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Raynier Sacchoni, dans sa Somme (écrite en 1250), reproche aux cathares leur amour de l'argent et ajoute honnêtement que les persécutions dont ils étaient victimes leur créaient l'obligation de disposer de sommes importantes. Ne pouvant posséder ni terres, ni maisons, ni entreprises de commerce, et réduite peu à peu à l'illégalité totale, l'Église cathare ne pouvait continuer à exercer son activité que grâce à des dons en argent; elle en avait besoin moins pour l'entretien de ses ministres (qui, grands jeûneurs, dépensaient peu pour eux-mêmes) que pour l'achat et la diffusion de leurs livres sacrés et de leur littérature apologétique ou polémique; pour l'organisation des services de liaison, des réunions, dont le succès dépendait souvent du silence de quelque fonctionnaire intéressé; pour les déplacements, les voyages, les secours aux croyants nécessiteux. Partout et toujours, l'argent était un puissant moyen d'action, surtout pour des gens dont la tête était mise à prix. Ainsi, en 1237, le baile de Fanjeaux arrêta l'évêque Bertrand Marty lui-même avec trois parfaits, et les laissa repartir contre la somme de trois cents sous toisas que des croyants ramassèrent aussitôt sur place au moyen d'une quête. Pour un cas de corruption connu, des dizaines ont dû rester secrets; et des hommes, sans cesse à la merci du premier misérable qui leur ferait le chantage à la dénonciation, ne devaient guère éprouver de scrupules à acheter leur vie à prix d'or.

Les parfaits étaient riches et réputés pour tels. Ils payaient généreusement les services qu'on leur rendait. Ne pouvant porter de fortes sommes sur eux (c'était fort difficile à l'époque où les billets de banque n'existaient pas), ils en confiaient la garde à des personnes sûres, lesquelles, à leur tour, les enterraient dans des cachettes connues d'elles seules; et ces trésors devaient être mis à la disposition de l'Église cathare en cas de besoin urgent. Les sommes importantes que les cathares possédaient dans toutes les régions où ils exerçaient leur ministère provenaient d'abord de legs que les croyants consolés leur faisaient à leur lit de mort; pour les croyants riches, ces legs étaient pour ainsi dire obligatoires, et même les personnes de petite condition léguaient leurs vêtements, leur lit ou divers objets mobiliers. Une autre source de revenus était fournie par des collectes faites pour l'Église par des hommes de confiance, collectes qui recueillaient des dons en argent et en nature.

La vie clandestine des cathares semble avoir été bien organisée à l'époque des premières années de l'Inquisition: les registres des inquisiteurs font état de diverses catégories de croyants fauteurs d'hérétiques: les receptatores, délit le plus commun - ceux qui accordaient l'hospitalité aux parfaits; les nuncii, agents de liaison, guides ou messagers; les quaestores ou collecteurs de fonds; les depositarii ou dépositaires chargés de la garde des trésors. Toutes ces fonctions n'étaient évidemment pas rigoureusement délimitées, et les noms donnés à ces croyants servaient plutôt à qualifier la nature du délit, aucun croyant, et pour cause, ne se parait du titre de quaestor ou nuncius haereticorum. L'organisation n'en existait pas moins en fait, et plus la persécution devenait serrée, plus les liens qui unissaient les cathares et leurs fidèles devenaient rigoureux; le danger, qui rebutait les plus faibles, devenait un stimulant pour les natures généreuses; et même ceux dont la foi était médiocre devaient hésiter quand ils n'avaient plus d'autre alternative que le choix entre la fidélité et la trahison, et préféraient s'exposer aux dangers de poursuites plutôt que de trahir.

II - LE SANCTUAIRE DE MONTSÉGUR

Les cathares possédaient la forteresse de Montségur qui, au vu et au su de tous, était le centre officiel de l'Église cathare du Languedoc. Des chevaliers, accompagnés de leurs familles, y venaient en pèlerinage, des hommes du peuple s'y rendaient en secret, séparément ou par groupes, pour pouvoir assister librement au culte de leur Église, recevoir les bénédictions des bons hommes, leur demander des conseils ou des instructions sur la lutte à mener contre l'ennemi.

