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Un grand nombre de personnes furent ainsi dénoncées, quand elles ne l'étaient pas déjà par les autorités locales; durant le temps de grâce, elles avaient encore la ressource de se présenter d'elles-mêmes, ce que beaucoup faisaient, se sachant de toute façon compromises. Ceux qui ne le faisaient pas étaient passibles de poursuites. Ces poursuites consistaient, d'abord, en une citation écrite, remise en mains propres, après réception de laquelle le suspect devait se présenter devant le tribunal. Il était interrogé hors de la présence de témoins, et sans se voir communiquer la nature exacte des charges relevées contre lui. Dans ces conditions l'accusé avouait souvent plus qu'on ne lui en demandait, croyant les juges mieux renseignés qu'ils ne l'étaient. Si les faits reprochés à lui étaient graves, il était mis en prison en attendant le jugement; il l'était presque toujours s'il refusait d'avouer ses fautes; or, le cas était d'autant plus fréquent que l'aveu impliquait l'obligation de compromettre des coreligionnaires, ce à quoi les personnes honorables se refusaient, même quand elles n'étaient pas vraiment hérétiques. S'il n'était pas mis en prison, l'accusé restait, en quelque sorte, en liberté surveillée, sous caution d'une forte somme d'argent, et sans le droit de quitter la ville. Mais une fois en prison il tombait entièrement au pouvoir des juges, et ne pouvait bénéficier d'aucune espèce de garantie ni d'aucun secours du dehors.

L'inquisiteur était, à lui seul, juge, procureur et juge d'instruction. Les autres religieux qui l'assistaient ne pouvaient servir que de témoins, de même que le notaire qui enregistrait les dépositions. Donc, il n'y avait ni délibérations ni conseil, la seule volonté de l'inquisiteur décidait de la culpabilité du prévenu et de la peine qu'il méritait. Les aides de l'inquisiteur, s'ils n'avaient aucun pouvoir, étaient chargés d'obtenir des aveux, la seule personne de l'inquisiteur ne pouvant y suffire. Ceux qui refusaient d'avouer étaient soumis à des interrogatoires serrés au cours desquels il leur arrivait souvent de se trahir; sinon, ils étaient mis en prison, dans des conditions si dures qu'une détention plus ou moins prolongée forçait les plus rebelles à se soumettre. Les cachots où ces suspects récalcitrants étaient enfermés étaient parfois si exigus qu'on ne pouvait s'y tenir ni couché ni debout; sans lumière, telles les prisons de Carcassonne ou du château des Allemans, à Toulouse; aux plus endurcis on mettait des fers aux mains et aux pieds; on les torturait également par la faim et la soif. Il est certain que les personnes qui, plutôt que de parler, acceptaient de subir pendant des mois, parfois pendant des années, un traitement pareil, n'étaient qu'une infime minorité; pour beaucoup la menace seule suffisait.

Cependant, confrontés avec des prévenus susceptibles de fournir des renseignements et assez fermes pour résister aux menaces, les inquisiteurs n'avaient pas toujours le temps de les laisser "pourrir" dans les prisons; à ceux-là, il était permis d'appliquer la torture, procédé légalement admis par la justice civile pour la découverte de crimes graves, mais dont la justice ecclésiastique devait, en principe, s'abstenir. En fait, elle la pratiquait aussi, avec cette réserve qu'il ne devait pas s'ensuivre de mort ou de mutilation, ni d'effusion de sang; l'effusion de sang constituant, pour les clercs, une irrégularité canonique. Depuis les temps les plus anciens, l'Église utilisait, pour châtier les coupables ou obtenir des aveux, la flagellation au moyen de verges ou de courroies; mais ce procédé, savamment utilisé, pouvait être égalé aux tortures les plus cruelles. Du reste, la torture, rendue légale pour l'Inquisition en 1252169, était certainement appliquée bien avant cette date, comme elle l'était par les tribunaux épiscopaux aux XIe et XIIe siècles: il n'y a aucune raison de croire que des juges qui avaient si rapidement semé la terreur dans toute une province se fussent abstenus de moyens de contrainte que les tribunaux réguliers employaient déjà.

