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— Tant qu’elle et… et les bébés… vont bien.

Par la Lumière, combien ? Non, elle n’allait pas poser la question. Elayne avait sûrement la meilleure sage-femme de Caemlyn. Il valait mieux changer de sujet tout de suite.

— Avez-vous des nouvelles de Rand ? Ou de Nynaeve ? J’aurais deux mots à lui dire, pour s’être enfuie comme ça avec lui !

— Aucune nouvelle des deux, répondit Aviendha, ajustant son châle comme une Aes Sedai évitant le regard de son Amyrlin.

Egwene fit claquer sa langue, mécontente d’elle. Elle commençait vraiment à voir des conspirations partout. Rand se cachait, voilà tout. Nynaeve était une Aes Sedai, libre de faire ce qu’elle voulait. Même quand l’Amyrlin commandait, les Aes Sedai trouvaient souvent le moyen de n’en faire qu’à leur tête. Mais l’Amyrlin allait réprimander vertement Nynaeve al’Meara quand elle lui mettrait la main dessus. Quant à Rand…

— Je crains que vous n’ayez bientôt des ennuis, dit-elle.

Une jolie théière en argent apparut sur la table, sur un plateau en argent martelé, avec deux délicates tasses en porcelaine verte. Une fine volute de vapeur sortait du bec verseur. Elle aurait pu faire apparaître le thé directement dans les tasses, mais l’acte de les remplir faisait partie de l’offrande. On pouvait mourir de soif en tentant de boire ce qu’on trouvait dans le Tel’aran’rhiod, mais ce thé avait un goût qui semblait venir d’une récolte récente, et elle y avait mis juste la quantité de miel qu’il fallait. S’asseyant sur l’une des chaises, elle commença à le déguster à petites gorgées, tout en exposant ce qui s’était passé à l’Assemblée.

Aviendha tenait sa tasse, regardant Egwene sans ciller. Ses jupes sombres et sa blouse blanche devinrent le cadin’sor, tunique et chausses de gris et de brun qui se fondent dans l’obscurité. Ses longs cheveux furent subitement courts, et cachés par la shoufa, le voile noir pendant sur la poitrine. De façon incongrue, le bracelet d’ivoire était toujours à son poignet bien qu’une Vierge de la Lance ne portât jamais de bijoux.

— Tout cela à cause du fanal que nous avons perçu, marmonna-t-elle quand Egwene se tut. Parce qu’elles pensent que les Engeances de l’Ombre ont une arme.

Une bien curieuse façon de l’exprimer.

— Qu’est-ce que ce pourrait être d’autre ? demanda Egwene, prudente. Est-ce que l’une des Sagettes en a parlé ?

Il y avait longtemps qu’elle ne croyait plus que les Aes Sedai détenaient la science infuse. Il arrivait que les Sagettes apportent des informations susceptibles de stupéfier la sœur la plus flegmatique.

Aviendha fronça les sourcils. Elle se retrouva vêtue de chausses, d’une blouse et d’un châle, puis de nouveau en soie bleue et dentelle, cette fois avec le collier kandori et le bracelet d’ivoire. L’anneau de rêve était toujours suspendu à son cordon. Un châle apparut sur ses épaules. La pièce était froide comme l’hiver, et il ne semblait pas que de la dentelle vaporeuse puisse fournir beaucoup de chaleur.

— Les Sagettes n’en savant pas plus que vos Aes Sedai. Mais elles ne sont pas aussi effrayées, je crois. La vie est un songe, et tout le monde finit par se réveiller. Nous faisons la danse des lances avec le Tueur de Feuilles.

Ce nom pour désigner le Ténébreux avait toujours semblé étrange à Egwene, venant du Désert des Aiels totalement dépourvu d’arbres.

— Mais personne n’entre dans la danse en étant certain de survivre ou de vaincre. Je ne crois pas que les Sagettes envisageraient une alliance avec les Asha’man. Est-ce sage ? ajouta-t-elle, prudente. D’après ce que vous dites, je ne suis pas certaine que vous le souhaitiez.

