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Toutes s’assemblèrent autour d’elle quand, ayant poussé sur le côté d’une table quelques bols en porcelaine du Peuple de la Mer, elle sortit de sa courte tunique une carte maintes fois repliée. Elle la portait toujours sur elle, ou la glissait sous son oreiller quand elle se couchait. Dépliée, et maintenue par des coupes vides aux quatre coins, la carte représentait l’Andor, du Fleuve Erinin jusqu’à la frontière avec l’Altara et le Murandy, soit, en fait, la quasi-totalité du royaume dans la mesure où, depuis des générations, les territoires situés à l’ouest n’étaient plus que partiellement sous le contrôle de Caemlyn. Cette carte n’était pas un chef-d’œuvre de cartographie, loin de là, et les pliures masquaient de nombreux détails, mais elle montrait assez bien le terrain, avec les villages et les villes, de même que toutes les routes et tous les gués. Elayne posa sa tasse à une longueur de bras de la carte, autant pour éviter d’y faire d’autres taches, que pour se débarrasser de ce thé insipide.

— Les Frontaliers bougent, annonça Birgitte, montrant les forêts au nord de la cité, et un point au nord de la frontière la plus septentrionale de l’Andor. Mais ils n’ont pas couvert beaucoup de terrain. À ce rythme, il leur faudra largement plus d’un mois pour approcher de Caemlyn.

Faisant tourner sa coupe, Dyelin contempla son vin, puis releva brusquement les yeux.

— Je croyais que vous étiez habitués à la neige, vous autres gens du Nord.

Il fallait qu’elle sonde Birgitte. Et lui aurait-on déconseillé de le faire que ça n’aurait que renforcé ses certitudes : Birgitte avait des secrets qu’elle était résolue à percer.

Aviendha fronça les sourcils sur son aînée – quand elle n’était pas intimidée par elle, il lui arrivait de protéger farouchement les secrets de Birgitte – mais Birgitte elle-même soutint calmement le regard de Dyelin, sans aucune nuance d’inquiétude dans le lien. À présent, elle se sentait à l’aise avec le mensonge sur ses origines.

— Je ne suis pas retournée au Kandor depuis longtemps.

C’était la simple vérité, quoique le délai fût infiniment plus long que Dyelin ne pouvait l’imaginer. Le pays ne s’appelait pas encore Kandor.

— Déplacer deux cent mille soldats, sans compter la Lumière seule sait combien de civils, est un processus très lent en hiver. J’ai envoyé Maîtresse Ocalin et Maîtresse Fote visiter des villages à quelques miles au sud de la Frontière.

Sabeine Ocalin et Julanya Fote étaient deux Femmes de la Famille qui savaient Voyager.

— Elles disent que les Frontaliers ont installé leur camp pour tout l’hiver.

Elayne hocha la tête, fronçant les sourcils sur la carte, sur laquelle elle traça les distances du doigt. Elle comptait sur des nouvelles des Frontaliers, sinon sur eux-mêmes. La nouvelle d’une armée aussi nombreuse pénétrant en Andor aurait dû se répandre comme un feu de paille. Personne sauf un imbécile ne pouvait croire qu’ils avaient parcouru ces centaines de lieues pour tenter de conquérir l’Andor, mais tous ceux qui en entendaient parler devaient s’interroger sur leurs intentions, et ce qu’il fallait faire à leur sujet. Chacun aurait eu sa propre opinion quand la nouvelle aurait commencé à se propager. À ce moment, elle aurait un avantage sur tous les autres. Elle avait déjà pris des mesures pour que les Frontaliers qui entraient en Andor en repartent.

Le choix n’avait pas été difficile. Les arrêter, en admettant que ce fût possible, aurait fait couler beaucoup de sang, et il ne leur fallait pas davantage que la largeur d’une route pour envahir le Murandy, où ils pensaient trouver le Dragon Réincarné. Cela aussi, c’était son initiative. Ils cachaient leur raison de chercher Rand, elle n’allait pas leur révéler l’endroit exact où il était, alors qu’ils comptaient secrètement une douzaine d’Aes Sedai dans leurs rangs. Mais quand la nouvelle de leur existence parviendrait aux Hauts Sièges…

— Cela devrait marcher, dit-elle doucement. Au besoin, nous pouvons répandre nous-mêmes des rumeurs sur les Frontaliers.

