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Mince, jolie et grande dans ses bottes à hauts talons, avec des boucles noires tombant sur ses épaules, Min avait une voix grave de femme. Elle portait une tunique rouge de garçon et des chausses bleues. La tunique était brodée de fleurs multicolores sur les revers et les manches, et sur les chausses.

— Vous pouvez entrer, Min, dit doucement Cadsuane.

Le ton qu’elle employait faisait généralement mettre les gens au garde-à-vous. Ceux qui la connaissaient, en tout cas. Des taches de couleur apparurent sur les joues de Min.

— Je crains que la Maîtresse-des-Vagues ne sache déjà tout ce qu’elle pourrait apprendre par votre vision. Mais vu votre impatience, peut-être avez-vous lu l’aura d’une autre et que vous voulez me faire part de ce que vous avez vu ?

Le don particulier de la jeune femme s’était révélé utile par le passé, et le serait peut-être encore à l’avenir. De l’avis de Cadsuane, elle disait la vérité sur les images et les auras qu’elle voyait flotter autour des gens, mais elle omettait certaines choses. Surtout quand il s’agissait de la personne que Cadsuane aurait aimé connaître par-dessus tout.

Min leva un menton têtu. Elle avait changé depuis Shadar Logoth, ou peut-être avant, mais ça n’était pas en mieux.

— Rand veut que vous alliez le voir. Il a dit de vous le demander. Il est inutile de vous montrer contrariée.

Cadsuane la regarda sans rien dire et laissa le silence s’éterniser. Contrariée ?

— Dites-lui que je viendrai quand je pourrai, dit-elle enfin. Fermez bien la porte derrière vous, Min.

La jeune femme ouvrit la bouche comme pour ajouter quelque chose, mais elle eut assez de bon sens pour se taire. Elle fit même une révérence passable, malgré ses bottes ridicules, et ferma la porte derrière elle avec vigueur. En fait, elle la claqua presque.

Vérin secoua la tête une fois de plus, avec un rire légèrement amusé.

— Elle est amoureuse du jeune homme, Cadsuane, et elle a mis son cœur dans la poche de Rand. Elle suivra son cœur plutôt que sa tête, quoi que vous puissiez dire ou faire. Elle a eu peur qu’il lui meure entre les mains, je crois, et vous savez comme cela peut rendre une femme obstinée.

Cadsuane pinça les lèvres. Vérin en savait plus qu’elle sur les hommes – elle n’avait jamais eu de rapports avec ses Liges, à l’inverse de certaines Vertes, et ne fréquentait jamais les autres hommes –, mais la Brune avait frôlé la vérité sans le savoir. Au moins, Cadsuane ne pensait pas que l’autre sœur savait Min liée au jeune al’Thor. Elle-même le savait uniquement parce que certaines informations avaient imprudemment échappé à Min. Même l’huître la plus hermétiquement fermée finit par livrer sa chair si l’on arrive à entrouvrir la coquille ne serait-ce que d’un cheveu. Parfois, elle livrait aussi une perle inattendue. Certes, Min voudrait que le garçon reste en vie qu’elle l’aime ou non, mais pas plus que Cadsuane.

Drapant sa cape sur le dossier d’un fauteuil, Vérin s’approcha de la cheminée la plus proche et se chauffa les mains aux braises. Vérin n’avançait pas exactement d’un pas glissé, mais sa démarche était plus gracieuse que ne le suggérait sa corpulence. Qu’est-ce qui, en elle, n’allait pas ? Avec le temps, toutes les Aes Sedai finissaient par se cacher derrière des masques. Au bout d’un certain nombre d’années, cela devenait une habitude.

— Je crois que la situation à Tear peut encore se régler pacifiquement, dit-elle, contemplant le feu.

Elle aurait tout aussi bien pu se parler à elle-même.

— Hearne et Simaan frisent le désespoir, effrayés à l’idée que les autres Hauts Seigneurs reviennent de l’Illian et ne les piègent dans la cité. Étant donné leurs autres choix, on pourra peut-être les amener à accepter Darlin. Estanda est faite d’une autre étoffe, mais si on peut la convaincre qu’il y a là un avantage pour elle…

— Je vous avais dit de ne pas approcher d’eux, intervint Cadsuane d’un ton sévère.

