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Le bourdonnement s’intensifia, au point qu’il semblât que n’importe qui pouvait l’entendre. Elayne eut l’impression que ses dents vibraient.

Une vieille idée lui revint à l’esprit. Elle demanda :

— Est-ce que le canalisage peut nuire à mon enfant ? Si je canalise, je veux dire.

— Pas plus que la respiration.

Monaelle laissa le tissage s’évanouir avec un grand sourire.

— Vous avez deux enfants. Il est encore trop tôt pour dire si ce sont des garçons ou des filles, mais ils sont en bonne santé, et vous aussi.

— Deux !

Elayne et Aviendha partagèrent un large sourire. Elle allait avoir des jumeaux. Les enfants de Rand. Un garçon et une fille, espéra-t-elle, ou deux garçons. Des jumelles créeraient toutes sortes de difficultés pour la succession. Aucune femme n’avait jamais gagné la Couronne de Roses sans avoir tout le monde derrière elle. Sumeko désigna Elayne de la tête, et se racla la gorge. Monaelle opina.

— Faites exactement ce que je dis, et vous verrez.

Regardant Sumeko embrasser la Source et former le tissage, elle hocha de nouveau la tête, et la corpulente Sumeko le laissa s’enfoncer en Elayne, le souffle coupé en percevant à son tour le bourdonnement.

— Vous n’aurez pas à vous soucier des nausées de la grossesse, poursuivit Monaelle, mais vous constaterez que vous avez parfois du mal à canaliser. Les fils pourront vous échapper de temps en temps, comme s’ils étaient huileux, ou s’évanouir comme une brume, et vous devrez recommencer encore et encore pour que le tissage le plus simple tienne. Cela pourra empirer à mesure que votre grossesse s’avancera, et vous ne pourrez pas canaliser du tout quand vous serez en travail ou que vous accoucherez. Tout redeviendra normal après la naissance des enfants. Vous deviendrez bientôt lunatique, si ce n’est déjà fait, pleurnichant une minute et montrant les dents la suivante. Le père de vos enfants serait sage de se comporter avec prudence et de garder ses distances dans la mesure du possible.

— Il paraît qu’elle lui a déjà remis la tête en place ce matin, marmonna Sumeko.

Lâchant le tissage, elle se redressa et ajusta sa ceinture rouge.

— C’est remarquable, Monaelle. Je n’avais jamais entendu parler d’un tissage spécifique aux femmes enceintes.

Elayne pinça les lèvres, mais dit simplement :

— Vous pouvez détecter tout ça avec ce tissage, Monaelle ?

Il valait mieux laisser penser à tous que le père était Doilan Mellar. Les enfants de Rand al’Thor auraient été des cibles pour les assassins, pourchassés par peur, par cupidité, ou par haine. Personne ne s’intéresserait aux enfants de Mellar, peut-être même pas Mellar lui-même. C’était vraiment ce qu’il y avait de mieux, et il n’y avait pas à y revenir.

Monaelle rejeta la tête en arrière et se mit à rire si fort qu’elle dut s’essuyer les yeux avec son châle.

— Je sais cela parce que j’ai eu sept enfants et trois maris, Elayne Trakand. La capacité de canaliser vous protège des nausées de la grossesse, mais il y a d’autres prix à payer. Venez, Aviendha, vous devez essayer aussi. Doucement. Exactement comme j’ai fait.

Aviendha embrassa la Source avec empressement, mais avant qu’elle n’ait commencé à tisser, elle lâcha la saidar et tourna la tête vers le mur lambrissé. Vers l’ouest. Elayne en fit autant, de même que Monaelle et Sumeko. Le fanal qui brûlait depuis si longtemps venait de s’évanouir.

L’opulente poitrine de Sumeko se souleva comme pour une profonde inspiration.

— Quelque chose vient de se produire aujourd’hui, dit-elle doucement. Et je ne sais pas si j’ai envie de savoir si c’est quelque chose de merveilleux ou de terrible.

— Merveilleux, dit Elayne.

