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Faile ajoutait de l’eau bouillante dans un baquet quand Alliandre dit d’un ton amer :

— Voilà l’Aes Sedai !

Galina, l’Aes Sedai en question, arborait un visage éternellement jeune et l’anneau en or du Grand Serpent, mais elle portait aussi une robe blanche de gai’shaine – en soie, aussi épaisse que le drap de laine des autres ! – avec une large ceinture ouvragée en or sertie de Gouttes de Feu qui lui ceignait étroitement la taille, et un haut col assorti autour du cou, des bijoux dignes d’une reine. Sa qualité d’Aes Sedai lui permettait parfois de sortir du camp seule, à cheval, mais elle revenait toujours. Elle réagissait comme les autres au moindre geste d’une Sagette, surtout avec Therava, dont elle partageait souvent la tente. En un sens, cette dernière particularité était ce qu’il y avait de plus étrange. Galina savait qui était Faile, qui était son mari, et connaissait les liens de Perrin avec Rand al’Thor. Elle menaçait de le révéler à Sevanna à moins que Faile et ses amies ne volent un objet dans la tente même où la Sagette couchait. C’était le troisième piège qui les attendait. Sevanna était obsédée par al’Thor, absurdement convaincue qu’elle pouvait l’épouser, et si elle apprenait que Faile était l’épouse de Perrin, Sevanna ne la quitterait pas des yeux, ruinant tous ses plans d’évasion. Elle serait la chèvre qui sert d’appât pour attirer le lion.

Faile avait déjà vu Galina trembler de peur et faire profil bas pour se faire oublier, mais pour le moment, elle traversait la place majestueusement, comme une reine dédaignant la piétaille, Aes Sedai jusqu’au bout des ongles. Et il n’y avait pas de Sagettes pour la faire minauder. Galina était jolie, sans être vraiment belle, et Faile ne comprenait pas ce que Therava pouvait lui trouver, si ce n’est le plaisir de dominer une Aes Sedai. Ce qui ne répondait toujours pas à la question : pourquoi restait-elle alors que Therava ne ratait pas une occasion de l’humilier ?

S’arrêtant à un pied de la table, Galina les regarda avec un petit sourire qu’on aurait pu qualifier d’apitoyé.

— Votre travail n’avance guère, dit-elle.

Elle ne parlait pas de la lessive.

C’était à Faile de répondre, mais Alliandre prit la parole, encore plus amère que tout à l’heure.

— Maighdin est partie chercher votre baguette d’ivoire ce matin, Galina. Quand consentirez-vous à nous apporter une partie de l’aide que vous nous avez promise ?

Les aider à s’évader, c’était la carotte que Galina leur avait fait miroiter, le bâton étant la menace de trahir l’identité de Faile. Jusqu’à présent, elles n’avaient vu que le bâton.

— Elle est allée dans la tente de Therava ce matin ? murmura Galina, toute pâle.

Faile réalisa que le soleil déclinait vers l’ouest, et son cœur battit douloureusement. Maighdin aurait dû être là depuis longtemps.

L’Aes Sedai semblait encore plus secouée qu’elle.

— Ce matin ? répéta Galina, regardant par-dessus son épaule.

Elle sursauta et cria quand Maighdin apparut soudain au milieu de la foule des gai’shains qui grouillait sur la place.

Contrairement à Alliandre, la servante aux cheveux d’or s’était endurcie chaque jour davantage depuis leur capture. Elle n’était pas moins désespérée, mais cela ne faisait qu’augmenter sa détermination. Comme la plupart des femmes de chambre, elle avait toujours une présence qui l’apparentait davantage à une reine qu’à une femme de chambre. Pour l’heure, elle passa près d’elles en chancelant, le regard terne, et plongea les bras dans un baquet, buvant avidement dans ses deux mains en coupe, puis s’essuyant la bouche d’un revers de manche.

— Je tuerai Therava quand nous partirons, dit-elle d’une voix rauque. J’aimerais pouvoir le faire tout de suite.

Ses yeux bleus reprirent vie, pleins de feu à présent.

— Vous êtes en sécurité, Galina, reprit-elle. Elle pensait que j’étais là pour voler. Je n’avais pas commencé à chercher. Quelque chose… il s’est produit quelque chose, et elle est partie après m’avoir ligotée. Pour plus tard.

Le feu s’éteignit dans son regard, remplacé par la perplexité.

— De quoi s’agit-il, Galina ? Même moi je l’ai senti, et j’ai pourtant si peu de capacité que ces Aielles ont décidé que je n’étais pas dangereuse.

Maighdin était capable de canaliser, mais de façon limitée et peu fiable. D’après ce que Faile avait entendu dire, la Tour Blanche l’aurait renvoyée alors qu’elle-même prétendait n’y être jamais allée. C’est pourquoi sa capacité ne les aurait guère aidées à s’évader. Faile s’apprêtait à demander de quoi elle parlait, mais elle ne lui en laissa pas le temps.

Galina était toujours très pale, bien que sereine et calme comme toute Aes Sedai. Sauf qu’elle empoigna la capuche et les cheveux de Maighdin et lui tira rudement la tête en arrière.

— Ne vous en mêlez pas, dit-elle froidement. Ça ne vous concerne pas. Occupez-vous seulement de m’obtenir ce que je veux. Mais faites-le bien.

Avant que Faile ne puisse prendre la défense de Maighdin, une autre femme portant la large ceinture et le haut col en or sur sa robe blanche s’approcha, tira Galina par la manche et la jeta par terre. Grosse et ordinaire, Aravine avait l’air triste et résigné la première fois que Faile l’avait vue, le jour où l’Amadicienne lui avait tendu la ceinture dorée qu’elle portait et lui avait dit qu’elle était maintenant « au service de Dame Sevanna ». Les jours écoulés depuis avaient endurci Aravine encore plus que Maighdin.

— Êtes-vous folle de poser la main sur une Aes Sedai ? dit sèchement Galina, se relevant péniblement.

Époussetant de la main sa robe de soie, elle dirigea toute sa fureur sur la grosse femme.

— Je vous ferai…

— Dois-je dire à Therava que vous étiez en train de maltraiter une gai’shaine de Sevanna ? l’interrompit froidement Aravine.

Elle parlait avec distinction. Elle avait peut-être été une marchande réputée, peut-être même une noble, mais elle n’évoquait jamais sa condition passée.

— La dernière fois que vous avez fourré le nez là où elle ne voulait pas, tout le monde vous a entendue gémir et supplier à cent pas à la ronde.

Galina tremblait de rage. C’était la première fois que Faile voyait une Aes Sedai dans cet état. Au prix d’un effort visible, elle se domina. Sa voix semblait ruisseler d’acide quand elle reprit la parole.