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Avant tout, ils voulaient savoir si Reanne Corly était une Aes Sedai. Aucun des quatre n’avait jamais vu une sœur avant ce jour, mais ils pensaient qu’elle l’était sans doute, puisqu’elle pouvait canaliser et les transporter, eux et leurs hommes d’armes, sur des centaines de miles en un seul pas. C’était une bonne occasion de s’exercer à éluder sans mentir carrément, aidée par l’anneau du Grand Serpent à son doigt. Un mensonge fausserait leurs rapports dès le début, mais il ne fallait pas espérer que des rumeurs, au sujet de l’aide que des Aes Sedai pouvaient fournir, filtreraient jusqu’à Arymilla tout en répandant librement la vérité. Bien sûr, tous les quatre étaient impatients de lui faire savoir combien d’hommes d’armes ils avaient amenés avec eux, environ trois mille hommes, dont près de la moitié archers ou hallebardiers, qui seraient particulièrement utiles sur les murailles. Les quatre Maisons disposaient d’une force de frappe importante. Mais aucune d’entre elles ne voulait laisser son Haut Siège sans défense en ces temps troublés. Un enlèvement n’était pas si rare quand un trône était vacant, dit Conail, en riant. Branlet hocha la tête et se passa la main dans les cheveux. Elayne se demanda combien de ses nombreux oncles, tantes et cousins savaient qu’il était parti, et ce qu’ils feraient quand ils l’apprendraient.

— Si Dyelin avait accepté d’attendre quelques jours, j’aurais pu amener plus de mille deux cents hommes, dit Catalyn.

C’était la troisième fois qu’elle s’arrangeait pour faire remarquer qu’elle avait amené le plus gros contingent.

— J’ai fait appel à toutes les Maisons vassales de Haevin.

— Et moi, à toutes celles de Northan, ajouta Conail.

Avec un grand sourire, comme de juste.

— Northan ne peut pas lever autant d’épées que Haevin ou Trakand – ou Mantear, ajouta-t-il, s’inclinant à l’adresse de Perival, mais quiconque chevauche avec les Aigles chevauchera pour Caemlyn.

— Ils ne chevaucheront pas très vite en hiver, dit doucement Perival.

Il surprit l’auditoire, vu que personne ne lui avait adressé la parole.

— Je crois que, quoi que nous fassions, nous devrons le faire avec les forces dont nous disposons maintenant.

Conail rit, lui donna une bourrade sur l’épaule, et lui dit de garder le moral parce que tous les hommes ayant du cœur au ventre étaient en route pour Caemlyn afin de soutenir Dame Elayne. Elayne observa Perival avec plus d’attention. Ses yeux bleus rencontrèrent les siens sans ciller l’espace d’un instant, avant qu’il ne les baisse timidement. Encore adolescent, il savait mieux que Conail ou Catalyn dans quoi il s’embarquait. Catalyn répéta encore le nombre de soldats qu’elle avait amenés, et combien pouvaient répondre à l’appel de Haevin, comme si tous, à l’exception d’Aviendha, ignorait les effectifs dont ils disposaient. Le Seigneur Willin avait bien préparé le jeune Percival à ses futures fonctions. Maintenant, il fallait veiller à ce qu’il conserve ses capacités.

Puis vint le moment d’échanger les baisers d’usage. Branlet rougit jusqu’à la racine des cheveux, Percival cligna timidement les yeux quand Elayne se pencha vers lui, et Conail jura de ne plus se laver la joue. Catalyn lui fit un petit baiser étonnamment hésitant, comme si elle venait juste de réaliser qu’elle avait consenti à placer Elayne au-dessus d’elle. Au bout d’un moment, elle hocha la tête d’un air entendu, dans une calme fierté. Quand Elayne les eut confiés tous les quatre à des domestiques qui devaient les accompagner aux appartements que la Première Servante avait eu le temps de préparer, espérait-elle, Dyelin remplit sa tasse une nouvelle fois, et s’assit avec un soupir de lassitude dans l’un des grands fauteuils sculptés.

— Je n’ai jamais si bien travaillé en une seule semaine, si je peux me permettre de le dire moi-même. Je me suis débarrassée tout de suite de Candraed. Une heure a suffi pour que Danine se décide, même s’il a fallu que j’en passe trois avec elle pour ne pas l’offenser. Elle doit rester couchée jusqu’à midi parce qu’elle est incapable de décider de quel côté elle doit sortir de son lit ! Je n’ai pas eu de mal à convaincre les autres. Personne doué du moindre bon sens n’a envie de voir Arymilla monter sur le trône.

