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— Je veux la vérité, Daniel. Et si tu m’aimes, tu vas me la dire  ! Réponds, tu as découvert quelque chose sur moi  !

— Que pourrais-je découvrir sur toi qui m’oblige à te cacher  ?

L’objection l’a frappée. Elle a laissé tomber ses mains le long de sa jupe.

— C’est vrai… À moins que… Dis, Daniel, j’étais mariée, hein  ? Et mon mari me recherche, c’est ça  ?

— Non…

— J’ai fait du mal… avant  ?

Je n’en pouvais plus. Jamais l’interrogatoire d’un suspect ne fut plus âpre que le mien.

— Mais non  ! Et comment le saurais-je  !

— J’ai cru… C’est cette vision tout à l’heure… Ce sang… Tu ne crois pas que j’ai vu ça déjà, et que…

— Cesse de te tourmenter, c’est pour le coup que tu vas devenir folle, ma chérie. Puisque tu y tiens, voilà la vérité  : je suis recherché par la police française…

— Qu’as-tu fait  ?

— Une escroquerie…

— Tu mens, tu es un honnête homme  ! Tu serais incapable de nuire à quelqu’un…

— J’avais fait une copie d’un Matisse pour m’amuser… Un amateur de peinture est venu à mon atelier, l’a remarquée et pour crâner je lui ai dit que c’était un vrai. Il a voulu me l’acheter… J’en avais marre de crever de faim. J’ai sauté sur l’occasion. Il m’a lâché une grosse somme, c’est ce qui m’a permis de venir en Espagne. L’autre jour, en rentrant en France, j’ai lu dans la presse qu’on me recherchait pour faux et escroquerie… Je suis revenu immédiatement… Oh, pas pour échapper à la justice, mais pour ne pas te perdre  !

Je la regardais. Je ne savais pas cette fois si elle allait me croire, et pourtant j’avais mis tout le paquet, ma voix était si convaincante que j’en étais ébranlé moi-même. Cet aveu au chiqué me flanquait un complexe de culpabilité. Elle m’a cru. Son visage était tendu, sévère.

— Tu as fait cela, toi  !

— Oui, mais…

— Toi, un peintre, tu as usé de ton talent pour soutirer de l’argent  !

— Écoute, Marianne  !

— Voleur  !

Si le tonnerre m’avait frappé, je n’aurais pas été plus assommé. C’était elle qui m’injuriait, qui me crachait son mépris au visage  !

— Marianne  !

— Menteur  !

— Mais  !

— Tu m’as fait trois mensonges successivement. Je ne te croyais pas ainsi… Oh, mon Dieu  !

Elle s’est jetée à plat ventre sur le talus galeux. Elle hoquetait et je n’avais pas la force d’intervenir. Seule la vraie vérité, c’est-à-dire la sienne, aurait pu me blanchir maintenant à ses yeux  ! Et cette vérité-là, je n’avais pas le droit de la lui dire  !

J’ai donc attendu qu’elle se calme. Et elle s’est calmée progressivement.

D’un ton sec, j’ai demandé  :

— Tu y es  ?

Elle m’a fait un signe affirmatif.

— Alors rentrons…

J’étais dans le fond furieux contre elle et contre moi. J’ai ramassé son filet de fruits et j’ai continué ma route en direction de la maison. Elle marchait à mes côtés, les bras ballants. Le claquement de ses spartiates dans la poussière me martelait le cerveau.

25

Nous avons très peu mangé, sans presque parler. Nous n’avions rien à nous dire. En mentant, j’avais créé une vérité qui lui était intolérable. Il fallait attendre. Je me traitais moralement d’idiot. J’aurais pu trouver autre chose en fait d’explication. Il est vrai que j’avais essayé, sans succès.

Bien entendu, l’électricité ne marchait pas à la villa. La foudre était tombée sur la ligne de raccord qui traversait la propriété et personne ne s’était soucié de la réparer. En définitive, cette maison ne valait pas un clou et le prix de dix mille pesetas s’avérait prohibitif.

