Выбрать главу

« Si j’avais le temps, je visiterais tous les villages de l’Andor. Cela ne fera aucune différence pour Caemlyn, mais cela fera peut-être toute la différence quand j’aurai gagné. »

Elle n’envisageait aucune autre possibilité que la victoire. Surtout en pensant à qui monterait sur le trône si elle perdait.

— La plupart des reines de notre histoire ont passé les premières années de leur règne à rassembler le peuple derrière elles, Aviendha, et certaines n’y sont jamais parvenues, mais des temps plus durs que ceux-là nous attendent. Je ne dispose peut-être pas d’une année avant qu’il me soit indispensable d’avoir tous les Andorans derrière moi. Il me tarde d’être sur le trône. Des temps très difficiles nous attendent, et je dois être prête. L’Andor doit être prêt, et c’est à moi de le préparer, termina-t-elle avec fermeté.

Aviendha lui toucha la joue en souriant.

— Vous m’apprendrez beaucoup pour devenir une Sagette, je crois.

Mortifiée, Elayne se sentit rougir. Elle avait les joues en feu ! Peut-être que les sautes d’humeur étaient pires que le maternage. Par la Lumière, elle avait encore des mois à vivre ainsi ! Elle éprouva un mouvement de ressentiment à l’égard de Rand. Ça n’était pas la première fois. C’est lui qui l’avait mise dans cet état – certes, elle l’avait aidé, encouragé même, mais ce n’était pas le problème –, puis il était parti avec un sourire suffisant. En fait, elle doutait que son sourire l’ait été, mais elle l’imaginait sans peine. Elle aurait aimé le voir passer du rire aux larmes d’un instant à l’autre, pour constater si ça lui plairait ! Je n’arrive pas à réfléchir de façon cohérente, pensa-t-elle, irritée. Ça aussi, c’était la faute de Rand.

Les palefreniers jugèrent enfin que Cœur de Feu et Siswai étaient assez dociles pour être montés par des dames, et Aviendha se mit en selle en utilisant le montoir avec bien plus de grâce qu’autrefois, arrangeant sa volumineuse jupe pour couvrir au maximum ses jambes gainées de bas noirs. Elle restait convaincue que ses propres jambes lui étaient bien plus utiles que celles d’un cheval, mais au moins était-elle devenue une cavalière passable. Bien qu’elle eût toujours tendance à paraître surprise quand son cheval lui obéissait. Cœur de Feu se mit à piaffer quand Elayne fut sur son dos, mais elle tira sèchement sur ses rênes, en fait, plus sèchement qu’elle ne l’aurait fait en temps normal. Son humeur changeante venait de lui inspirer brusquement une peur affreuse pour Rand, et, si elle ne pouvait pas assurer sa sécurité, elle avait au moins un mâle sous la main qu’elle pouvait diriger.

Six Gardes-Femmes prirent la tête, descendant la route au pas, la neige ne permettant pas d’aller plus vite, les autres les suivant en colonne impeccable, les dernières menant les animaux de bât par la bride. Les soldats traînaient derrière en désordre, avec leur propre cheval de bât, une bête le plus souvent mal étrillée, chargée de marmites, de balluchons, et même d’une demi-douzaine de poulets vivants. Quelques acclamations les saluèrent quand ils traversèrent le village entre les chaumières, puis franchirent le pont au-dessus d’un cours d’eau sinueux. Des cris retentirent « Elayne du Lys ! », « Trakand ! Trakand ! » et « Matherin tiendra ! ». Mais elle vit une femme pleurer dans les bras de son mari, en larmes lui aussi, et une autre femme qui tournait le dos aux cavaliers en baissant la tête, refusant même de regarder le convoi. Elayne espéra qu’elle renverrait bientôt leurs fils à la maison. Il y aurait peu de combats à Caemlyn, à moins qu’elle ne commette de terribles erreurs, mais quand la Couronne de Roses serait à elle, des batailles surviendraient. Au sud, il y avait les Seanchans, et au nord, les Myrddraals et les Trollocs attendant l’heure de descendre pour la Tarmon Gai’don. Le sang allait couler en Andor dans les jours à venir. Mais, qu’elle soit réduite en cendres, elle n’allait pas se mettre à pleurer, là maintenant !