Un instant, elle fronça les sourcils sur son vin, puis fixa Elayne sans ciller. Elle n’hésitait jamais à dire ce qu’elle pensait, qu’Elayne soit d’accord ou non. À l’évidence, c’est ce qu’elle comptait faire maintenant.

— Ce fut peut-être une erreur de faire passer ces femmes de la Famille pour des Aes Sedai, aussi discrètes que nous ayons été à leur sujet. La tension est peut-être trop forte pour elles, et cela nous met tous en danger. Ce matin, sans raison apparente, Maîtresse Corly s’est mise à regarder fixement autour d’elle, bouche bée comme une paysanne venue à la ville. Elle a failli ne pas pouvoir tisser le portail pour nous ramener ici. Vous voyez la scène : tout le monde aligné pour franchir un miraculeux trou qui ne se matérialise pas et moi coincée en compagnie de Catalyn pour la Lumière seule sait combien de temps. Quelle fille odieuse, cette Catalyn ! Elle ne manquerait pas d’intelligence, si quelqu’un la prenait en main pendant quelques années. Mais elle a doublement hérité de la langue vipérine des Haevin.

Elayne grinça des dents. Elle savait comme ils pouvaient être caustiques. Et Catalyn n’était pas en reste, manifestement. Elle était fatiguée d’expliquer ce qui, en ces temps, pouvait effrayer toute femme capable de canaliser. Elle était fatiguée qu’on lui rappelle ce qu’elle s’efforçait d’oublier. Ce foutu fanal brillait toujours dans l’Ouest. Il n’avait pas changé depuis des heures ! N’importe qui canalisant aussi longtemps sans interruption devait être tombé d’épuisement à cette heure. Et ce foutu Rand al’Thor était là-bas, au cœur de l’événement. Elle en était certaine ! Il était vivant, mais elle lui en voulait rageusement de lui imposer de vivre ça. Enfin, elle ne voyait pas le visage de Rand, mais…

Birgitte posa brutalement sa coupe sur une table, éclaboussant du vin partout. Les blanchisseuses allaient devoir s’échiner pour nettoyer toutes les taches de sa manche.

— Ce ne sont que des enfants ! aboya-t-elle. Des enfants qui, sur un coup de tête, risquent d’envoyer des gens à la mort. Ce ne sont que de fichus gosses, et Conail est le pire de tous ! Vous l’avez entendu, Dyelin. Il veut défier le champion d’Arymilla comme ce satané Artur Aile-de-Faucon ! Aile-de-Faucon n’a jamais combattu le champion de qui que ce soit, et il savait, alors qu’il était encore plus jeune que le Seigneur Northan, que c’était une ânerie de s’en remettre à un duel. Conail pense qu’il peut conquérir pour Elayne ce sacré trône avec sa foutue épée !

— Birgitte Trahelion a raison, dit Aviendha, les mains crispées sur ses jupes. Conail Northan est un imbécile ! Qui pourrait suivre ces enfants dans la danse des lances ? Comment imaginer que quelqu’un puisse leur confier un poste de commandement ?

Dyelin les regarda toutes les deux, et choisit de répondre d’abord à Aviendha. À l’évidence, elle était perplexe devant la tenue d’Aviendha. Mais il faut dire que les sujets de perplexité ne lui manquaient pas concernant les liens qui unissaient l’Aielle et la Fille-Héritière : il lui paraissait incongru qu’Aviendha et Elayne se soient adoptées comme sœurs, et qu’Elayne ait une Aielle pour amie. Mais qu’Elayne ait décidé d’imposer la présence de cette amie dans leurs conseils, ça, c’était pour elle à la limite du tolérable.

— Je suis devenue Haut Siège de Taravin à quinze ans, quand mon père est mort lors d’une escarmouche dans les Marches. Mes deux jeunes frères sont morts la même année en combattant des voleurs de bétail venus du Murandy. J’ai écouté mes conseillers, mais c’est moi qui ai dit aux cavaliers de Taravin où ils devaient frapper. Nous avons repoussé les Altarans et les Murandiens pour qu’ils aillent faire leurs rapines ailleurs. C’est l’époque qui décide quand les enfants doivent grandir, Aviendha, pas nous, et à notre époque, un Haut Siège qui est un enfant ne le restera pas longtemps.