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L'exécution de la belle-mère de Peytavi Borsier provoqua dans Toulouse plus de terreur encore que d'indignation; elle fut suivie par un sermon public du prieur des Dominicains, Pons de Saint-Gilles, lequel parla du bûcher où se calcinaient les restes de la pauvre vieille comme du feu que le prophète Élie fit descendre du ciel pour confondre les prêtres de Baal163, et défia solennellement les hérétiques et leurs protecteurs; ensuite il adjura les catholiques "de bannir toute crainte et de rendre témoignage à la vérité". Pendant les sept jours qui suivirent des foules de "catholiques" vinrent en effet rendre témoignage à la vérité, se repentir de leurs fautes passées ou se blanchir en dénonçant des suspects. "Parmi ces foules beaucoup de personnes abjurèrent l'hérésie, d'autres avouèrent qu'elles y étaient retombées et revinrent à l'unité de l'Église; d'autres enfin dénoncèrent des hérétiques et promirent de le faire toujours en temps utile164". Le narrateur, décidément peu optimiste, tout en louant Dieu de l'efficacité des recherches des inquisiteurs, ajoute: "Et ainsi commencées elles se poursuivront jusqu'à la fin du monde165".

Cependant, les exhumations et condamnations posthumes d'hérétiques, de plus en plus nombreuses, continuaient à provoquer des désordres dans la ville; et les consuls et les officiers du comte se servaient de leurs pouvoirs pour favoriser les évasions de beaucoup de personnes condamnées à la prison perpétuelle ou au bûcher. Pour mettre fin à cette opposition presque ouverte des autorités civiles, les inquisiteurs décidèrent de citer en jugement comme hérétiques plusieurs des notables de la ville. C'étaient des croyants notoires, ou même des ecclésiastiques suspects de favoriser l'hérésie; trois d'entre eux - Bernard Séguier, Mauran et Raymond Roger - étaient consuls. Ils refusèrent de comparaître, et demandèrent à Guillaume Arnaud de suspendre sur-le-champ tous les procès d'inquisition ou de quitter la ville. L'inquisiteur n'ayant pas tenu compte de cet avertissement, les consuls se rendirent avec leurs hommes d'armes au couvent des Dominicains, expulsèrent G. Arnaud de Toulouse et lui ordonnèrent de quitter les territoires du comte.

Guillaume se rendit donc à Carcassonne, terre du roi de France, et de là prononça une sentence d'excommunication contre les consuls (5 novembre 1235).

Cependant les Dominicains, pour ne pas avoir l'air de céder à la contrainte, décidèrent de citer en justice les personnes incriminées malgré la défense expresse des consuls qui avaient menacé de mort quiconque oserait remettre les citations à leurs destinataires. Le prieur choisit pour cette mission quatre Frères, qui acceptèrent ce choix comme une promesse de martyre - parmi eux se trouvait justement G.Pelhisson. Leurs adversaires, moins féroces que ces courageux moines ne l'imaginaient, n'attentèrent pas à leur vie; mais, dans la maison de Mauran l'Ancien les religieux furent tout de même roués de coups et traînés par les cheveux166.

Le lendemain, les consuls se présentèrent devant le couvent des Dominicains avec leurs sergents d'armes et accompagnés d'une foule de bourgeois; ils ordonnèrent aux religieux de quitter la ville, et sur leur refus ils les firent saisir et jeter dans la rue. Les Dominicains sortirent de Toulouse en chantant le Symbole de la Foi, le Te Deum et le Salve Regina. Ils furent bientôt obligés de se disperser, les consuls ayant interdit aux citadins de pourvoir à leur subsistance. Le prieur se rendit à Rome pour rendre compte à Grégoire IX de l'attentat dont les Dominicains avaient été victimes, de l'assentiment et même sur l'ordre du comte de Toulouse. L'évêque Raymond du Fauga fut à son tour expulsé de la ville.

Sans doute Raymond VII ne pouvait-il guère espérer voir le pape approuver cet acte de rébellion; cependant, les abus dont les Dominicains de Toulouse s'étaient rendus coupables devaient être si criants qu'il pensait pouvoir justifier sa conduite même devant le pape; en effet, il persistera toujours, tout en affirmant sa fidélité à l'Église, à supplier le pape de ne pas lui imposer la présence des Dominicains, ou tout au moins de ne plus confier à ces derniers l'exercice de l'Inquisition.