Après le pont, la route remontait, côte abrupte entre pins, sapins et lauréoles. Il n’y avait guère plus de un mile jusqu’à la prairie de montagne qu’elles allaient rejoindre. La neige brillant sous les rayons du soleil portait encore les marques de sabots partant de l’endroit où l’ouverture d’un portail avait laissé un profond sillon dans la neige. Ils auraient pu arriver plus près du manoir, mais le risque que quelqu’un se trouvât à l’endroit de son ouverture avait été évité.

L’aura de la saidar entoura Aviendha dès qu’elles entrèrent dans la prairie. Elle avait ouvert ce portail pour venir ici à partir de leur dernière étape de la veille, un manoir à cent miles au nord, et elle allait en tisser un autre pour retourner à Caemlyn. À la vue d’Aviendha rayonnante de Pouvoir, Elayne ressentit un pincement au cœur. Celle qui ouvrait le portail pour quitter Caemlyn finissait toujours par ouvrir tous les autres jusqu’au retour, sachant qu’elle connaissait le terrain aux alentours du portail ; or, à chacun de leurs cinq voyages, Aviendha avait demandé à ouvrir le premier. Sans doute voulait-elle simplement s’exercer, comme elle le prétendait, bien qu’Elayne n’eût guère plus de pratique qu’elle, mais une autre possibilité lui était venue à l’idée. Peut-être qu’Aviendha préférait qu’elle ne canalise pas, en tout cas le moins possible. Parce qu’elle était enceinte. Le tissage qui les avait faites sœurs d’une même mère n’aurait pas pu être utilisé si l’une ou l’autre avait été enceinte, parce que l’enfant à naître aurait partagé le lien, chose à laquelle il n’était pas assez fort pour survivre. Pourtant, si tel avait été le cas, une Aes Sedai du palais l’aurait sûrement prévenue du danger. Mais, à la réflexion, Elayne songea qu’elles ne le savaient peut-être pas ; peu d’entre elles mettaient des enfants au monde. D’ailleurs, contrairement à ce qu’elles prétendaient – pour avoir elle-même parfois abusé de cette prétendue supériorité, Elayne était bien placée pour le savoir –, elles ignoraient beaucoup de choses. Il semblait pourtant étrange qu’elles puissent méconnaître un aspect aussi important de la vie des femmes. En revanche, les Sagettes qui, elles, avaient des enfants, n’avaient rien dit non plus et…

Brusquement, ses inquiétudes concernant son bébé, le canalisage et ce que les Aes Sedai pouvaient en savoir ou non, furent balayés de sa tête. Elle venait de sentir que quelqu’un canalisait la saidar. C’était lointain, comme un fanal flambant dans la nuit au sommet d’une montagne distante. D’une montagne très lointaine. Si distante qu’elle avait du mal à concevoir la quantité de Pouvoir Unique nécessaire pour que lui parvienne ce flux. Quoi qu’il en soit, toute femme au monde capable de canaliser devait le sentir. Sentir d’où ça venait. Et le fanal était à l’ouest. Rien n’avait changé dans le lien avec Rand, elle ne pouvait pas dire exactement où il se trouvait à cent miles près, mais elle savait.

— Il est en danger, dit-elle. Nous devons le rejoindre, Aviendha.

Aviendha se secoua et cessa de regarder vers l’ouest. L’aura perdura autour d’elle, et Elayne sentit qu’elle avait puisé à la Source aussi profondément qu’elle le pouvait. Mais quand Aviendha se tourna vers elle, elle sentit baisser le niveau de la saidar qu’elle embrassait.