C’était fait, quoi que ce fût, et Rand était vivant. Cela lui suffisait. Monaelle la regarda, l’air interrogateur. Connaissant le lien qui les unissait, elle pouvait deviner le reste, mais elle se contenta de tripoter pensivement ses colliers. D’ailleurs, elle soutirerait bientôt la vérité à Aviendha.

Un coup frappé à la porte les fit toutes sursauter. Sauf Monaelle. Feignant de ne pas voir tressauter les deux autres, elle ajusta son châle avec une intense concentration, ce qui souligna encore le contraste. Sumeko toussota pour dissimuler son embarras.

— Entrez, dit Elayne tout haut.

Il fallait presque crier pour être entendu à travers l’épaisseur de la porte.

Caseille passa la tête par l’ouverture, chapeau à plumes à la main, puis entra tout à fait et referma soigneusement derrière elle. La dentelle blanche de son col et de ses poignets était immaculée, les lions de sa ceinture brillaient, et son plastron étincelait comme s’il venait d’être astiqué. Elle avait manifestement repris son service après s’être changée au retour de son voyage nocturne.

— Pardonnez-moi de vous interrompre ma Dame, mais les Atha’an Mieres, celles qui restent, sont dans tous leurs états… Il semble qu’une de leurs apprenties ait disparu.

— Quoi d’autre ? demanda Elayne.

Qu’une apprentie ait disparu, c’était regrettable, mais quelque chose dans le visage de Caseille lui disait que ce n’était pas tout.

— La Garde-Femme Azeri vient de m’informer qu’elle a vu Merilille Sedai quitter le palais il y a environ trois heures, répondit Caseille à contrecœur. Merilille et une femme encapuchonnée sous sa cape. Elles ont pris des chevaux et une mule chargée. Yurit dit que les mains de la seconde étaient tatouées. Ma Dame, personne n’avait aucune raison de chercher…

Elayne lui imposa le silence de la main.

— Personne n’a fait d’erreur, Caseille. Personne ne sera blâmé.

Pas parmi les Gardes, en tout cas. C’était un très bon choix. Talaan et Metarra, les deux apprenties Pourvoyeuses-de-Vent, étaient très puissantes dans le Pouvoir, et si Merilille avait pu convaincre l’une ou l’autre d’essayer de devenir Aes Sedai, elle avait dû se convaincre elle-même qu’en emmenant Talaan ou Metarra se faire inscrire dans le livre des novices, elle avait trouvé là un bon moyen de se soustraire à sa promesse d’instruire les Pourvoyeuses-de-Vent.

Lesquelles seraient plus que scandalisées de perdre Merilille et plus que furieuses contre l’apprentie. Elles blâmeraient quiconque entreraient dans leur champ visuel, et Elayne plus que tout autre.

— Est-ce que tout le monde est au courant au sujet de Merilille ? demanda-t-elle.

— Pas encore, ma Dame, mais l’homme qui a sellé leurs chevaux et chargé cette mule ne tiendra pas sa langue. Les garçons d’écurie n’ont pas beaucoup de distractions à part les commérages.

Ça ressemblait à un feu de brousse, qui risquait d’atteindre les granges.

— J’espère que vous dînerez avec moi tout à l’heure, Monaelle, mais je vous prie de m’excuser pour le moment.

Elle n’attendit pas sa réponse. Elle devait à présent essayer d’éteindre le feu avant que les granges ne s’embrasent.

— Caseille, informez Birgitte, et dites-lui d’envoyer immédiatement à toutes les portes l’ordre de chercher Merilille. Je sais, je sais : elle est peut-être déjà sortie de la cité, et les gardes n’arrêteront pas une Aes Sedai, mais ils pourront peut-être la retarder ou effrayer suffisamment sa compagne pour qu’elle revienne se cacher en ville. Sumeko, pouvez-vous demander à Reanne de sélectionner toutes les femmes de la Famille qui ne peuvent pas Voyager, pour fouiller la cité de fond en comble ? C’est un faible espoir, mais Merilille s’est peut-être dit que la journée était trop avancée pour quitter la ville. Visitez toutes les auberges, y compris le Cygne d’Argent, et…