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— Il n’est pas seul, dit-elle d’un ton glacial.

— Avez-vous l’intention de m’interdire l’entrée ? demanda Cadsuane, tout aussi froidement.

La Verte andorane aurait dû s’effacer sur le côté. Elza était suffisamment inférieure à elle dans le Pouvoir pour ne pas hésiter, et encore moins attendre un ordre, mais elle resta plantée devant la porte, les yeux étincelants.

C’était un dilemme. Cinq autres sœurs présentes au manoir avaient juré allégeance au jeune homme, et celles restées fidèles à Elaida regardaient Cadsuane comme si elles soupçonnaient ses intentions à l’égard d’al’Thor. Ce qui soulevait la question : pourquoi n’en était-il pas de même pour Vérin ? Mais seule Elza s’efforçait de l’écarter de lui. Son attitude empestait la jalousie, ce qui était absurde. Elle ne pouvait pas se croire la plus compétente pour le conseiller. S’il y avait eu le moindre signe qu’Elza désirât le jeune homme, comme amant ou comme Lige, Min aurait montré les dents. Min avait un instinct très sûr. Cadsuane aurait grincé des dents si elle avait été susceptible de le faire.

Puis Alivia se pencha vers elle.

— C’est lui qui l’a envoyée chercher, Elza, dit-elle de sa voix traînante. Il sera mécontent si nous l’arrêtons. Contre nous, pas contre elle. Laissez-la passer.

Elza regarda la Seanchane du coin de l’œil avec un rictus méprisant. Alivia était très supérieure à elle dans le Pouvoir mais c’était une Irrégulière et une menteuse du point de vue d’Elza qui semblait ne pas accepter qu’Alivia ait été damane. Elza lança un regard à Cadsuane, puis à la porte derrière elle, et ajusta son châle. À l’évidence, elle n’avait pas envie de déplaire au jeune homme.

— Je vais voir s’il est prêt à vous recevoir, dit-elle, renfrognée. Qu’elle attende ici, ajouta-t-elle à l’adresse d’Alivia, plus sèchement, avant de se retourner pour frapper légèrement à la porte.

Une voix d’homme répondit, et elle entrebâilla la porte juste assez pour se glisser dans la pièce, refermant derrière elle.

— Il faut lui pardonner, dit Alivia, de sa voix traînante de Seanchane si irritante. À mon avis, c’est juste qu’elle prend son serment très au sérieux. Elle n’a pas l’habitude de servir qui que ce soit.

— Les Aes Sedai tiennent parole, répliqua Cadsuane, ironique.

Alivia lui donnait l’impression que sa façon de parler était aussi vive et rapide que celle des Cairhienines.

— C’est notre devoir.

— En effet. Et au cas où vous ne le sauriez pas, j’en suis convaincue moi aussi. Je lui dois tout et je ferai ce qu’il voudra de moi.

Une remarque fascinante. Puis Elza ressortit. Derrière elle venait Algarin, sa barbe joliment taillée en pointe. Il s’inclina devant Cadsuane, avec un sourire qui accentua ses rides. Sa tunique de drap sombre, datant de sa jeunesse, pendait sur lui, informe, et ses cheveux étaient clairsemés. Il n’y avait aucune chance d’apprendre pourquoi il avait rendu visite au jeune al’Thor.

— Il va vous recevoir maintenant, dit Elza d’un ton sec.

Le jeune homme se tenait debout quand Cadsuane entra, presque aussi grand et large d’épaules que Lan, en tunique noire à broderies d’or sur les manches et le haut col. À son goût, cette tenue ressemblait trop à une tunique d’Asha’man, même avec ses broderies, mais elle ne dit rien. Il s’inclina avec courtoisie, l’accompagnant jusqu’à un fauteuil garni d’un coussin à pompons, devant la cheminée, et lui demandant si elle voudrait du vin.

Celui du pichet, posé sur une console avec deux coupes, était froid, mais il pouvait en demander d’autre. Elle avait travaillé si dur pour l’obliger à se montrer poli qu’il pouvait bien s’habiller comme il voulait. Il y avait des domaines plus importants où elle devait le guider. Ou l’aiguillonner. Ou le pousser, selon le besoin. Elle n’allait pas perdre du temps à lui parler de sa tunique.

