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— Voulez-vous savoir pourquoi une Élue doit être punie ?

La voix était redevenue grinçante, le Myrddraal semblait simplement trop grand. Mais Alviarin ne s’y trompa pas.

— Vous voulez regarder ? demanda-t-il.

Elle aurait dû se prosterner face contre terre, ramper pour sauver sa vie, mais elle était paralysée. Elle ne pouvait pas détacher les yeux de ce regard aveugle.

— Non, Grand Seigneur, parvint-elle à articuler, la bouche sèche comme de la poussière.

Elle savait. Le visage inondé de larmes, elle savait.

De nouveau, le Myrddraal sourit.

— Beaucoup sont tombés de très haut parce qu’ils voulaient en savoir trop.

Le Grand Seigneur, vêtu d’une peau de Myrddraal, coula près d’elle et la croisa. Il marchait, bien que « couler » fût la seule façon de décrire sa façon de bouger. La forme spectrale vêtue de noir se pencha vers elle. Elle aurait voulu crier quand il lui toucha le front d’un doigt. Elle aurait hurlé si elle avait pu émettre un son. Ses poumons étaient vides. Le contact du doigt la brûla comme du fer rouge. Vaguement, elle se demanda pourquoi elle ne sentait pas l’odeur de grillé de sa propre chair. Le Grand Seigneur se redressa, et la douleur de la brûlure diminua puis disparut. Pourtant sa terreur ne diminua pas le moins du monde.

— Vous êtes marquée comme mon bien, grinça le Grand Seigneur. Maintenant, Mesaana ne vous fera aucun mal. À moins que je ne l’y autorise. Vous allez découvrir qui menace ici mes créatures et vous les libérerez.

Il se détourna d’elle, et l’armure noire tomba sur le sol. Elle fut stupéfaite quand, au lieu de disparaître, elle heurta les dalles avec le fracas de l’acier. Il était vêtu de noir, mais elle n’aurait su dire si c’était de soie, de cuir ou d’autre chose. La noirceur du vêtement semblait boire toute la lumière de la pièce. Mesaana commença à se débattre dans ses liens, émettant des ululements stridents malgré son bâillon, qui montèrent crescendo jusqu’au hurlement de désespoir.

Alviarin ne savait pas comment elle était sortie de son appartement – elle ne comprenait pas comment elle était debout alors qu’elle avait les jambes en coton – mais elle se retrouva en train de courir dans les couloirs, jupes retroussées jusqu’aux genoux et filant aussi vite qu’elle pouvait. Soudain, un large escalier s’ouvrit devant elle, et elle eut toutes les peines du monde à s’arrêter avant de partir en vol plané. S’affaissant contre le mur, tremblant de tous ses membres, contemplant la courbe descendante des marches de marbre blanc. Mentalement, elle voyait son corps rebondissant dans l’escalier, désarticulé.

Le souffle coupé, respirant à grands halètements rauques, elle porta une main tremblante à son front. Ses idées s’entrechoquaient comme elle aurait culbuté dans l’escalier. Le Grand Seigneur l’avait marquée comme son bien. Ses doigts glissèrent sur sa peau lisse, sans cicatrice. Elle avait toujours apprécié la connaissance – le pouvoir venait de la connaissance – mais elle n’avait pas envie de savoir ce qui se passait dans les appartements qu’elle venait de quitter. Elle aurait souhaité ne pas savoir qu’il se passait quelque chose. Le Grand Seigneur l’avait marquée, mais Mesaana, le sachant, trouverait un moyen de la tuer. Le Grand Seigneur l’avait marquée et lui avait donné un ordre. Elle pouvait vivre, si elle découvrait qui pourchassait l’Ajah Noire. Se redressant avec effort, elle essuya précipitamment ses larmes avec ses paumes. Elle ne parvenait pas à détacher les yeux de l’escalier qui descendait devant elle. Elaida la soupçonnait certainement, mais si ce n’était que ça, elle pouvait toujours mettre au point une chasse à l’homme. Il suffisait de désigner Elaida comme cible. Puis la livrer au Grand Seigneur. De nouveau, elle porta des doigts hésitants à son front. Toute l’Ajah Noire était à ses ordres. Peau lisse et sans cicatrice. Talene avait été là, dans les appartements d’Elaida. Pourquoi avait-elle regardé Yukiri et Doesine de cette façon ? Talene était une Sœur Noire, mais elle ne savait pas qu’Alviarin l’était, naturellement. Une marque quelconque se verrait-elle dans un miroir ? Y avait-il quelque chose que les autres puissent voir ? Si elle devait concevoir une chasse, il faudrait peut-être commencer par Talene. Mais elle ne pouvait s’empêcher de regarder l’escalier, de voir son corps rebondir jusqu’en bas. Le Grand Seigneur l’avait marquée.