La robuste Aes Sedai cligna les yeux de surprise.

— Je ne les ai pas approchés. Les rues bourdonnent de rumeurs, et je sais les mettre en rapport pour en tirer un peu de vérité. Effectivement, j’ai vu Alanna et Rafela, mais je me suis cachée derrière un homme qui vendait des friands sur une brouette avant qu’elles ne m’aperçoivent. Je suis sûre qu’elles ne m’ont pas vue.

Elle se tut, attendant à l’évidence que Cadsuane explique pourquoi elle devait aussi éviter les sœurs.

— Je dois aller voir le garçon maintenant, Vérin, se contenta de répondre Cadsuane.

C’était l’inconvénient, quand on acceptait de conseiller quelqu’un. Même si on s’arrangeait pour imposer toutes les conditions qu’on voulait – la plupart, en tout cas –, il fallait toujours se présenter tôt ou tard quand on vous appelait. Éventuellement. Mais cela lui donna une raison d’éluder la curiosité de Vérin. La réponse était simple. Si on essayait de trouver tout seul la solution de tous les problèmes, on n’en trouvait aucune. Et en ce qui concernait certains d’entre eux, la façon de les résoudre ne comptait pas sur le long terme. Mais ne pas répondre laissait Vérin avec une énigme, de quoi l’occuper un moment. Quand Cadsuane n’était pas sûre de quelqu’un, elle voulait que la réciproque soit vraie.

Vérin prit sa cape et quitta la pièce avec elle. Cadsuane avait-elle l’intention de l’accompagner ? Une fois sorties du salon, elles rencontrèrent Nesune qui descendait le couloir d’un pas vif. Elle s’arrêta brusquement. Il n’y avait guère plus d’une poignée de personnes qui avaient réussi à ignorer Cadsuane, pourtant Nesune y parvint, ses yeux presque noirs se fixant sur Vérin.

— Tiens, vous êtes donc de retour ?

La meilleure des Brunes avait l’habitude d’énoncer l’évidence.

— Vous avez écrit un article sur les animaux des Terres Englouties, si j’ai bonne mémoire.

Ce qui signifiait que Vérin l’avait effectivement écrit ; Nesune se rappelait toujours tout ce qu’elle avait vu – une qualité utile, si Cadsuane avait eu assez confiance en elle pour s’en servir.

— Le Seigneur Algarin m’a montré la peau d’un gros animal qu’il dit originaire des Terres Englouties, mais je suis convaincue que c’est le même que j’ai observé…

Par-dessus son épaule, Vérin regarda Cadsuane, désemparée, tandis que Nesune l’entraînait par la manche. Elles n’eurent pas fait trois pas dans le couloir qu’elle parlait déjà avec animation de ce stupide serpent.

C’était un spectacle remarquable, et troublant en un sens. Nesune était fidèle à Elaida, ou l’avait été, tandis que Vérin était de celles qui voulaient la destituer. Ou l’avait été. Maintenant, elles parlaient amicalement de serpents. Toutes deux avaient juré allégeance au jeune al’Thor, ce qui pouvait être mis sur le compte de sa nature de ta’veren, qui lui faisait inconsciemment enrouler le Dessin autour de lui, mais ce serment était-il suffisant pour qu’elles ignorent ce qui les opposait au sujet de l’actuelle titulaire du Siège d’Amyrlin ? Ou bien étaient-elles affectées par la proximité d’un ta’veren ? Bien sûr, elle ne savait pas ce que faisaient deux des poissons et l’une des lunes, mais il paraissait peu probable que cela vînt de ces ornements. Cela pouvait être simplement parce que Vérin et Nesune étaient toutes les deux des Brunes. Les Brunes pouvaient tout oublier quand elles s’apprêtaient à étudier quelque chose. Les serpents ? Pouah ! Les petits ornements oscillèrent quand elle secoua la tête avant de se détourner, laissant les deux Brunes derrière elle. Que voulait le garçon ? Nécessaire ou non, elle n’avait jamais aimé le rôle de conseillère.