— Cela devrait marcher, acquiesça Dyelin, qui ajouta d’un air sombre : Aussi longtemps que Bashere et Bael tiendront la bride à leurs hommes. Ce sera un mélange explosif, avec les Frontaliers, les Aiels et la Légion du Dragon à quelques miles les uns des autres. Et je ne vois pas comment être sûre que les Asha’man ne tenteront pas quelque chose d’insensé.

Elle termina par un reniflement dédaigneux. Pour elle, un homme devait être fou pour choisir de devenir Asha’man. Aviendha approuva de la tête. Elle était en désaccord avec Dyelin aussi souvent que Birgitte, mais en ce qui concernait les Asha’man, elles pensaient toutes la même chose.

— Je vais m’assurer que les Frontaliers n’approchent pas de la Tour Noire, fit Elayne, se voulant rassurante bien qu’elle ait réagi comme elles autrefois.

Dyelin, elle aussi, savait que Bashere et Bael contrôleraient leurs forces – ni l’un ni l’autre ne voulant d’un affrontement qu’ils pouvaient éviter, et Davram Bashere se refuserait à combattre contre ses compatriotes – mais s’agissant des Asha’man, tout était possible et tout était à craindre. Elle fit glisser son doigt de l’étoile à six branches identifiant Caemlyn jusqu’au territoire usurpé par les Asha’man, quelques miles plus loin. La Tour Noire ne figurait pas sur la carte, mais elle ne savait que trop bien où elle se trouvait exactement. C’était à bonne distance de la Route de Lugard. Envoyer les Frontaliers au sud dans le Murandy sans contrarier les Asha’man ne serait pas difficile.

Elle pinça les lèvres à l’idée qu’elle ne devait pas contrarier les Asha’man, mais elle ne pouvait rien y faire dans un futur proche, alors elle écarta de son esprit les hommes en tunique noire. Ce qu’elle ne pouvait pas régler maintenant, elle s’en occuperait plus tard.

— Et les autres ?

Elle n’avait rien à dire de plus. Six Maisons majeures n’avaient pas encore pris parti – pas plus pour elle que pour Arymilla. Dyelin prétendait qu’elles finiraient par se déclarer toutes pour Elayne, bien qu’elles n’en donnent aucun signe pour le moment. Sabeine et Julanya avaient cherché à en savoir plus sur ces six Maisons. Les deux femmes avaient passé les vingt dernières années à colporter partout leurs marchandises, vivant à la dure, couchant dans les étables ou sous les arbres, et prêtant l’oreille à ce que les gens taisaient, aussi bien qu’à ce qu’ils disaient. C’étaient des éclaireuses parfaites. Ce serait une grande perte si jamais elles devaient être affectées au ravitaillement de la cité.

— Selon la rumeur, le Seigneur Luan est dans une douzaine d’endroits à la fois, à l’est comme à l’ouest.

Fronçant les sourcils sur la carte très froissée, pensant que la position de Luan aurait dû y être indiquée, Birgitte marmonna un juron, beaucoup plus grossier que n’exigeait la situation, maintenant que Reene Harfor était sortie.

— Toujours dans le prochain village ou dans celui d’avant. Dame Ellorien et le Seigneur Abelle semblent s’être évanouis totalement, pour incroyable que cela puisse paraître s’agissant d’un Haut Siège. En tout cas, Maîtresse Ocalin et Maîtresse Fote n’ont pas trouvé trace d’eux, ni d’aucun membre de la Maison Pendar, ni d’aucun soldat de la Maison Traemane non plus. Pas un homme et pas un cheval.

Et ça, c’était très inhabituel. Quelqu’un agissait vigoureusement en sous-main.

— Abelle a toujours été un fantôme quand ça l’arrangeait, marmonna Dyelin, toujours capable de vous prendre au dépourvu. Quant à Ellorien…

Elle effleura sa bouche, et soupira.

— Cette femme est trop flamboyante pour disparaître. Sauf si elle est en compagnie d’Abelle ou de Luan. Ou des deux.