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Pourquoi regardait-elle Aviendha en fronçant les sourcils ? Ô Lumière ! La robe de velours !

— Et moi, je viens voir ce qu’elle fait, ajouta Sumeko, entrant derrière la Sagette.

Sumeko était imposante, corpulente avec des yeux pleins d’assurance, en robe de drap jaune bien coupée avec une large ceinture rouge, des peignes d’argent retenant ses longs cheveux noirs et raides, et une broche ronde en argent, émaillée de rouge, piquée sur le col de sa robe. Elle avait l’allure d’une noble ou d’une marchande prospère. Autrefois, elle affichait une certaine humilité, au moins en présence d’Aes Sedai, mais plus maintenant. Pas plus d’ailleurs avec les Aes Sedai qu’avec les femmes de la Garde de la Reine.

— Vous pouvez disposer, dit-elle à Tzigan. Cela ne vous concerne pas.

Elle eut une brève hésitation, puis ajouta :

— Vous pouvez sortir aussi, Dame Dyelin, et vous aussi, Dame Birgitte.

Visiblement, elle avait aussi gagné beaucoup d’assurance face aux représentants de la noblesse. Elle regarda ensuite Aviendha, comme si elle se demandait s’il fallait l’ajouter à la liste des importunes.

— Aviendha peut rester, dit Monaelle. Elle manque beaucoup de leçons, et, tôt ou tard, elle devra savoir ce que je vais faire.

Sumeko accepta de la tête la présence d’Aviendha, mais elle posa un regard froid et impatient sur Dyelin et Birgitte.

— Dame Dyelin et moi, nous avons des affaires à discuter, dit Birgitte, fourrant la carte pliée dans sa tunique rouge tout en se dirigeant vers la porte. Je vous informerai ce soir du résultat, Elayne.

Dyelin la gratifia d’un regard perçant, presque aussi perçant que celui qu’elle avait jeté sur Sumeko. Elle posa sa coupe sur un plateau, prit congé d’Elayne, puis attendit, avec une impatience visible, pendant que Birgitte se penchait vers Monaelle pour lui murmurer quelque chose à l’oreille, à laquelle la Sagette lui répondit brièvement, mais à voix tout aussi basse. De quoi parlaient-elles donc ? Sans doute du lait de chèvre…

Quand la porte se fut refermée sur Tzigan et les deux autres, Elayne proposa de faire apporter du vin, celui des pichets étant froid, mais Sumeko refusa sèchement, et Monaelle poliment, bien que distraitement. La Sagette étudiait Aviendha avec une telle intensité que la jeune fille se mit à rougir et détourna les yeux, les mains crispées sur sa robe.

— Il ne faut pas réprimander Aviendha à cause de sa tenue, Monaelle, dit Elayne. C’est moi qui lui ai demandé de s’habiller ainsi, et elle me l’a accordé comme une faveur.

Monaelle esquissa une moue pensive avant de répondre.

— Les premières-sœurs doivent s’accorder des faveurs réciproques, dit-elle finalement. Vous connaissez votre devoir envers votre peuple, Aviendha. Jusqu’à maintenant, vous vous êtes bien comportée dans une tâche difficile. Vous devez apprendre à vivre dans deux mondes, et il est donc convenable que vous appreniez à être à l’aise dans ces vêtements.

Aviendha commença à se détendre, jusqu’au moment où Monaelle reprit :

— Jusqu’à un certain point. À partir de maintenant, vous passerez un jour et une nuit sur trois dans les tentes. Vous rentrerez avec moi demain. Vous avez beaucoup à apprendre avant de devenir une Sagette, et c’est votre devoir, comme c’est celui de la corde d’attacher.

Elayne prit la main de sa sœur. Quand Aviendha voulut la lâcher, elle continua à la serrer. Après une brève hésitation, Aviendha la serra aussi. Étrangement, la présence d’Aviendha avait réconforté Elayne, compensant la perte de Rand ; ce n’était pas seulement une sœur, mais une sœur qui aimait Rand elle aussi. Elles pouvaient partager leur force et se faire rire mutuellement quand elles avaient envie de pleurer, et elles pouvaient pleurer ensemble quand elles en ressentaient le besoin. Être seule une nuit sur trois signifiait sans doute pleurer une nuit sur trois. Par la Lumière, qu’est-ce que faisait Rand ? Cet affreux fanal continuait à flamber à l’Ouest, aussi fort que jamais, et elle était certaine qu’il était au cœur de l’événement. Rien n’avait changé dans le lien avec lui, mais elle en était certaine.

