On comprend la sensation d'écœurement, d'étouffement progressif qui devait envahir le peuple soumis à un régime pareil. D'autres époques devaient connaître, plus tard, le poids de terreurs policières analogues; mais c'est à l'Inquisition dominicaine que revient l'honneur d'avoir inventé le système. La voie était tracée, les imitateurs ne manquèrent pas de la suivre, et de la perfectionner; et il semble même qu'il ne leur restât plus grand-chose à trouver, à part des améliorations d'ordre purement technique.
Mais dans les premières années, la résistance fut âpre, quoique condamnée d'avance à l'échec, à cause de l'appui total que la papauté accorda jusqu'au bout à sa nouvelle arme de combat.
160 G.Pelhisson, op. cit., p. 95.
161 G.Pelhisson, op. cit., p. 98.
162 G.Pelhisson, op. cit., p. 98.
163 Bernard Gui, Libellis de Ordine Praedicatorum, Recueil des Hist. des Gaules, t. XXI, pp. 736-737.
164 G.Pelhisson, op. cit., p. 98
165 Idem.
166 G.Pelhisson, op. cit., p. 98.
167 Registres de Grégoire IX, n° 3187.
168 Tel ce meunier de Belcaire qui était venu s'accuser du méfait suivant: des femmes en visite chez lui ayant souhaité à son moulin la protection de Dieu et de saint Martin, il leur avait répondu que c'était lui et non Dieu qui avait fabriqué le moulin et se chargerait de le faire bien marcher.
169 La bulle Ad exlirpanda, d'Innocent IV, en date du 15 mai 1252.
170 Bernard Gui, op. cit., ch. I. §5.
171 Doat, t. XXII, p. 142; t. XXIII, p. 165.
CHAPITRE XI
LA RÉSISTANCE CATHARE
I - ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE
Les cathares désarmaient d'autant moins que la persécution leur fournissait les meilleurs arguments pour leur propagande: une preuve tangible, si l'on peut dire, du caractère diabolique de l'Église qu'ils combattaient.
D'ailleurs, ils ne croyaient pas leur cause perdue: les Églises de Bosnie, de Bulgarie, de Lombardie étaient puissantes et disputaient le terrain à l'Église de Rome, parfois victorieusement, comme c'était le cas des pays slaves. Ces Églises sœurs leur envoyaient des émissaires, des lettres d'encouragement, des secours. En 1243, en pleine bataille de Montségur, l'évêque cathare de Crémone enverra un messager à l'évêque Bertrand Marty pour l'assurer que son Église jouit d'une paix profonde et pour lui demander l'envoi à Crémone de deux parfaits. Ces pays où leur Église jouissait d'une paix profonde (qui n'allait pas toujours durer) pouvaient attirer, comme une Terre promise, beaucoup d'hérétiques et de croyants lassés par les persécutions; beaucoup de cathares, dès les années 1230-1240, émigrèrent en Lombardie.
Les plus courageux, les plus combatifs restaient à leur poste, préférant risquer la mort et ne pas abandonner leurs fidèles. Ils organisaient leur vie clandestine en attendant des jours meilleurs. Si G.Pelhisson constate que les hérétiques faisaient, en ce temps-là, plus de mal que pendant la guerre, c'est que, très probablement, les parfaits étaient sortis de leur attitude sinon passive du moins pacifiste, et encourageaient et absolvaient les actes de violence. Cette religion qui répugnait à l'effusion de sang, et interdisait à ses ministres le meurtre d'un poulet ou d'une souris, avait, elle aussi, trouvé un biais pour justifier la violence: certains êtres étant, non des âmes déchues accomplissant leur pénitence, mais des incarnations directes de la force du mal, ce n'était pas un crime de les supprimer. Les inquisiteurs et leurs complices ne pouvaient manquer d'être rangés au nombre de ces créatures diaboliques. D'ailleurs, les parfaits n'avaient nul besoin de pousser à la violence des gens qui n'y étaient que trop portés. Mais ils pouvaient jouer un rôle politique, et user de leur influence sur les seigneurs croyants pour les engager à la lutte, en leur faisant valoir l'avantage spirituel qu'ils en retireraient.