Nous sommes montés nous coucher en frottant des allumettes. Nous nous sommes déshabillés à tâtons. Elle s’est pelotonnée à l’autre bout du lit en me tournant délibérément le dos.

J’avais une folle envie d’elle, mais je me suis abstenu. Je savais qu’elle m’aurait repoussé et je n’aurais pas supporté une rebuffade de Marianne. Longtemps, dans le noir, j’ai remâché mon amertume. Décidément le sort se liguait contre moi. J’étais entraîné dans un tourbillon macabre. Des liens invisibles m’entravaient au fur et à mesure que j’avançais.

J’ai fini par sombrer dans un sommeil visqueux. J’avais chaud, j’étais mal… Je voyais le cadavre en décomposition de Bridon tourniquer autour de moi, comme s’il était prisonnier d’un remous.

Confusément, je pensais qu’elle allait peut-être me tuer pendant mon sommeil. Elle était à la merci d’une crise. Je n’avais pas peur de la mort. Je l’acceptais. Offerte par ses mains, elle devenait un inestimable présent.

*

Je me suis éveillé sur une sensation de chaleur intense et j’ai constaté que je me trouvais en plein dans le flot de soleil entrant par la croisée.

Je me suis tiré vers le milieu du lit. Je m’attendais à sentir le contact de Marianne sur ma peau nue, mais il n’y avait que les deux draps superposés. Ils se joignaient et mon genou avait beau avancer, il les écartait sans rien rencontrer.

J’ai ouvert les yeux. Elle n’était plus là. Je me suis levé d’un bond. La chaise où elle avait jeté ses effets était vide. Je dansais sur le plancher sans parvenir à m’habiller. Je disais des choses sans suite d’une voix geignarde que j’ai encore en mémoire.

Enfin j’ai été vêtu. Je m’apprêtais à sortir lorsque j’ai vu quelque chose de bizarre sur la table. Elle avait sorti les allumettes de leur boîte et elle s’était servi des bûchettes pour fabriquer le mot ADIEU.

Cela confirmait mes craintes  ! La petite sotte était partie… Elle m’avait fui parce qu’elle me prenait pour un escroc  !

Je me demandais si elle était partie depuis longtemps. Ma montre indiquait huit heures. Je n’avais rien entendu, rien senti.

J’ai couru dehors. Une sorte de fumée translucide flottait au ras du sol. Aussi loin que ma vue pouvait porter, je n’apercevais que la morne terre désolée, avec ses squelettes de végétation.

Je ne savais dans quelle direction m’élancer… Je n’avais pas de véhicule… Mon Dieu, tout cela était affolant  !

J’ai vérifié si elle avait pris de l’argent dans la réserve, mais non. Toutes mes pesetas étaient là, dans la trousse. Marianne était partie, sans un sou, à l’aventure… Elle m’avait fui.

Au lieu de me diriger en direction du village voisin, j’ai foncé en deçà de la ville, vers un horizon de caillasse et de poussière. Je marchais vite, le dos courbé, cherchant désespérément les traces de Marianne sur le sol caillouteux.

Il n’y avait rien… Alors je me suis mis à courir comme un perdu, droit devant moi, en l’appelant  ! Je refusais l’évidence  ! Elle ne pouvait pas être partie… Elle ne pouvait pas m’avoir laissé… D’un moment à l’autre l’un de ces damnés porteurs de tricorne l’appréhenderait… Non, il fallait que je la retrouve coûte que coûte  ! Et vite  ! C’était une chasse sans merci… La police d’Espagne multiple, partout présente… Et moi, moi qui étais recherché aussi sans doute, moi qui ne parlais pas un mot d’espagnol et qui n’avais que mes deux pauvres jambes  !

— Marianne  ! Mariaaaaanne  !

Le fourmillement des insectes, seul, me répondait.