Informé de ce qui s'était passé à Toulouse, le pape adressa une lettre des plus sévères à Raymond VII; il y déclare notamment avoir appris que les consuls avaient défendu aux bourgeois de Toulouse de vendre ou de donner quoi que ce soit à l'évêque et même à son clergé, qu'ils ont saisi la maison de l'évêque, blessé des chanoines et des clercs, défendu à l'évêque et aux prêtres de prêcher en public, etc.; que le comte négligeait de payer leurs salaires aux professeurs de la nouvelle Université, ce qui avait amené la cessation des études; que le comte et les consuls avaient défendu à quiconque de comparaître en justice devant les inquisiteurs sous peine de punition corporelle et de confiscation des biens; après l'énumération de tous ces faits et de beaucoup d'autres - faits infiniment plus graves que ceux qui avaient jamais été reprochés à Raymond VI mort excommunié, - le pape menace le comte d'une nouvelle excommunication s'il persiste dans sa politique d'hostilité à l'égard de l'Église167.

Or, Raymond VII tenait à vivre en paix avec l'Église et l'avait déjà prouvé en arrêtant lui-même Pagan de La Bessède et en consentant au procès des Niort. Sa conduite était celle d'un chef d'État qui se voit obligé de satisfaire, fût-ce dans une faible mesure, aux revendications de ses sujets; craignant à la fois la guerre avec la France et l'excommunication, il ne favorisait pas l'hérésie; il cherchait à éviter des désordres et des troubles graves. Et sans doute parvint-il à convaincre partiellement le pape et le roi; car le roi (ou plutôt sa mère) écrivit au pape pour lui faire part des griefs du comte contre les inquisiteurs, et le 3 février 1236 le pape écrivait à l'archevêque de Vienne, légat de la Province, lui donnant des instructions en vue de restreindre les pouvoirs des inquisiteurs, lesquels finirent par reprendre leurs fonctions "du consentement et de la volonté du comte de Toulouse". Mais si le pape leur avait recommandé la douceur, il ne semble pas qu'ils aient tenu compte de cette recommandation, ni que leurs pouvoirs effectifs aient été diminués.

Dès le retour des inquisiteurs à Toulouse les procès recommencèrent, avec plus de violence qu'auparavant. Un grand nombre de personnes furent dénoncées par le parfait Raymond Gros qui était venu se convertir spontanément; ses révélations causèrent beaucoup de procès posthumes, et de nombreux défunts de la haute bourgeoisie et de la noblesse furent exhumés et livrés aux flammes. En septembre 1237 il y eut également une véritable rafle sur les cimetières, et les tombes d'une vingtaine de personnes des plus respectées dans la ville furent violées, leurs ossements ou leurs cadavres décomposés furent traînés par les rues sur des claies, tandis que le crieur public proclamait les noms des défunts et criait: "qui atal fara, atal pendra" (qui ainsi fera, ainsi prendra).

Quant aux vivants, G.Pelhisson en cite une dizaine environ qui furent brûlés, mais les condamnations à mort étaient plus faciles à prononcer qu'à exécuter; plusieurs condamnés appartenaient à des familles nobles ou consulaires, et les inquisiteurs, semble-t-il, n'avaient pas eu la possibilité de s'emparer de leurs personnes, car le viguier et les consuls avaient refusé de les arrêter, ce qui leur valut une nouvelle excommunication. Protégés par les autorités, les hérétiques notoires de Toulouse quittaient le pays, et allaient se réfugier soit dans des cachettes ignorées des inquisiteurs, soit au château de Montségur qui était un lieu de refuge pratiquement inviolable et était devenu le centre officiel de la résistance cathare.

Tout comme à Toulouse, l'Inquisition rencontrait dans les terres soumises au roi de France une résistance parfois sourde, parfois violente, mais obtenait un succès certain par la peur qu'elle inspirait. À ses débuts, en 1233, elle eut deux martyrs, car deux inquisiteurs venus enquêter à Cordes y furent assassinés au cours d'une émeute. Ils ne s'aventurèrent ensuite dans les campagnes qu'avec une escorte armée; mais à Albi, en 1234, l'inquisiteur Arnaud Cathala, ayant décidé d'aller lui-même déterrer une femme morte hérétique (le viguier s'y étant refusé), se vit traîné hors du cimetière, roué de coups et menacé de mort par la foule.