs de Toulouse) montre en elle-même combien âpre et infructueuse était la lutte que menaient à ce moment-là les autorités ecclésiastiques contre le pouvoir consulaire. Ils en étaient réduits à louer Dieu parce qu'ils avaient réussi à faire casser un jugement qui donnait raison à un homme suspect d'hérésie, et encore n'avaient-ils pas convaincu les consuls mais seulement leur propre évêque.
Cet évêque, intronisé depuis la mort de Foulques, était Raymond du Fauga - ou de Falgar - de la famille de Miramont, de la région de Toulouse. C'était un Dominicain fanatique et dur, qui, d'après Guillaume de Puylaurens, "débuta comme avait fini son prédécesseur, en poursuivant les hérétiques, en défendant les droits de l'Église, et en poussant le comte, tantôt avec énergie, tantôt avec douceur, à faire le bien158". Cet évêque devait, en effet, posséder beaucoup d'énergie, car il avait réussi à entraîner le comte (dont les catholiques déploraient la "négligence crasse" à persécuter les hérétiques) dans une battue à la tête d'une escorte armée, battue au cours de laquelle fut surprise une réunion nocturne dans un bois près de Castelnaudary. Dix-neuf hérétiques furent pris ainsi et parmi eux Pagan ou Payen de La Bessède, faidit et un des chefs de la noblesse cathare, chevalier réputé pour sa bravoure. Pagan et ses dix-huit compagnons furent aussitôt condamnés à mort et brûlés sur l'ordre du comte. On se demande de quels arguments put se servir l'évêque pour forcer le comte à cet acte de dureté qui était si peu dans son caractère et qui constituait une sorte de trahison à l'égard d'un vassaclass="underline" les seigneurs faidits avaient toujours été les plus fidèles partisans de Raymond. En tout cas, ayant donné à Raymond du Fauga cette preuve indubitable de sa bonne volonté, le comte dut s'estimer quitte pour quelque temps et ne fit rien pour empêcher seigneurs et consuls de braver presque ouvertement l'autorité de l'Église.
L'agitation qui régnait dans le pays était si grande que le pape lui-même, par peur d'une révolte généralisée, adopta une politique de douceur relative à l'égard du comte de Toulouse: il recommanda, en 1230, au nouveau légat Pierre de Colmieu, de traiter le comte avec douceur "pour favoriser son zèle pour Dieu et pour l'Église". Il accorda au comte un délai pour le paiement des dix mille marcs de dommages-intérêts à l'Église, imposés par le traité de Meaux; il lui permit même, pour les payer, d'imposer des subventions sur les gens d'Église; enfin, il consentit à examiner le procès posthume de Raymond VI, que son fils se désolait de ne pouvoir enterrer en terre chrétienne selon ses dernières volontés (18 septembre 1230). Ce chantage sur la piété filiale de Raymond VII dura encore longtemps, puisque la sépulture chrétienne ne fut jamais accordée aux restes du vieux comte. Mais le pape n'en continuait pas moins à ménager le comte (du moins en apparence) car "il était utile, pour augmenter sa piété, de l'arroser bénignement comme une jeune plante et de le nourrir du lait de l'Église159". Cette attitude indulgente, que la conduite du comte ne justifiait que partiellement, ne s'explique probablement pas par le désir du pape de freiner les ambitions du roi de France, enfant de quinze ans dont sa mère avait déjà quelque mal à faire respecter l'autorité en dépit de son énergie. Dans la personne du comte le pape cherchait à ménager une opinion publique surexcitée et à protéger l'Église dans un pays qui lui était de plus en plus hostile.
Il semble bien que dans les pays qui n'étaient pas soumis à la suzeraineté du comte de Toulouse mais à celle des seigneurs français et des sénéchaux du roi, la situation de l'Église était pire encore, comme le montre la conduite des seigneurs de Niort à l'égard de l'archevêque de Narbonne. En tout cas, cet archevêque, dont la sécurité était si gravement menacée, se décida, en 1233, à intenter lui-même un procès à ses agresseurs, lesquels trouvèrent des défenseurs zélés jusque dans les rangs du clergé local. Encore ne put-il le faire que sur mandement exprès de Grégoire IX, qui désigna comme juges l'évêque de Toulouse, le prévôt de la cathédrale de Toulouse et l'archidiacre de Carcassonne. Pour obtenir la traduction en jugement de ces seigneurs, le prélat dut d'abord consulter le pape à Anagni, où Grégoire IX avait séjourné en 1232, puis se rendre à Rome, et le 8 mars 1233 une bulle papale fut remise à l'évêque de Toulouse, ordonnant de faire "exécuter les sentences portées contre les Niort par le concile de Toulouse".
Les seigneurs de Niort comptaient parmi les plus puissants féodaux du Languedoc, et possédaient des terres dans le Lauraguais, dans le Razès et le pays de Sault. Déjà excommuniés par le concile de Toulouse, ils le furent à nouveau en 1233; hérétiques notoires en dépit de leurs dénégations, ces personnages ne craignaient guère les foudres spirituelles de l'Église; et pour les réduire par la force il fallait l'accord et même le concours du comte de Toulouse, qui ne tenait pas à faire arrêter ses propres vassaux. Le pape dut donc recourir au roi de France (ou plutôt à la régente). Sous la double menace de la colère pontificale et d'une reprise des hostilités avec la France, le comte céda, et réunit un conseil d'évêques et de barons afin de promulguer une ordonnance contre l'hérésie (20 avril 1233). Il prenait les mêmes dispositions qu'avait déjà prises le concile de Toulouse en 1229; ces règlements, jusque-là du domaine de la justice d'Église, faisaient à présent partie du code pénal et relevaient de la justice du comte.