C'est à cette époque que fut institué par eux le pacte de la convenensa, qui ne semble pas avoir été pratiqué avant: lié par ce pacte, le croyant pouvait recevoir le consolamentum in extremis, même si, par des blessures ou pour quelque autre cause, il se trouvait privé de l'usage de la parole. (Plus tard, cette coutume devait se généraliser, pour des raisons assez évidentes: ne pouvant consentir à administrer le sacrement à des inconnus, par peur de tomber dans un piège, les parfaits trouvèrent ce moyen de dénombrer leurs fidèles; l'homme lié par la convenensa imposait, par ce fait même, aux parfaits l'obligation morale de le consoler à son lit de mort, si du moins il y avait possibilité matérielle).
La vie des cathares, en devenant clandestine, gagnait en intensité et en ferveur: les croyants tièdes, ou ceux qui, déjà (comme c'était le cas avant 1209, et même après la reconquête du pays par le comte), devenaient hérétiques par intérêt ou par respect des convenances, étaient peu à peu éliminés de la communauté. Les auditeurs des réunions hérétiques n'en étaient pas moins nombreux, puisque leurs rangs étaient grossis par tous ceux qui, mécontents du régime nouveau, trouvaient dans les Églises hérétiques les seules véritables organisations de résistance. En cette période, l'action des vaudois était devenue plus puissante que pendant la croisade; les deux Églises autrefois rivales faisaient front commun, et les registres citent de nombreux parfaits vaudois prêchant dans le Languedoc, surtout dans la région de l'Ariège.
L'apostolat de ces hommes était difficile; ils l'exerçaient avec constance, car ce n'était pas la crainte du danger qui les forçait à vivre dans des huttes de charbonniers, des cabanes de branchages au fond des forêts, des métairies abandonnées - à Montségur, à Quéribus, voire en Lombardie, ils eussent joui d'une sécurité plus grande que dans ces abris précaires. Ils menaient une vie vagabonde et traquée afin de pouvoir continuer leur activité et être proches de ce peuple qui leur restait fidèle ou qu'ils espéraient reconvertir à leur foi.
Arrivés dans les environs d'un village ou d'un bourg, le parfait et son socius commençaient par se trouver un abri sûr: parfois dans la maison d'un croyant, lorsque la localité n'était pas étroitement surveillée par l'autorité ecclésiastique (et ces pays étaient nombreux; à commencer par les châteaux des seigneurs de Niort ou d'autres féodaux moins puissants tels Lanta Jourda, le sire de Calhavel, la plus grande partie de la noblesse de Fanjeaux, de Laurac, de Miramont, etc.; et c'étaient parfois les bailes du comte qui désignaient eux-mêmes aux parfaits les maisons "sûres" où ils pouvaient être reçus. Des bourgs comme Sorèze, Avignonet, Saint-Félix avaient des curés sinon hérétiques du moins sympathisants). Le plus souvent les prédicateurs errants s'arrêtaient dans quelque retraite située en dehors de la ville, tant pour ne pas courir le risque d'être reconnus que pour ne pas compromettre les personnes qui leur offraient l'hospitalité. Leur présence n'était révélée qu'à des croyants dont on pouvait être sûr, et les cathares entretenaient un vaste réseau d'agents secrets qui servaient de messagers et de guides. Si le pays était sous la surveillance d'un curé ou d'un baile notoirement catholique, les croyants étaient obligés d'user de prétextes divers pour s'éloigner de la ville; les pauvres allaient ramasser du bois mort, les femmes cueillir des champignons ou des baies; les nobles allaient à la chasse; et encore ne fallait-il pas qu'il y eût un exode par trop massif de paroissiens, et ces expéditions ne pouvaient s'effectuer que par petits groupes ou à plusieurs jours de distance.