Si l'accusé soumis à la torture consentait à parler, il devait réitérer ses aveux hors de la chambre de torture, devant un greffier, et en déclarant que ces aveux étaient volontaires et non obtenus par contrainte; s'il s'y refusait (un seul cas de ce genre est connu, cité par B. Gui dans les "sentences de l'Inquisition de Toulouse"), il devenait plus suspect qu'auparavant, considéré comme relaps et soumis à la torture de nouveau. Si, malgré la torture, il refusait de parler, l'inquisiteur était libre de le mettre à la question le lendemain et autant de fois qu'il serait nécessaire.

Il est vrai que dans la majorité des cas l'"emmurement" (emprisonnement), dans sa forme la plus dure, était considéré comme une torture suffisante. Mais l'on a enregistré des cas - très rares - de parfaits qui, dans leur prison, ont tenté de mettre fin à leurs jours par la grève de la faim; ceci devait leur être reproche comme une preuve de leurs convictions hérétiques et accrédita la légende de leur tolérance à l'égard du suicide.

L'aveu, que l'inquisiteur cherchait à obtenir à tout prix, n'était pas à proprement parler nécessaire pour justifier une condamnation, puisqu'il suffisait, pour prouver qu'un homme est bien hérétique, qu'il ait été dénoncé comme tel par deux témoins; mais dans la pratique les inquisiteurs obtenaient presque toujours les aveux de l'inculpé avant de le condamner. Il faut croire que, malgré les apparences, les témoignages n'étaient pas si faciles à obtenir, du moins au début; les gens qui venaient se confesser accusaient surtout soit des morts, soit des personnes qu'ils savaient hors d'atteinte, ce qui explique les très nombreux procès posthumes et par contumace. Avec les années, les témoignages se firent de plus en plus nombreux, les dénonciations, faisant boule de neigé, livraient aux soupçons des inquisiteurs les voisins, les parents, les amis des suspects, les uns après les autres; et de ceux-là, à leur tour, on exigeait de nouveaux noms, de nouvelles précisions, des révélations de refuges d'hérétiques, etc. Encore la capture des hérétiques proprement dits, des parfaits, n'était-elle jamais facile: G. Doumenge, l'homme qui, pour sauver sa vie, avait, en 1234, fait arrêter sept parfaits à Cassés, fut, peu de temps après, assassiné dans son lit; à Laurac, un sergent qui avait arrêté six parfaites et la mère du chevalier Raymond Barthe fut ensuite pendu par ce chevalier. La capture était dangereuse pour le traître, car seuls des initiés connaissaient les refuges des parfaits. La simple indication de noms touchait surtout des croyants peu actifs, la masse des fidèles de l'Église cathare, et pour ceux-là la vie commençait à devenir intenable.

Ceux qui avaient le courage d'affronter toutes les épreuves menaient une vie clandestine, se réfugiaient dans des asiles imprenables comme Montségur ou Quéribus, ou dans des régions comme le Lauraguais et le comté de Foix où l'hérésie restait assez puissante pour tenir tête à l'Église; capturés, ils devenaient martyrs. Les prisons de Carcassonne, de Toulouse, d'Albi étaient pleines (à Carcassonne il fallut en construire de nouvelles), les condamnations à la réclusion étaient presque toujours des condamnations à perpétuité.

À la différence de ce qui se passait avant 1229, les hérétiques revêtus n'étaient pas seuls à encourir la peine de mort; nous avons vu l'indignation des gens de Toulouse qui, lors de la première condamnation de Jean Tisseyre, avaient voulu empêcher les juges de brûler un homme marié; on n'exécutait plus les seuls parfaits, mais aussi des croyants obstinés, ce qui augmentait la terreur qu'inspiraient les inquisiteurs: tout homme, à présent, pouvait, avec un peu d'imagination, se croire promis au bûcher.