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Dès que la porte se referma derrière Rosaria, l’aura de la saidar entoura Aviendha. Elle tissa une garde contre les écoutes collée aux murs de la pièce. Ce qui se dirait entre eux était maintenant aussi protégé qu’il était possible, et Aviendha saurait si quelqu’un tentait d’écouler à l’aide du Pouvoir. Elle était experte en ce genre de tissage.

— Maîtresse Harfor, dit Elayne, si vous voulez bien commencer.

Elle ne leur offrit ni vin ni siège. Maître Norry aurait été scandalisé par une telle entorse au protocole, et Maîtresse Harfor aurait même pu s’en offenser. Cela étant, Norry tressauta et lança un coup d’œil en coin à Reene, qui pinça les lèvres. Même après une absence d’une semaine, leur aversion à faire leur rapport en présence l’un de l’autre était palpable. Ils étaient jaloux de leur territoire, et plus encore depuis que la Première Servante était entrée dans un domaine autrefois considéré comme relevant de la responsabilité de Maître Norry. Bien sûr, gouverner le Palais Royal avait toujours été le privilège de la Première Servante, et l’on pouvait dire que ses nouveaux devoirs n’étaient qu’une extension de celui-là. Mais ce n’était pas l’avis de Halwin Norry. La bûche flambant dans la cheminée s’affaissa dans un grand craquement, projetant des gerbes d’étincelles dans la cheminée.

— Je suis convaincue que le Second Bibliothécaire est… un espion, ma Dame, dit enfin Maîtresse Harfor, ignorant Norry comme si elle pouvait ainsi le faire disparaître.

Elle n’avait dit à personne d’autre qu’elle recherchait des espions, mais que le Premier Clerc le sache semblait la contrarier plus que tout. Sa seule autorité sur elle, c’était qu’il payait les factures du palais et qu’il ne questionnait jamais aucune dépense, mais même ce modeste avantage était trop pour elle.

— Tous les trois ou quatre jours. Maître Harnder se rend dans l’auberge Le Cerceau et la Flèche, soi-disant pour boire de la bière fabriquée par l’aubergiste, un certain Millis Fendry. Or Maîtresse Fendry élève des pigeons, et chaque fois que Maître Harnder vient à l’auberge, elle en lâche un qui s’envole vers le nord. Hier, trois Aes Sedai résidant au Cygne d’Argent ont trouvé un prétexte pour aller là-bas, bien que la clientèle ne soit pas aussi distinguée que celle du Cygne d’Argent. Elles sont entrées et sorties encapuchonnées, et se sont enfermées avec Maîtresse Fendry pendant plus d’une heure. Toutes les trois étaient de l’Ajah Brune. Je crains que cela n’indique pour qui travaille Maître Harnder.

« Des coiffeurs, des valets de pied, des cuisiniers, le maître ébéniste, pas moins de cinq clercs de Maître Norry, et maintenant l’un des bibliothécaires.

Norry s’étira le cou, mal à l’aise ; visiblement, il prenait les agissements coupables de ses clercs comme une injure personnelle. Se renversant dans son fauteuil et croisant les jambes, Dyelin foudroya la Première Servante.

— Y a-t-il quelqu’un qui ne soit pas un espion, Maîtresse Harfor ?

— J’ai bon espoir d’atteindre bientôt le fond de ce tonneau, ma Dame, dit Maîtresse Harfor avec une pointe de suffisance.

Ni les espions ni les Hauts Sièges de puissantes Maisons ne lui hérissaient les plumes. Les espions étaient une vermine dont elle entendait débarrasser le palais comme elle l’avait fait avec les puces et les rats – quoique, récemment, elle avait été forcée d’accepter l’aide des Aes Sedai pour exterminer ces rongeurs – et les nobles puissants étaient comme la pluie et la neige, des manifestations de la nature qu’il fallait subir jusqu’à ce qu’ils s’en aillent, mais il n’y avait là rien qui méritât de s’énerver.

— Il existe un nombre limité de gens susceptibles d’être achetés, et peu qui peuvent se permettre le luxe d’acheter.