Inclinant poliment la tête, elle refusa le vin. Une coupe de vin offrait bien des possibilités – déguster lentement quand on avait besoin de réfléchir, contempler sa coupe quand on voulait dissimuler son regard –, pourtant elle ne devait pas quitter ce jeune homme des yeux. Son visage était presque aussi peu expressif que celui d’une sœur. Avec ses cheveux auburn et ses yeux bleu-gris, il aurait pu passer pour un Aiel, mais peu d’Aiels avaient le regard aussi froid. À côté de lui le ciel matinal qu’elle regardait tout à l’heure paraissait presque chaleureux. Il était encore plus froid qu’il ne l’était avant Shadar Logoth. Plus dur aussi, malheureusement. Plus… las, également.

— Algarin a un frère qui pourrait canaliser, dit-il, se tournant vers un fauteuil, face à elle.

Au milieu de son mouvement, il chancela. Il se retint à un bras du fauteuil, aboyant un éclat de rire, feignant d’avoir trébuché sur ses bottes. Il n’avait pas saisi le saidin – elle l’avait déjà vu chanceler quand il le saisissait – sinon, ses ornements l’auraient avertie. Corele disait qu’il avait simplement besoin d’un peu de sommeil pour récupérer de Shadar Logoth. Par la Lumière, il fallait qu’elle le maintienne en vie, sans quoi elle aurait travaillé pour rien !

— Je sais, dit-elle.

Et comme il semblait qu’Algarin lui avait tout dit, elle ajouta :

— C’est moi qui ai capturé Emarin et qui l’ai emmené à Tar Valon.

Il était curieux qu’Algarin en soit reconnaissant, aux yeux de certains, mais son jeune frère avait survécu plus de dix ans à la désactivation après qu’elle l’avait aidé à se réconcilier avec sa situation. Les frères étaient très proches.

Les sourcils du jeune homme frémirent quand il s’assit dans son fauteuil. Il ne le savait pas.

— Algarin désire être testé, dit-il.

Elle soutint son regard avec sérénité et garda le silence. Les enfants d’Algarin étaient mariés, ceux qui vivaient encore. Peut-être était-il prêt à donner son domaine à ses descendants. Dans tous les cas, un homme de plus ou de moins capable de canaliser ne faisait aucune différence à ce stade. À moins que ce ne fût le jeune homme qui la regardait fixement.

Au bout d’un moment, il remua le menton, ébauche d’un salut de la tête. L’avait-il testée ?

— Ne craignez pas que je vous le cache quand vous vous conduirez en imbécile, mon garçon.

La plupart des gens se souvenaient, après une première entrevue, qu’elle avait la langue acérée. Mais ce jeune homme avait besoin qu’on le lui rappelle de temps en temps. Il émit un grognement. C’était peut-être un rire attristé. Elle se souvint qu’il désirait qu’elle lui apprenne quelque chose, même s’il ne semblait pas savoir quoi. Peu importait d’ailleurs ; ce pouvait être n’importe quoi dans une longue liste qu’elle avait à peine entamée.

Le visage du jeune al’Thor aurait pu être taillé dans la pierre, tant il était peu expressif. Il se leva d’un bond et se mit à faire les cent pas entre la cheminée et la porte, serrant les poings dans son dos.

— J’ai parlé avec Alivia au sujet des Seanchans, dit-il. Ce n’est pas sans raison qu’ils appellent leur troupe l’Armée Toujours Victorieuse. Elle n’a jamais perdu une guerre. Des batailles, oui, mais jamais une guerre. Quand ils perdent une bataille, ils font une pause et réfléchissent à ce qu’ils ont mal fait, ou à ce que l’ennemi a bien fait. Puis ils changent de tactique pour pouvoir gagner.

— C’est la sagesse même, dit-elle, quand le flot de paroles s’arrêta.

À l’évidence, il attendait un commentaire.

— Je connais des hommes qui font la même chose, poursuivit-elle. Davram Bashere, entre autres. Gareth Bryne, Rodel Ituralde, Agelmar Jagad. Même Pedron Niall, quand il était en vie. Tous de grands capitaines.