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— Nous ne devons pas y aller, Elayne.

Horrifiée, Elayne se retourna sur sa selle pour la regarder.

— Vous voulez l’abandonner ? À ça !

Personne ne pouvait manier seul autant de saidar, pas même le cercle le plus puissant. Un sa’angreal existait, plus puissant qu’aucun autre fabriqué depuis la nuit des temps, et si ce qu’elle avait entendu dire était exact, il permettait peut-être ce canalisage. Mais d’après ce qu’elle savait, aucune femme ne pouvait l’utiliser et continuer à vivre, sans un sa’angreal fabriqué dans ce but, et personne n’en avait jamais vu. À n’en pas douter, aucune sœur ne l’aurait utilisé même si elle en avait trouvé un. Tant de Pouvoir Unique aurait rasé une montagne d’un seul coup ! Non, aucune sœur n’aurait essayé, sauf peut-être une de l’Ajah Noire. Ou pis, l’un des Réprouvés. Qu’est-ce que ce pouvait être ? Et Aviendha voulait simplement l’ignorer, alors qu’elle devait savoir que Rand était présent ?

Les Gardes-Femmes, inconscientes de ce qui se passait, attendaient patiemment sur leurs chevaux, surveillant les arbres entourant la prairie, et peu inquiètes après leur réception au manoir, mais Caseille observait Elayne et Aviendha, le front plissé derrière les barreaux de sa visière. Elle savait qu’elles ne s’attardaient jamais lors de l’ouverture d’un portail. Les hommes du manoir étaient regroupés autour de leur cheval de bat, tripotant les balluchons et discutant apparemment de leur contenu. Aviendha rapprocha encore son gris du noir d’Elayne et parla d’une voix étouffée.

— Nous ne savons rien, Elayne. Nous ignorons s’il fait danser les lances ou s’il fait autre chose. S’il fait danser les lances et que nous arrivions en pleine mêlée, nous attaquera-t-il avant de nous reconnaître ? Le distrairons-nous en le surprenant, risquant de permettre à ses ennemis de gagner ? S’il meurt, nous trouverons ceux qui ont pris sa vie et nous les tuerons, mais si nous le rejoignons maintenant, nous agirons à l’aveuglette, et nous provoquerons peut-être un désastre.

— Nous pourrions agir prudemment, dit Elayne, d’un ton revêche.

Elle enrageait d’être maussade, et de le montrer, tout en sachant que la seule chose à faire, c’était d’accepter son humeur changeante, en l’empêchant de la dominer totalement.

— Nous ne sommes pas obligées de Voyager jusqu’à l’endroit exact.

Saisissant son escarcelle, elle tâta la petite figurine en ivoire représentant une femme assise en tailleur, puis lança un coup d’œil entendu sur la broche en ambre de sa sœur.

— Par la Lumière, Aviendha, nous possédons des angreals, et nous ne sommes pas sans défense, ni l’une ni l’autre.

Ô Lumière, maintenant, voilà qu’elle parlait d’un ton irascible ! Elle savait très bien qu’à elles deux, dans cette situation, elles avaient le même pouvoir que des moustiques combattant un incendie. Cependant, une piqûre de moustique au bon moment pouvait faire une différence.

— Et ne venez pas me dire que je mettrais le bébé en danger. Min dit qu’elle naîtra saine et vigoureuse. Vous me l’avez dit vous-même. Ce qui signifie que je vivrai au moins jusqu’à sa naissance.

Elle parlait au féminin, espérant que ce serait une fille.

Cœur de Feu choisit ce moment pour mordiller le gris, et Siswai réagit en le mordant à son tour. Pendant quelques instants, Elayne n’eut d’autre souci que de maîtriser sa monture pour éviter qu’Aviendha ne soit désarçonnée, tout en assurant à Caseille qu’elle n’avait pas besoin d’aide. Cela fait, son accès de mauvaise humeur s’estompa, bien qu’elle eût envie de frapper Cœur de Feu entre les deux oreilles.

Aviendha se comporta comme si rien ne s’était passé. Elle fronça les sourcils, un peu hésitante, le visage encadré par le drap noir de son châle, mais son hésitation n’avait rien à voir avec le cheval.

— Je vous ai parlé des anneaux à Rhuidean, dit-elle lentement.

Elayne hocha la tête, impatiente à nouveau.