Elayne tenta de se souvenir de la physionomie de Maître Harnder, mais elle ne trouva que la vague image d’un homme rebondi à la calvitie naissante, qui clignait des yeux sans arrêt. Il avait servi sa mère, et, avant elle, la Reine Mordrellen. Personne ne commentait le fait qu’il semblait servir aussi l’Ajah Brune. Tous les palais royaux entre l’Échine du Monde et l’Océan d’Aryth abritaient des yeux-et-oreilles de la Tour. Tout souverain doué du moindre bon sens le savait. Sans aucun doute, les Seanchans vivraient bientôt sous le regard de la Tour, eux aussi. Reene avait découvert plusieurs espions de l’Ajah Rouge, un héritage du temps d’Elaida à Caemlyn, mais ce bibliothécaire était le premier espion à la solde d’une autre Ajah. Il aurait fort déplu à Elaida qu’une autre Ajah sache ce qui se passait au palais pendant qu’elle était conseillère de la Reine.

— Dommage que nous n’ayons pas des histoires que nous voudrions faire croire à l’Ajah Brune, dit-elle d’un ton léger.

Et grand dommage qu’elles et les Rouges aient connaissance de la Famille. Au mieux, elles devaient savoir qu’il y avait au palais un grand nombre de femmes capables de canaliser, et il ne leur faudrait pas longtemps pour savoir lesquelles. Cela créerait un certain nombre de problèmes à la longue. « Il faut toujours avoir un coup d’avance, disait Lini, mais à trop anticiper, l’on risque de trébucher très vite. »

— Surveillez Maître Harnder et essayez de découvrir ses amis. Cela suffira pour le moment.

Certains espions dépendaient de leurs oreilles, soit pour capter les rumeurs, soit pour écouter aux portes ; d’autres déliaient les langues avec quelques coupes de vin. La première étape pour contrecarrer un espion, c’était de découvrir sa stratégie.

Aviendha émit un grognement, et, déployant ses jupes, s’assit par terre avant de réaliser ce qu’elle portait. Avec un regard d’avertissement à Dyelin, elle se percha avec raideur au bord d’un fauteuil, image même d’une dame de la cour, les yeux flamboyants. Sauf qu’une dame de la cour n’aurait pas tâté du pouce le tranchant de sa dague. Laissée à elle-même, Aviendha aurait tranché toutes les gorges des espions s’offrant à sa lame, bien qu’Elayne lui eût expliqué souvent qu’un espion démasqué était un outil bien utile pour faire croire ce qu’elle voulait à ses ennemis.

Non que tous les espions travaillent nécessairement pour un ennemi. La plupart de ceux que la Première Servante avait découverts acceptaient de l’argent de plusieurs sources, et parmi celles qu’elle avait identifiées, figuraient le Roi Roedran du Murandy, des Seigneurs et des Dames tairens, une poignée de nobles cairhienins, et bon nombre de marchands. Beaucoup de gens s’intéressaient à Caemlyn, soit pour son influence sur le commerce, soit pour d’autres raisons. Parfois, il semblait que tout le monde espionnât tout le monde.

— Maîtresse Harfor, dit-elle, vous n’avez pas trouvé d’espions de la Tour Noire ?

Comme la plupart des gens qui entendaient mentionner la Tour Noire, Dyelin frissonna, et but une bonne rasade de vin. Reene se contenta d’une petite grimace. Elle avait décidé d’ignorer le fait que certains hommes étaient capables de canaliser, puisqu’elle ne pouvait rien y changer. Pour elle, la Tour Noire était une simple… contrariété.

— Ils n’ont pas eu le temps, ma Dame. Donnez-leur un an, et vous trouverez des bibliothécaires et des valets de pied qui se font graisser la patte.

— Je suppose que oui.

Affreuse pensée.

— Qu’avez-vous d’autre pour nous aujourd’hui ?

— J’ai eu un mot avec Jon Skellit, ma Dame. Un homme qui a déjà retourné sa veste une fois est capable de recommencer, et c’est le cas de Skellit.

Skellit, barbier de son état, était à la solde de la Maison Arawn, ce qui, pour le moment, en faisait l’homme d’Arymilla.

Birgitte ravala à moitié un juron – elle s’efforçait de surveiller son langage en présence de Reene Harfor – et dit d’un ton peiné :

— Vous avez eu un mot avec lui ? Sans en parler à personne ?