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C'était, en général, sur des clairières en pleine forêt que les parfaits réunissaient leurs auditeurs; à proximité des bourgs, c'était la nuit que ces réunions avaient lieu; les bourgeois profitaient de l'obscurité pour sortir de la ville sans être vus. Plusieurs de ces réunions furent surprises par des battues d'hommes d'armes, ou au moyen d'espions (exploratores) payés par les inquisiteurs. La plus importante de ces battues fut celle où le comte de Toulouse fit arrêter Pagan de La Bessède et dix-huit hérétiques; la plupart du temps ceux qui recherchaient ainsi les hérétiques ne disposaient pas de forces importantes, et risquaient leur vie en s'aventurant dans une forêt où les croyants, parmi lesquels se trouvaient souvent des militaires, montaient la garde pendant les prédications et les cérémonies célébrées en plein air; surpris au milieu d'une réunion, les hérétiques parvenaient le plus souvent à s'enfuir: ainsi le dominicain Raoul venu avec une escorte pour arrêter les hérétiques sur les indications d'une espionne, dans un bois près de Fanjeaux, ne parvint à en prendre qu'un seul; en 1234, le curé Pierre, cherchant les hérétiques, tomba dans un guet-apens tendu par le baile du pays; il réussit à s'échapper mais son compagnon fut tué. En 1237, deux parfaites furent capturées et brûlées à Montgradail, deux à Saint-Martin-la-Lande, deux à Villeneuve près de Montréal. Les femmes, soit plus actives que les hommes, soit plus imprudentes parce qu'elles se sentaient moins menacées, se faisaient, semble-t-il, prendre plus souvent. Une fois, l'abbé de Sorèze avait envoyé un agent (nuncius) pour arrêter deux parfaites qui séjournaient dans le bourg; les femmes du pays s'opposèrent à cette arrestation en attaquant l'agent de l'abbé à coups de bâton et de pierres; et lorsque l'abbé vint leur reprocher leur conduite, elles tournèrent en ridicule le nuncius en déclarant qu'il avait pris pour des hérétiques deux braves femmes mariées. Mais les parfaites surprises seules au milieu des bois ou dans un bourg où la population était moins résolue ou moins hostile aux catholiques passaient, semble-t-il, assez rapidement de la prison au bûcher; il faut croire que les inquisiteurs savaient d'avance qu'il n'y avait rien à tirer d'elles.

Jean Guiraud rapporte, dans son ouvrage sur l'Inquisition, l'histoire de Guillelme de La Mothe qui, elle, raconta au moins une partie de ses tribulations avant d'être brûlée: avec sa compagne, elle demeura, après 1230, dans le bois d'un certain Pierre Belloc, puis dans un autre bois, le Bosc-Blanc, pendant trois semaines; puis des croyants vinrent les conduire dans la forêt de Salabose, puis dans celle d'Avellanet où elles vécurent un an; puis, passant de forêt en forêt, dans la région de Lanta, elles finirent par être conduites par le parfait G. Roger dans le bois de la Garrigue, puis vécurent quelques mois chez des croyants: chez un certain Pons Rivière, neuf mois entiers; puis, en 1240, elles ne firent que passer dans des maisons où on les recevait quelques jours par-ci quelques jours par-là; puis dans une cabane de forêt à nouveau; transférées ainsi de bois en métairie, de bourg en forêt, par des croyants qui cherchaient à les mettre en sûreté, par des parfaits qui leur donnaient de nouvelles instructions, elles finirent par être prises dans une forêt du Lantarès à Gratiafides. Guillelme de La Mothe ne raconta tout cela qu'après un an de prison. Toutes les personnes nommées par elle devenaient de ce fait receptatores haereticorum, et passibles du jugement et de la prison. Cette femme et sa compagne avaient vécu cette vie dangereuse pour servir la cause de leur Église; et ce n'était pas pour obtenir l'indulgence des juges que Guillelme parla, puisqu'elle fut brûlée172.

Si grands que fussent la confiance et le dévouement des croyants pour les parfaits, ils savaient que les plus courageux pouvaient être amenés, par des tortures, à les trahir. C'est pourquoi, dans les régions les moins sûres - et jusque dans les environs de Toulouse - les hérétiques se construisaient des cabanes dans les bois, où leur présence était en général connue des fidèles et où l'on pouvait venir les chercher s'il s'agissait de consoler un mourant ou de prendre part à quelque cérémonie du culte.

Ne pouvant se ravitailler eux-mêmes, les parfaits vivaient de la charité des croyants; charité bien organisée et largement suffisante, si l'on en croit les témoignages des personnes qui ont reconnu avoir porté à des hérétiques des vivres, des vêtements, de l'argent. Pain, farine, miel, légumes, raisin, figues, noix, pommes, noisettes, fraises... poissons frais ou même en pâté ou en ragoût, vin, pains, fouaces, plats modestes ou même délicats préparés par des femmes du peuple qui pouvaient se rendre en forêt ou y envoyer leurs enfants sans éveiller de soupçons; des croyants plus riches fournissaient aux refuges hérétiques des setiers de blé, des boisseaux de vin - et du meilleur vin de leur cave.

Des femmes faisaient des collectes pour ramasser de la laine avec laquelle les ermites forcés tissaient eux-mêmes leurs vêtements ou des vêtements pour des frères plus pauvres; les marchands de tissus donnaient des étoffes, d'autres des vêtements tout faits, des gants, des bonnets; d'autres donnaient des plats, des carafes, des rasoirs, etc. Tous ces dons ont été connus parce que leurs auteurs ont eu à en répondre devant la justice.

Parfois, tant pour gagner leur vie que pour dissimuler leur ministère, les parfaits exerçaient des métiers; on signale des parfaits cordonniers ou boulangers, des parfaites employées à filer la laine ou à tenir la maison de croyants fortunés. Les parfaits vaudois, en particulier, tenaient à vivre de leur travail et on en cite qui furent tonneliers, coiffeurs, bourreliers, maçons. Les hérétiques, après 1229, exercèrent moins souvent le métier de tisserand, cette corporation étant particulièrement suspecte d'hérésie; mais certains restèrent tisserands même au temps de l'Inquisition.

Beaucoup de parfaits cathares et vaudois jouissaient d'une haute réputation comme médecins et pouvaient, à ce titre, rendre service aux croyants qui les aidaient et les accueillaient; leurs adversaires n'ont pas manqué d'insinuer que c'était là un bon moyen de capter la confiance des gens et d'obtenir des legs pour leur Église en cas de maladie mortelle. C'était, en effet, un moyen comme un autre. Pour mieux gagner cette confiance, beaucoup d'entre eux, surtout les vaudois, n'acceptaient pas d'argent et fournissaient eux-mêmes les remèdes. Le vaudois P. de Vallibus, le cathare Guillaume d'Ayros allaient de village en village, de château en château, aussi occupés à soigner les malades qu'à prêcher. Il semble qu'il y ait eu là plus qu'une tactique de propagande, de véritables vocations de médecins, bien naturelles chez des hommes qui consacraient leur vie à la pratique de la charité. L'exercice de la médecine leur était, bien entendu, interdit, et ils se rendaient suspects par le seul fait de s'obstiner à soigner les malades.