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Dans les couloirs, les courants d’air faisaient onduler les tapisseries de style antique, et abîmées d’avoir été déplacées maintes fois. Construit en plusieurs temps, le manoir avait d’abord été une ferme qui s’était agrandie de dépendances au gré des fortunes et des naissances successives. La Maison Pandaloan n’avait jamais été riche, mais il y avait eu des époques où ils étaient nombreux. Les résultats en étaient visibles, pas seulement sur les tapisseries usées et démodées. Les corniches étaient peintes de couleurs vives, en rouge, bleu ou jaune, mais la hauteur des couloirs variait. Les fenêtres, qui autrefois ouvraient sur la campagne, donnaient maintenant sur des cours, généralement vides, excepté quelques bancs placés par rapport à la lumière. Parfois, il n’y avait pas d’autre moyen pour aller d’un point à un autre que d’emprunter une galerie couverte donnant sur l’une de ces cours. Les colonnes étaient en bois peint plus souvent qu’en pierre.

Sur l’une de ces galeries, à grosses colonnes vertes, deux sœurs, debout, regardaient au-dessous d’elles l’activité de la cour. Puis Cadsuane ouvrit la porte donnant accès à la colonnade. Beldeine la vit sortir et se raidit, tripotant le châle frangé de vert qu’elle portait depuis moins de cinq ans. Jolie, avec de hautes pommettes et des yeux noisette en amande, elle n’avait pas encore acquis l’éternelle jeunesse et paraissait plus jeune que Min, surtout quand elle lança un regard glacial à Cadsuane et partit vivement dans l’autre direction.

Merise, sa compagne, la suivit des yeux avec amusement, déplaçant légèrement son châle frangé de vert. Grande et le plus souvent grave, avec ses cheveux sévèrement tirés en arrière, dégageant un visage très pâle, Merise n’était pas une femme qui souriait souvent.

— Beldeine s’inquiète parce qu’elle n’a pas encore de Lige, dit-elle avec son accent du Tarabon, quand Cadsuane s’arrêta à côté d’elle, mais elle ramena ses yeux bleus sur la cour. Elle semble envisager un Asha’man, si elle peut en trouver un. Je lui ai dit de parler à Daigian. Si ça ne l’aide pas, elle, cela aidera Daigian.

Tous les Liges étaient rassemblés dans la cour pavée, en chemise malgré le froid, la plupart assis sur des bancs de bois peint et regardaient deux d’entre eux s’entraîner avec des épées d’entraînement en bois. Jahar, l’un des trois Liges de Merise, était un beau jeune homme bronzé. Les clochettes d’argent attachées au bout de ses deux longues tresses tintaient sous la fureur de l’assaut. On aurait dit une lance noire en mouvement. Bien qu’il n’y ait pas un souffle d’air, l’étoile à huit branches, comme une rose des vents en or, s’élevait, se déplaçant dans les cheveux de Cadsuane. Si elle l’avait tenue dans sa main, elle l’aurait sentie vibrer. Elle savait déjà que Jahar était un Asha’man. Même si l’étoile ne l’avait désigné comme tel, elle l’aurait au moins avertie qu’un homme capable de canaliser était proche. Plus il y avait d’hommes pouvant canaliser, plus l’étoile vibrait. Lan, l’adversaire de Jahar, un très grand gaillard aux larges épaules, avec un visage de pierre et des cheveux grisonnants tombant sur ses épaules, n’était pas le second Asha’man présent au manoir, mais il était tout aussi redoutable. Il n’avait pas l’air aussi rapide que Jahar, mais ses gestes étaient fluides comme de l’eau. Sa lame d’entraînement était toujours là pour parer celle de Jahar, le faisant chaque fois légèrement sortir de l’alignement.

Soudain, l’épée de bois de Lan frappa Jahar au côté avec un bruyant craquement, un coup mortel avec une lame d’acier. Tandis que le jeune homme récupérait de la violence du choc, Lan recula, en garde. Nethan, autre Lige de Merise aux tempes blanches, se leva, mince et grand quoiqu’un peu plus petit que Lan. Jahar l’écarta de la main et se remit en garde, décidé à continuer.

— Est-ce que Daigian tient le coup ? demanda Cadsuane.