— Je ne vois pas d’autre choix, dit Egwene à contrecœur. Ce trou fait trois miles de diamètre. À mon avis, c’est notre seul espoir.

Aviendha contempla son thé.

— Et si les Engeances de l’Ombre n’avaient pas d’arme ?

Soudain, Egwene réalisa ce que voulait dire son interlocutrice. Aviendha, en formation pour devenir une Sagette, était une Sagette qu’elle en portât ou non le costume. C’était sans doute la raison pour laquelle elle portait le châle. Une partie d’Egwene avait envie de sourire. Son amie changeait, et n’était plus la Vierge de la Lance, souvent tête brûlée, qu’elle avait d’abord connue. Une autre partie d’elle-même se souvenait que les Sagettes n’avaient pas toujours les mêmes objectifs que les Aes Sedai. Ce que les sœurs appréciaient au plus haut point ne signifiait parfois rien pour les Sagettes. L’idée qu’elle devait penser à Aviendha comme à une Sagette et non plus juste comme à une amie, l’attrista profondément. Une Sagette verrait ce qui était bon pour les Aiels plutôt que ce qui l’était pour la Tour Blanche. Pourtant, c’était une bonne question.

— Nous devrons traiter avec la Tour Noire tôt ou tard. Aviendha et Moria ont raison : il y a déjà trop d’Asha’man pour qu’il soit possible de les désactiver tous avant la Dernière Bataille. Peut-être qu’un rêve me fournira une autre solution, mais aucun ne m’en a proposé jusqu’à présent.

Aucun de ses rêves ne lui avait montré quoi que ce soit d’utile jusqu’à présent.

— Cela nous donne au moins l’ébauche d’une tactique pour les contrôler. En tout cas, cela se fera si les Députées sont capables de se mettre d’accord sur quelque chose à part le fait qu’elles doivent tenter d’obtenir un accord. Nous devons donc vivre avec.

Aviendha sourit dans sa tasse. Pour une raison inconnue, elle semblait soulagée. Mais elle parla d’un ton sérieux.

— Vous autres Aes Sedai, vous pensez toujours que les hommes sont des imbéciles. Souvent, ils ne le sont pas. Faites attention avec ces Asha’man. Mazrim Taim est loin d’être idiot, et je crois même qu’il est très dangereux.

— L’Assemblée en a conscience, dit Egwene, ironique.

Qu’il fût dangereux, soit. Pour l’imbécillité, il faudrait peut-être en discuter.

— Je ne sais pas pourquoi nous parlons de ça. Cela ne dépend plus de moi. L’important, c’est que les sœurs finiront par décider que la Tour Noire n’est plus une raison de rester à l’écart de Caemlyn, si nous engageons des pourparlers avec eux. La semaine prochaine ou demain, vous verrez des sœurs arriver juste pour surveiller la santé d’Elayne et voir comment se passe le siège. Maintenant, reste à savoir comment garder secret ce que nous désirons cacher. J’ai quelques suggestions, et j’espère que vous en avez d’autres.

L’idée que des Aes Sedai étrangères puissent surgir dans le Palais Royal troubla Aviendha au point qu’elle passa de la soie bleue au cadin’sor, aux jupes de drap et blouse d’algode tout en parlant, sans paraître s’en apercevoir. Son visage resta suffisamment impassible. Elle n’avait certes pas à s’inquiéter si les visiteuses découvraient la Famille, ou les sul’dams captives avec leurs damanes, ou le marché conclu avec le Peuple de la Mer, mais elle s’inquiétait des répercussions sur Elayne. Le Peuple de la Mer fit non seulement apparaître le cadin’sor, mais aussi un bouclier rond en peau de bœuf près de sa chaise et trois courtes lances aielles. Egwene eut envie de demander s’il y avait un problème particulier avec les Pourvoyeuses-de-Vent, mais elle tint sa langue. Si Aviendha n’en parlait pas, c’est qu’elle et Elayne voulaient le résoudre elles-mêmes. Elle l’aurait sûrement évoqué s’il s’était agi de quelque chose qu’Egwene aurait dû savoir. Mais était-ce certain ?