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Le moment était venu de mettre un peu les choses au point.

— Écoute, Marianne, il faut que je te fasse un aveu…

Elle a été désorientée, j’ai lu une véritable panique dans ses yeux.

— Je…

— Dis vite, c’est à mon sujet, n’est-ce pas  ?

J’ai secoué la tête.

— Non, Marianne. C’est au mien… Il y a quelques années j’ai fait de la politique en France… De la politique extrémiste… Tu sais qu’ici nous sommes dans un pays de dictature. J’ai su que les autorités m’ont repéré. Je risque d’être expulsé. Je ne veux pas que cela se produise avant d’avoir les papiers qui me permettront de t’emmener, tu saisis  ?

— Bien sûr  ! Alors  ?

— Alors nous allons chercher un petit coin tranquille et nous y cacher en attendant…

Elle paraissait mordre à mon histoire. J’étais assez content de ma trouvaille.

Nous avons pris place dans le troisième car. Soudain, Marianne a sursauté.

— Mais… Daniel  !

— Oui  ?

— Comment recevrons-nous les papiers si nous quittons la Casa Patricio sans prévenir  ?

J’ai été pris de court.

Elle semblait alarmée et il fallait que je trouve vite quelque chose de plausible pour la calmer.

— Ne te tourmente pas. J’ai dit qu’on garde les papiers en France jusqu’à ce que je donne l’adresse de l’endroit où nous les envoyer.

— Ah bon…

Et nous nous sommes mis à parler d’autre chose.

23

Il était midi lorsque nous arrivâmes à Tarragona. La fatigue de la veille se faisait sentir. Je me dis que cela ne servirait à rien de fuir jusqu’à l’autre bout de l’Espagne. Ce qu’il fallait trouver, c’était une cachette sûre, et cette cachette pouvait exister n’importe où. Lorsque nous serions en sécurité, j’attendrais que les choses se tassent et je chercherais un moyen de rentrer en France. Je ne pensais pas encore que cette aventure risquait de compromettre ma carrière et même de me valoir la prison, car je me faisais volontairement le complice d’une meurtrière. Si au moins ce gros crétin de flic n’avait pas eu l’idée saugrenue de venir rue des Gros-Murs au moment où je m’y trouvais, je serais resté en dehors de l’affaire et ça aurait évité bien des complications. Enfin, il est vain de pleurer sur des faits qui se sont produits. J’avais mieux à faire.

Nous nous sommes assis à une terrasse de café et, tout en savourant des xérès, je me suis livré à un petit tour d’horizon.

Si nous descendions dans un hôtel ou même une simple auberge de village, nous étions perdus car avec les carabiniers qui draguaient toute l’Espagne, nous ne resterions pas trois jours en liberté lorsqu’ils auraient en poche notre signalement.

J’ai eu une idée  : louer une petite maison, où nous pourrions nous terrer sans attirer l’attention. J’ai recommandé à Marianne de m’attendre un moment et je suis parti à travers la ville. J’ai commencé à changer une partie de mon argent dans une officine, ensuite je me suis mis en quête d’une agence de location. J’en ai trouvé une dans le centre. Il y avait un tas de photos jaunies par le soleil dans la vitrine. Toutes représentaient des constructions à vendre ou à louer dans les environs. Je suis entré.

Une grosse demoiselle suifeuse m’a adressé la parole en français. Ça m’a un peu décontenancé.

— Comment avez-vous compris que j’étais français  ?

— J’ai vécu à Paris…

Elle me souriait.

— J’aimerais louer une petite maison pas trop chère pour un mois.

— J’ai ce qu’il vous faut  !

Elle a ouvert un casier et a sorti une fiche rose après laquelle était agrafée une photographie.

— Cela vous irait  ?

C’était une villa toute blanche entourée de palmiers.

— Dites donc, c’est pour une vedette d’Hollywood, ça  ?

— C’est pour la personne qui a dix mille pesetas à dépenser  !

J’ai fait le calcul. Ça représentait environ sept cents francs français. Un rien  ! On pouvait se donner l’impression d’être un gros ponte pour pas grand-chose.

J’ai sorti les dix mille pesetas.

— Comme nous sommes le vingt-quatre, m’a dit la grosse fille, vous avez droit à six jours de supplément à titre de prime. Je vais vous faire un reçu postdaté afin de faire partir la location du premier du mois prochain.

— Merci.

— Voici les clés  ! C’est à treize kilomètres d’ici, non loin de la mer. Évidemment, si la maison se trouvait en bordure de plage, le prix en serait plus élevé.

Je ne tenais pas tellement à la plage, car il y a trop de monde.

Elle m’a noté l’adresse au dos du reçu.

— Vous pouvez vous y faire conduire en taxi…

C’est ce que nous avons fait. Vous avouerez que ça n’est pas courant de louer une maison aussi rapidement et d’y foncer les coudes au corps avec les clés dans sa poche.

Nous étions aux anges, elle et moi. Nous retrouvions nos enthousiasmes d’enfant et ce goût du merveilleux qui sommeille toujours dans le cœur des hommes.

Elle me questionnait au sujet de la photographie qu’on m’avait montrée.

— C’est vraiment beau, dis-tu  ?

— Une villa de milliardaire  !

En arrivant, nous avons un peu déchanté. La villa se trouvait presque en bordure d’une route laide, dans un paysage pelé. Et la photo que j’avais vue avait dû être prise le jour où on avait terminé la construction.

Elle avait beaucoup vieilli depuis. De grandes lézardes sinuaient sur la façade grise et les plantes avaient envahi les alentours. Les palmiers étaient maigres et jaunes… L’ensemble sécrétait un ennui torride.

Nous nous sommes regardés.

— Pas très folichon, hein  ?

Elle a haussé les épaules.

— Qu’est-ce que ça peut faire, puisque nous sommes ensemble  ?

— Tu as raison.

Nous avons regardé disparaître le taxi dans un monstrueux nuage de poussière blanche. Puis j’ai poussé la porte disloquée donnant accès au chemin menant à l’entrée.

Nous venions emménager avec pour tout bagage un chevalet, une boîte à peinture et un sac de bain. Notre aventure ne manquait pas d’humour.

Comme j’arrivais à la porte de la villa je me suis arrêté, frappé par la ressemblance que cette demeure offrait avec l’autre… Celle de la rue des Gros-Murs. Rien ne manquait à cette évocation, pas même la végétation folle qui l’encerclait.

— Qu’as-tu  ? a demandé Marianne.

— Cette maison ne te rappelle rien  ?

Elle l’a regardée.

— Non, pourquoi  ?

— Pour rien… Je… Il me semble toujours qu’un spectacle nouveau va raviver quelque chose en toi…

— Eh bien, tu te trompes…

J’ai ouvert la porte. Ici, par contre, ça ne sentait pas l’humidité. Les murs avaient une bonne odeur de pierres chaudes.

— On s’installe  ?

— Allez  !

Dans le fond, l’isolement de la villa était un bon point pour nous. Il y avait près de deux kilomètres d’ici le prochain village. Je comprenais pourquoi le montant de la location était si faible.

La disposition des lieux rappelait aussi celle de l’autre. À droite, une salle de séjour meublée en espagnol moderne, c’est-à-dire de façon plutôt atroce. À gauche une cuisine. Un escalier au fond, tout blanc, et, au premier, deux chambres.