— Mieux que je ne m’y attendais, reconnut Merise. Mais elle reste enfermée dans sa chambre la plupart du temps, et pleure en privé.

Son regard se porta sur le banc vert où le Tomas trapu et grisonnant de Vérin était assis près d’un homme n’ayant plus qu’une couronne de cheveux blancs.

— Damer a voulu la Guérir, mais Daigian a refusé. Elle n’avait peut-être jamais eu de Lige avant, mais elle sait que le deuil d’un Lige permet de conserver son souvenir. Je suis étonnée que Corele ait envisagé d’autoriser la Guérison.

Branlant du chef, la Tarabonaise se remit à observer Jahar. Les autres Liges ne l’intéressaient pas, du moins pas comme le sien.

— Les Asha’man pleurent comme les autres Liges. Je pensais que Jahar et Damer suivaient simplement l’exemple des autres, mais Jahar dit que cela fait aussi partie de leurs coutumes. Je ne me suis pas imposée, bien entendu, mais je les ai regardés boire en souvenir du jeune Eben de Daigian. Ils n’ont jamais prononcé son nom, mais il y avait une coupe pleine pour lui. Bassane et Nethan savent qu’ils peuvent mourir n’importe quand, et ils l’acceptent. Jahar s’attend à mourir tous les jours. Pour lui, chaque heure est la dernière.

Cadsuane dut faire un effort pour ne pas regarder Merise, qui parlait rarement autant. Son visage était lisse, ses manières imperturbables, mais quelque chose l’avait bouleversée.

— Je sais que vous vous exercez à vous lier avec lui, dit-elle avec tact, regardant en bas dans la cour.

La délicatesse s’imposait quand on parlait à une Sœur de son Lige. Elle regardait dans la cour, fronçant les sourcils.

— Avez-vous décidé si le jeune al’Thor a réussi à Shadar Logoth ? Est-il vraiment parvenu à purifier la moitié mâle de la Source ?

Corele s’exerçait aussi à se lier avec Damer, mais la Jaune se concentrait tellement sur ses efforts futiles pour comprendre comment faire avec la saidar ce qu’il faisait avec le saidin, qu’elle n’aurait pas remarqué la souillure du Ténébreux si elle lui avait coulé dans la gorge. Dommage qu’elle n’ait pas été élevée au châle cinquante ans plus tard, où elle aurait elle-même lié un homme comme Lige sans avoir besoin de le solliciter. Mais un tel délai aurait signifié que Norlea serait morte dans sa petite maison des Collines Noires avant que Cadsuane Melaidhrin aille à la Tour Blanche. Cela aurait altéré beaucoup de choses dans l’histoire. Par exemple, il aurait été peu probable qu’elle soit dans sa situation actuelle. C’est pourquoi elle posa la question avec tact, et attendit.

Merise resta un long moment immobile et muette, puis elle soupira.

— Je ne sais pas, Cadsuane. La saidar est un calme océan qui vous emmène où on veut aller pourvu qu’on connaisse les courants et qu’on se laisse porter. Le saidin… C’est une avalanche de pierres brûlantes. Une montagne de glace qui s’écroule. Le saidin me semble plus propre que la première fois que je me suis liée avec Jahar, mais n’importe quoi peut se cacher dans ce chaos. N’importe quoi.

Cadsuane hocha la tête. Elle n’était pas certaine d’avoir attendu une autre réponse. Pourquoi aurait-elle trouvé une réponse certaine à l’une des deux plus importantes questions au monde, alors qu’elle n’en trouvait aucune sur bien des problèmes plus simples ? Dans la cour, l’épée de bois de Lan s’immobilisa en touchant la gorge de Jahar, puis il recula et se remit en garde. De nouveau, Nethan se leva, et Jahar l’écarta de la main, levant furieusement son épée et se remettant en garde. Le troisième Lige de Merise, Bassane, petit, trapu, et presque aussi bronzé que Jahar bien qu’il fût Cairhienin, fit une plaisanterie grossière sur les jeunes qui trébuchent sur leur propre épée. Tomas et Damer se regardèrent en branlant du chef ; les hommes de leur âge avaient généralement renoncé depuis longtemps à ce genre d’enfantillages. Le combat reprit.