Soudain, elle réalisa qu’elle broyait la main d’Aviendha dans la sienne, et qu’Aviendha tenait la sienne tout aussi farouchement. Elles adoucirent leur prise au même instant. Mais elles ne se lâchèrent pas.

— Les hommes nous causent bien des problèmes même quand ils sont absents, dit doucement Aviendha.

— C’est vrai, acquiesça Elayne.

Monaelle sourit à cet échange. Elle faisait partie des rares personnes au courant du lien qui les unissait à Rand, et qui savaient également qui était le père du bébé d’Elayne. Mais aucune des femmes de la Famille ne connaissait la vérité.

— J’ai le sentiment que vous vous êtes laissées envahir par tous les problèmes d’un homme en particulier, dit Sumeko d’un ton guindé.

La règle de la Famille suivait celle des novices et des Acceptées, interdisant non seulement les enfants mais tout ce qui pourrait y amener, et elles s’y tenaient strictement. Autrefois, une femme de la Famille aurait avalé sa langue avant de suggérer qu’une Aes Sedai avait manqué à la règle. Mais les choses avaient beaucoup évolué depuis.

— Je suis censée Voyager à Tear aujourd’hui, pour en rapporter un chargement de grain et d’huile demain. Alors, comme il se fait tard, si vous avez fini de parler des hommes, je suggère que vous laissiez Monaelle faire ce pour quoi elle est venue.

Monaelle plaça Elayne devant la cheminée, assez près pour que la chaleur des braises soit juste supportable – il valait mieux que la mère ait bien chaud, expliqua-t-elle –, puis l’aura de la saidar l’entoura, et elle se mit à tisser des fils d’Esprit, de Feu et d’Eau. Aviendha regardait aussi avidement que Sumeko.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Elayne comme le tissage se posait sur elle et s’enfonçait dans sa chair.

— Est-ce comme le Sondage ?

Toutes les Aes Sedai du palais l’avaient sondée, mais seule Merilille pratiquait assez bien la Guérison pour que ça serve à quelque chose ; elle et Sumeko avaient pu dire qu’elle était enceinte, mais pratiquement rien d’autre. Elle sentit un faible picotement, une sorte de bourdonnement dans ses muscles.

— Ne faites pas la sotte, mon petit, dit Sumeko distraitement.

Elayne haussa un sourcil et agita son anneau du Grand Serpent sous le nez de Sumeko, qui ne parut même pas s’en apercevoir. Mais avait-elle seulement vu l’anneau ? Elle se penchait sur elle, comme si elle pouvait voir le tissage dans le corps d’Elayne.

— C’est moi qui ai appris la Guérison aux Sagettes. Avec Nynaeve, je suppose, concéda-t-elle au bout d’un instant.

Nynaeve aurait explosé comme une fusée d’illuminateurs si elle avait entendu ça. Mais Sumeko avait dépassé Nynaeve depuis longtemps dans l’art de la Guérison.

— Et les Aes Sedai leur ont enseigné la forme simple.

Un crissement semblable à un tissu qui se déchire montra ce que pensait Sumeko de la « forme simple », la seule sorte de Guérison qu’avaient connue les Aes Sedai pendant des millénaires.

— Cet examen appartient en propre aux Sagettes.

— On l’appelle Caresser l’Enfant, dit Monaelle d’un ton absent.

Son attention était essentiellement concentrée sur le tissage. Un simple Sondage pour apprendre ce qui faisait souffrir quelqu’un – à la réflexion, c’était simple – aurait déjà été fini, mais elle modifia les flux, et le bourdonnement dans le corps d’Elayne changea de tonalité puis s’enfonça plus profondément.

— Cela fait peut-être partie de la Guérison, une sorte de Guérison en soi, mais nous connaissions cette méthode avant d’être envoyées dans la Terre Triple. Certaines façons d’utiliser les flux sont similaires à ce que nous ont montré Sumeko Karistovan et Nynaeve al’Meara. En Caressant l’Enfant, on connaît l’état de santé de la mère et du petit, et en modifiant le tissage, on peut guérir certains problèmes de l’une ou de l’autre, mais cela ne marche pas sur une femme qui n’est pas enceinte. Ni sur un homme, naturellement.