Ce château, situé sur les terres qui appartenaient à Guy de Lévis, maréchal de la foi et nouveau suzerain du Mirepoix, avait fait, semble-t-il, partie de l'héritage d'Esclarmonde, sœur de Raymond-Roger de Foix, et était tenu par Raymond de Perella, vassal des comtes de Foix; à ce puissant seigneur, personne ne contestait son domaine, parce que Montségur passait pour un nid d'aigle impossible à prendre d'assaut et était situé en pleine montagne, loin des grandes routes, dans un pays notoirement dévoué à l'hérésie; ni les croisés ni les troupes du roi n'avaient jugé utile de prendre cette forteresse d'un médiocre intérêt stratégique et dont le siège eût présenté d'immenses difficultés173.

Située sur le versant nord des Pyrénées, perdue au milieu de sommets de moyenne altitude (2000 à 3000 m) dominant, de trois côtés, des vallées profondes, la montagne ou pic de Montségur (1207 m) est un immense rocher arrondi, en forme de pain de sucre, et auquel on ne peut accéder que par son versant ouest, qui lui-même descend vers la vallée en pente fort raide et découverte. Le château construit au sommet, très petit, ne pouvait abriter de défenseurs nombreux, à plus forte raison servir d'habitation en temps de paix à une grande communauté. Les hérétiques qui se réfugiaient à Montségur logeaient dans le village situé au pied de la montagne et dans de nombreuses cabanes construites sur le versant ouest et dans le rocher; depuis le passage de Guy de Montfort aucune armée ennemie n'avait pénétré dans ces terres peu hospitalières et bien gardées, et autour de Montségur s'était formée, après la croisade, une véritable colonie cathare, si importante que des marchands des villes voisines y affluaient, toujours sûrs d'y trouver de la clientèle: le bourg perdu était en train de devenir un marché comme tout lieu de pèlerinage, car c'était bien ce qu'était Montségur.

En 1204, le château, considéré depuis longtemps par les cathares comme un lieu particulièrement propice à leur culte, tombait en ruines; et les parfaits demandèrent à son seigneur, R. de Perella, de le remettre en état et de le fortifier, ce qui fut fait, bien qu'à cette époque les cathares n'eussent pas un besoin urgent de se défendre. Cette demande prouve en elle-même que Montségur représentait pour les hérétiques autre chose qu'un éventuel refuge contre leurs ennemis. Dès le début du siècle, les évêques cathares et, en particulier, Guilhabert de Castres, venaient y prêcher; Esclarmonde de Foix, dont les droits sur Montségur semblent assez imprécis et dont la personnalité reste mystérieure, devait jouir d'une grande influence dans le pays, puisque Foulques lui rend un hommage indirect en déclarant qu'"avec sa mauvaise doctrine, elle a fait nombre de conversions174". Que cette grande dame, devenue parfaite en 1206, ait contribué ou non à rehausser le prestige de Montségur, c'est du début du XIIIe siècle que date l'intérêt tout particulier des cathares pour ce château. En 1232, Raymond de Perella en est le seul seigneur, et c'est à lui que Guilhabert de Castres demande la permission de faire de cette place le refuge officiel de l'Église cathare.

À cette époque, G. de Castres était le maître spirituel incontesté de la région et faisait à Montségur des séjours fréquents. Il n'y restait d'ailleurs pas longtemps et continuait à mener la vie vagabonde des ministres cathares. Mais des parfaites dont les couvents - autrefois lieux de retraite pour nobles veuves et maisons d'éducation pour jeunes filles pieuses - avaient été dispersés par la tourmente, se réfugièrent en grand nombre dans les environs de Montségur et se construisirent des cabanes sur la muraille de rocher; les parfaits, qui menaient une vie contemplative ou instruisaient dans la foi des candidats à l'apostolat, se voyaient également forcés de se chercher un refuge où ils pouvaient se consacrer à une vie de prière et d'étude. Au pied des murs du château s'édifia, peu à peu, un village de cabanes à moitié creusées dans le roc, à moitié suspendues dans les airs au-dessus des précipices; abri inaccessible et inconfortable qui ne devait pas répugner au tempérament ascétique de ces chercheurs de Dieu.