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Et quand je crayonne un art, c'est parmi les plus grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modèles; tous les efforts du génie… Mais je m'éloigne trop de mon sujet; revenons au Barbier de Séville… ou plutôt, Monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberais dans le défaut reproché trop justement à nos Français, de toujours faire de petites chansons sur les grandes affaires et de grandes distractions sur les petites.

Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre humble et très obéissant serviteur.

L'AUTEUR.

Le Barbier de Séville

Comédie

ACTEURS

Les habits des acteurs doivent être dans l'ancien costume espagnol.

LE COMTE ALMAVIVA, grand d'Espagne, amant inconnu de Rosine paraît, au premier acte, en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun, ou cape espagnole; chapeau noir rabattu avec un ruban de couleur autour de la forme. Au deuxième acte, habit uniforme de cavalier, avec des moustaches et des bottines. Au troisième, habillé en bachelier; cheveux ronds, grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'abbé. Au quatrième acte, il est vêtu superbement à l'espagnole avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé.

BARTHOLO, Médecin, tuteur de Rosine habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate.

ROSINE, jeune personne d'extraction noble, et pupille de Bartholo habillée à l'espagnole.

FIGARO, barbier de Séville en habit de majo espagnol. La tête couverte d'une rescille, ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur autour de la forme, un fichu de soie attaché fort lâche à son cou, gilet et haut-de-chausses de satin, avec des boutons et boutonnières frangés d'argent; une grande ceinture de soie, les jarretières nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris.

DON BAZILE, organiste, maître à chanter de Rosine chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes.

LA JEUNESSE, vieux domestique de Bartholo

L'ÉVEILLÉ, autre valet de Bartholo, garçon niais et endormi tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de même, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par-derrière.

UN NOTAIRE

UN ALCADE, homme de justice avec une longue baguette blanche à la main.

PLUSIEURS ALGUAZILS et VALETS avec des flambeaux.

La scène est à Séville, dans la rue et sous les fenêtres de Rosine, au premier acte; et le reste de la pièce dans la maison du docteur Bartholo.

Acte I

Le théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées.

Scène I

LE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu.

Il tire sa montre en se promenant.

Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop tôt, que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle…

Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le coeur de Rosine… Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles?… Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même! Et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement… Au diable l'importun!

Scène II

FIGARO, LE COMTE, caché

FIGARO, une guitare sur le dos, attachée en bandoulière avec un large ruban; il chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main.

Bannissons le chagrin, Il nous consume:

Sans le feu du bon vin

Qui nous rallume,

Réduit à languir,

L'homme, sans plaisir,

Vivrait comme un sot,

Et mourrait bientôt.

Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein?

Et mourrait bientôt…

Le vin et la paresse

Se disputent mon coeur.

Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble…

Se partagent… mon coeur.

Dit-on: se partagent?…

Eh! mon Dieu, nos faiseurs d'opéras comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante. (Il chante.) Le vin et la paresse

Se partagent mon coeur.

Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. (Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)

Se partagent mon coeur.

Si l'une a ma tendresse…

L'autre fait mon bonheur.

Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça… Il me faut une opposition, une antithèse:

Si l'une… est ma maîtresse, L'autre…

Eh! parbleu, J'y suis.

L'autre est mon serviteur

Fort bien, Figaro!… (Il écrit en chantant.)

Le vin et la paresse

Se partagent mon coeur.

Si l'une est ma maîtresse,

L'autre est mon serviteur.

L'autre est mon serviteur.

L'autre est mon serviteur.

Hem, hem, quand il y aura des accompagnements là-dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis… (Il aperçoit le comte.) J'ai vu cet abbé-là quelque part. (Il se relève.)

LE COMTE, à part. Cet homme ne m'est pas inconnu.

FIGARO. Eh non, ce n'est pas un abbé! Cet air altier et noble…

LE COMTE. Cette tournure grotesque…

FIGARO. Je ne me trompe point,: c'est le comte Almaviva.

LE COMTE. Je crois que c'est ce coquin de Figaro.

FIGARO. C'est lui-même, Monseigneur.

LE COMTE. Maraud! si tu dis un mot…

FIGARO. Oui, je vous reconnais; voilà les bontés familières dont vous m'avez toujours honoré.

LE COMTE. Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras…

FIGARO. Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la misère.

LE COMTE. Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? Je t'avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi.

FIGARO. Je l'ai obtenu, Monseigneur; et ma reconnaissance…

LE COMTE. Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu?

FIGARO. Je me retire.

LE COMTE. Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promène. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi?

FIGARO. Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire.

LE COMTE. Dans les hôpitaux de l'armée?

FIGARO. Non; dans les haras d'Andalousie.