22

Une réponse

Pevara attendit avec un peu d’impatience, pendant que la mince Acceptée posait sur une console le plateau cerclé d’argent et découvrait le plat de gâteaux. Petite avec un visage sérieux, Pedra ne connaissait pas la rancune et ne cherchait pas à traîner après avoir passé la matinée à faire des commissions pour une Députée, toujours précise et prudente. C’étaient des qualités précieuses à encourager. Malgré tout, quand l’Acceptée demanda si elle devait servir le vin, Pevara lui répondit sèchement :

— Nous le ferons nous-mêmes, mon enfant. Vous pouvez attendre dans l’antichambre.

Pour un peu, elle l’aurait renvoyée à ses chères études.

Pedra déploya sa jupe blanche aux bandes colorées en une gracieuse révérence, sans aucun signe d’énervement à l’inverse des Acceptées quand une Députée se montre hargneuse. Trop souvent, elles interprétaient le ton mordant d’une Députée comme un désaveu sur leur capacité pour le châle, comme si les Députées n’avaient rien d’autre à faire.

Pevara attendit la fermeture de la porte et le déclic du pêne avant de hocher la tête avec approbation.

— Celle-là sera bientôt Aes Sedai, dit-elle.

C’était toujours satisfaisant quand une femme était élevée au châle, mais encore plus quand elle n’avait pas paru prometteuse au départ.

— Mais elle n’est pas des nôtres, je crois, répondit son hôte, surprise, qui se détourna d’une rangée de miniatures représentant la famille défunte de Pevara, alignées sur le manteau de marbre sculpté de la cheminée. Elle manque d’assurance avec les hommes. Je crois qu’ils la rendent nerveuse.

Tarna, elle, n’avait certes jamais été nerveuse avec les hommes, ni avec grand-chose d’autre, depuis qu’elle avait été élevée au châle, juste vingt ans plus tôt. Pevara se rappelait qu’elle avait été une novice très fébrile, mais les yeux bleus de la femme aux cheveux clairs étaient calmes comme des pierres à présent, et aussi chauds d’ailleurs que des pierres en hiver. Malgré cela, il y avait quelque chose dans ce visage fier et froid, dans le pli de la bouche, donnant à penser qu’elle était mal à l’aise ce matin. Pevara n’imaginait pas ce qui pouvait provoquer cette nervosité chez Tarna Feir.

Pourtant, la vraie question était la suivante : pourquoi était-elle venue lui rendre visite ? Pour elle, cela frisait l’inconvenance de venir voir une Députée en privé, surtout pour une Rouge. Tarna gardait encore son appartement au quartier des Rouges, mais tant qu’elle conservait son nouveau poste, elle n’appartenait plus à l’Ajah Rouge malgré les broderies cramoisies de sa robe gris foncé. Retarder son installation dans ses nouveaux appartements pouvait être interprété comme un signe de modestie par celles qui ne la connaissaient pas.

Tout ce qui sortait de l’ordinaire éveillait la méfiance de Pevara, depuis que Seaine l’avait embarquée dans la chasse à l’Ajah Noire. Et Elaida faisait confiance à Tarna, comme elle l’avait fait à Galina. Il était sage d’être méfiante envers quiconque jouissait de la confiance d’Elaida. Le seul fait de penser à Galina – que la Lumière la réduise en cendres ! – fit grincer des dents à Pevara. Mais il y avait un autre rapport. Galina s’était tout spécialement intéressée à Tarna quand elle était novice, tout comme à toute novice ou Acceptée susceptible de rejoindre l’Ajah Rouge. C’était une raison supplémentaire d’être prudente.