Toute femme désirant devenir Sagette était envoyée à travers un ter’angreal avant de commencer sa formation. Un ter’angreal du même type que celui utilisé pour tester les novices postulant au rang d’Acceptées à la Tour Blanche, si ce n’est que, dans celui-là, une femme voyait se dérouler toute sa vie. Ou, plutôt, toutes ses vies possibles, un éventail infini sur des choix différents.

— Personne ne peut se rappeler tout ça, Elayne, seulement des bribes et des morceaux. Je savais que j’aimerais Rand al’Thor…

Cela la mettait parfois mal à l’aise de n’utiliser que son prénom devant des tiers.

— … et que nous finirions sœurs-épouses. Pour la plupart des souvenirs, c’est une vague impression. Un soupçon d’avertissement, parfois. Je crois que si nous le rejoignons maintenant, quelque chose de regrettable surviendra. Peut-être que l’une de nous deux mourra, peut-être toutes les deux, malgré ce qu’a dit Min.

Qu’elle prononçât le nom de Min sans hésiter donnait la mesure de son inquiétude. Elle ne connaissait pas très bien Min, et généralement l’appelait cérémonieusement Min Farshaw.

— Peut-être qu’il mourra, ou qu’il se passera autre chose. Je ne sais pas exactement – peut-être que nous survivrons tous, et que nous nous assiérons avec lui autour d’un feu de camp pour griller des pecaras –, mais un signal d’alarme clignote dans ma tête.

Elayne ouvrit la bouche avec colère. Puis elle la referma, la colère s’écoulant d’elle comme de l’eau par le trou d’une bonde, et ses épaules s’affaissèrent. Ce signal dans la tête d’Aviendha devait peut-être être entendu comme un avertissement, et ses arguments étaient, certes, convaincants. Rejoindre Rand était un grand risque pris dans la précipitation. Le fanal était de plus en plus brillant. Et Rand était là, juste au même endroit que le fanal. Le lien ne le lui disait pas, mais elle le savait. Elle devait le laisser s’occuper de lui-même pendant qu’elle s’occupait de l’Andor.

— Je ne suis pas qualifiée pour vous apprendre à être une Sagette, Aviendha, dit-elle doucement. Vous avez déjà plus de sagesse que moi. Sans parler de votre grande bravoure et de votre sang-froid. Nous retournons à Caemlyn.

Aviendha rougit un peu à ces louanges – elle pouvait être très sensible par moments –, mais elle ne perdit pas de temps avant d’ouvrir le portail sur une vue panoramique d’une cour d’écurie du Palais Royal, qui s’élargit en un trou et laissa la neige de la prairie tomber sur les pavés soigneusement balayés à trois cents miles de là. La présence de Birgitte, quelque part dans le palais, surgit dans la tête d’Elayne. Birgitte avait la migraine et des maux d’estomac, ce qui était assez fréquent ces derniers temps, mais cela ne convenait que trop bien à l’humeur d’Elayne.

Je dois le laisser s’occuper seul de ses affaires, pensa-t-elle en franchissant le portail. Par la Lumière, combien de fois avait-elle pensé cela ? Peu importait. Rand était l’amour de son cœur et la joie de sa vie. L’Andor était son devoir.

11

Question de dettes

Le portail était positionné de telle sorte qu’Elayne sembla sortir d’un trou dans le mur de la rue, sur une place pavée bordée de tonneaux de sable pour la sécuriser. Curieusement, elle ne sentit aucune femme canaliser à l’intérieur du palais, quoiqu’il y logeât plus de cent cinquante femmes capables de le faire. Certaines devaient être postées sur les murailles de la cité, bien sûr, trop loin pour qu’elle perçoive quelque chose à part un cercle en action, et d’autres étaient dans la cité. Pourtant, il y avait presque toujours quelqu’un au palais qui utilisait la saidar, soit forçant l’une des sul’dams captives à reconnaître qu’elle pouvait voir les tissages du Pouvoir Unique, soit pour simplement lisser les plis d’un châle sans avoir à chauffer un fer à repasser. Pas ce matin. L’arrogance des Pourvoyeuses-de-Vent égalait souvent la morgue affichée par les Aes Sedai, pourtant, même tout cela semblait écrasé par ce qu’elle percevait. Elayne se dit que si elle grimpait jusqu’à une haute fenêtre, elle devrait voir les tissages de ce brillant fanal à des centaines de lieues. Elle avait l’impression d’être une fourmi, découvrant une montagne pour la première fois, une fourmi comparant l’Échine du Monde aux collines qui l’avaient toujours impressionnée. Oui, même les Pourvoyeuses-de-Vent devaient se faire toutes petites devant cet événement.