Je me suis repéré à l’intérieur de l’hôpital. Une flèche guidait jusqu’au service de gynécologie. Ça braillait à l’intérieur. De récents citoyens affirmaient leur volonté inébranlable de vivre.
Je suis entré dans le service. Une fade odeur de lait suri et d’éther flottait dans le hall. Des femmes de salle passaient avec des brassées de linges souillés. D’autres véhiculaient des plateaux roulants chargés de victuailles qu’on devinait fades.
J’étais planté au milieu de ce branle-bas comme un cul-terreux au milieu d’un carrefour parisien. Une grosse infirmière mafflue et moustachue m’a interpellé.
— Ce n’est pas l’heure des visites, vous êtes un nouveau papa ?
Je me suis ressaisi.
— Police !
Ça l’a un peu estomaquée.
J’ai répété ma petite histoire. Je la savais par cœur maintenant, ce qui me permettait de la « jouer » avec plus d’autorité.
Elle était intéressée. Pendant ses veilles, elle devait se délecter de la toute dernière édition des journaux de cœur et elle devait connaître tout Georges Ohnet.
— Vous avez vu cette personne ?
Elle a poussé un cri.
— Mais bien sûr… C’est la petite Renard…
— Vous êtes certaine ?
— Absolument ! Elle est restée un mois ici… J’ai assisté le docteur qui l’a opérée ; parce qu’il faut vous dire…
— Je sais !
Je ne pouvais pas supporter des détails. Ils m’étaient odieux.
— Renard, vous dites ?
— Oui.
— Marianne Renard ?
— Je crois que c’est en effet son prénom.
— Vous savez où habite son mari ?…
Elle a haussé les épaules.
— Elle n’en avait pas…
J’allais décidément de surprise en surprise… Pas de mari ! Marianne était fille mère ! Ça correspondait si peu à l’idée qu’on pouvait se faire d’elle…
— Elle avait de la famille ?
— Non, personne… Sa mère venait de mourir…
— Où habitait-elle ?
— Je ne sais pas… Mais on vous le dira à l’économat… Demandez qu’on recherche sur le registre des entrées. C’était… attendez… il y a deux ans, en février…
— Merci.
Seulement, à l’économat, tout a failli se gâter pour moi. Je suis tombé sur un petit pète-sec à moustaches rousses qui m’a demandé de justifier de ma qualité de policier. J’ai eu la présence d’esprit de battre en retraite en lui avouant que j’étais un policier privé et que j’agissais pour le compte d’un client. Il m’a flanqué à la porte et je me suis retrouvé au bord d’une pelouse à regarder le jet d’eau d’un jardinier, sans bien comprendre. J’étais humilié car c’est toujours humiliant de se faire chasser de quelque part.
Surtout qu’il y avait une ravissante secrétaire dans le bureau. Comme je m’éloignais, elle m’a couru après. Elle était petite, brune, avec des yeux verts et un sourire adorable. Elle avait jeté une jaquette sur ses épaules.
— Ne faites pas attention à l’économe, c’est un hépatique, m’a-t-elle dit. Pendant que vous discutiez, j’ai cherché votre renseignement. La personne en question habite 14, rue des Gros-Murs.
— Vous êtes épatante, mademoiselle…
Elle devait attendre que je lui fixe rendez-vous, car c’était uniquement mon physique avantageux qui l’avait rendue aussi serviable. Seulement, je n’avais pas le cœur à ça…
Je suis parti après lui avoir décoché un sourire réconfortant. J’avais hâte de me trouver rue des Gros-Murs.
16
La maison était triste et romantique. C’était une vieille construction qui dissimulait sa façade décrépie derrière quelques arbres qu’on avait oublié de tailler.
Un portail rouillé par-dessus lequel pendaient les grappes d’une glycine défendait l’entrée du jardin. Tous les volets étaient clos.
Je me suis adossé au mur d’en face et j’ai contemplé longuement ce pavillon vide.
« Ainsi, me disais-je, c’est là qu’elle a vécu ? »
La propriété dégageait je ne savais quoi de mystérieux, d’angoissant même. Je ne parvenais pas à en détacher mes regards.
Au bout d’un certain temps, j’ai perçu un petit bruit à proximité. J’ai tourné la tête et découvert une vieille femme à la fenêtre d’une maison voisine. Elle me regardait avec cette curiosité avide qu’ont les gens de province pour tout ce qui est inhabituel. Elle m’a souri.
— Il n’y a personne, m’a-t-elle dit.
Je me suis dirigé vers elle. C’était une très vieille femme. Il ne lui restait qu’une seule dent sur le devant de la bouche, ce qui la faisait ressembler à une caricature de L’Assiette au beurre.
— Vous cherchez Mlle Renard ?
— Heu… oui.
— Elle est partie, ça fait près d’un mois…
— Vous… vous ne savez pas où elle est ?
— Si, a fait tranquillement la vieille, elle est en Espagne.
J’ai failli en tomber à la renverse.
La vieille a vu ma surprise et elle a semblé tout émoustillée.
— Entrez donc ! a-t-elle proposé.
J’ai poussé le portillon de sa maison. Elle est venue m’accueillir sur le seuil.
— Vous êtes un de ses amis ?
— Non… Je… je fais partie de la Sécurité Sociale et je venais prendre des renseignements au sujet de son enfant…
— Ah…
Elle a paru un peu déçue.
— Elle est partie seule en Espagne ?
— Non, avec son petit et son vieux !
J’ai salement tiqué.
— Son vieux ?
Ç’a été de la délectation pour la vieille. Elle s’en est pourléché la moustache.
— Mais oui, Bridon… Le vieux Bridon, quoi ! Vous n’avez pas entendu parler ? Les conserves Bridon ? C’est le fils maintenant qui a repris l’affaire…
Elle savait tout cela par cœur et ça lui faisait bougrement plaisir de le déballer une fois de plus pour un spectateur neuf.
— Vous n’êtes pas d’ici ?
— Non, de Paris…
— Ah ! Voilà… Que je vous dise alors…
Oui, qu’elle me dise ! Je voulais savoir. Il fallait que je descende jusqu’au fin fond du puits. Je savais maintenant que ce que j’allais apprendre ne serait pas beau.
Ce qui m’était peut-être le plus pénible, c’était justement de l’apprendre de cette vieille commère pour qui l’histoire de Marianne ne représentait qu’un prétexte à cancan.
— Elle a perdu son père de bonne heure… Il était dans l’enregistrement. Famille honorable, je vous prie de le croire…
Je bouillais, mais il fallait la subir. Elle ne faisait pas le détail. C’était tout ou rien.
— À la mort du père, Marianne était une gamine. Sa mère s’est mise à la débine… La boisson, mon pauvre monsieur… Elle se soûlait tout en jouant à la bourgeoise. N’empêche que tous les soirs elle était comme qui dirait morte et c’était cette pauvre enfant qui devait s’occuper de la maison…
J’avais pressenti un drame de ce calibre dans le regard navré de Marianne. Chose étrange, au fur et à mesure que la voisine édentée parlait, il me semblait entendre une histoire déjà connue. Je pensais au portrait de Marianne qui se trouvait dans le coffre de mon auto et je sus que le fameux éclat de l’œil m’avait raconté tout ça.