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Quoi qu’elle pensât des autres femmes de la Famille, elle admettait que Zarya soit une fugitive, puisque c’était Adeleas qui l’avait démasquée. Si Kirstian était réellement une menteuse, eh bien, elle finirait par le payer. Les fugitives n’étaient pas traitées avec beaucoup d’indulgence.

— Je passe des heures avec elle moi aussi, et elle ne parle presque jamais d’autre chose que d’Adeleas. On dirait qu’elle veut ajouter mes souvenirs aux siens. Je pense qu’on devrait lui donner autant de temps qu’elle en a besoin. Or ces deux Irrégulières l’empêchent trop souvent d’être seule.

Jetant un regard en coin à Elayne, elle prit une profonde inspiration.

— Quand même, enseigner aux Pourvoyeuses-de-Vent est… une épreuve. Peut-être que leur donner un cours de temps en temps la tirerait de sa prostration, ne serait-ce qu’en la mettant en colère. N’êtes-vous pas d’accord, Elayne ? Juste une heure ou deux de temps en temps.

— Vandene sera autorisée à prendre tout le temps dont elle aura besoin pour faire le deuil de sa sœur, dit Elayne d’une voix égale. Et qu’on n’en parle plus !

Careane poussa un profond soupir et arrangea de nouveau son châle. Sareitha soupira plus discrètement et fit tourner son anneau du Grand Serpent à l’index de sa main gauche. Elayne se demanda si elles avaient perçu son humeur ; peut-être cherchaient-elles aussi à gagner du temps, peu pressées d’aller dispenser leur leçon aux Pourvoyeuses-de-Vent. L’air perpétuellement ahuri de Merilille ne changea pas. Ses sessions avec les femmes du Peuple de la Mer duraient toute la journée et toute la nuit, sauf si Elayne parvenait à l’arracher à leurs griffes. Les Pourvoyeuses-de-Vent renâclaient de plus en plus à la laisser partir, malgré tous les efforts d’Elayne.

Elle avait au moins évité d’être cassante avec les trois sœurs. Cela demandait un effort, surtout devant Aviendha. Elayne ne savait pas ce qu’elle ferait si elle perdait sa sœur. Vandene ne se contentait pas de pleurer sa sœur, elle recherchait aussi sa meurtrière, et il ne faisait aucun doute que c’était Merilille Ceandevin, Careane Fransi ou Sareitha Tomares. L’une d’elles, peut-être avec la complicité d’une autre, voire des deux. Une telle accusation proférée contre une sœur était déjà difficile à croire, mais encore plus s’agissant de Merilille. Pourtant, comme Birgitte l’avait fait remarquer, l’un des pires Amis du Ténébreux pendant les Guerres Trolloques avait été un garçon doux comme un agneau qui sursautait au moindre bruit. Il avait empoisonné l’alimentation en eau de toute une ville. Aviendha, aujourd’hui beaucoup plus décontractée à l’égard des Aes Sedai qu’elle ne l’avait été, suggérait de les soumettre toutes les trois à la question, ce qui avait horrifié Birgitte. Elle pensait, elle, qu’il fallait rester courtoises jusqu’à ce qu’il y ait des preuves. Là, il ne serait plus question de courtoisie.

— Oh ! dit Sareitha, s’éclairant soudain. Voilà le Capitaine Mellar. Il s’est encore comporté en héros pendant votre absence, Elayne.

Aviendha saisit le manche de sa dague, et Birgitte se raidit. Le visage de Careane se figea, très froid, et même Merilille arbora un air hautain désapprobateur. Aucune des sœurs ne dissimulait son aversion pour Doilan Mellar.

Visage étroit, il n’était pas beau, mais il évoluait avec la grâce décontractée d’un escrimeur, annonçant la force physique. En sa qualité de Capitaine de la Garde rapprochée d’Elayne, trois nœuds d’or fixés à chaque épaule de son plastron étincelant indiquaient son grade. Un observateur ignorant aurait pu croire qu’il avait un grade supérieur à celui de Birgitte. Les cascades de dentelle blanche comme neige à son col et à ses poignets étaient deux fois plus épaisses et longues que celles des Gardes-Femmes ; aujourd’hui, il avait renoncé au baudrier, peut-être parce qu’il aurait dissimulé en partie ses nœuds d’or. Il prétendait qu’il ne désirait rien tant que commander la garde rapprochée. Pourtant, il parlait fréquemment des combats qu’il avait livrés quand il était mercenaire. À l’entendre, on pouvait croire qu’il n’avait jamais figuré parmi les vaincus, et que la victoire avait souvent couronné des exploits méconnus sur le champ de bataille. Ôtant son chapeau à plumes blanches, il fit une révérence pleine de panache, retenant adroitement son épée de l’autre main, puis en fit une plus modeste à Birgitte, saluant la main sur le cœur.

Elayne se força à sourire.

— Sareitha dit que vous vous êtes comporté en héros, Capitaine Mellar. Comment ça ?

— Je n’ai rien fait de plus que mon devoir envers ma Reine.

Malgré ses propos de modestie, son sourire fut plus chaleureux qu’il n’aurait dû l’être. La moitié du palais croyait qu’il était le père de l’enfant d’Elayne. Et le fait qu’elle n’ait pas démenti la rumeur semblait lui faire croire qu’il avait ses chances. Pourtant, le sourire ne parvint pas jusqu’à ses yeux, qui restaient froids comme la mort.

— Accomplir mon devoir est mon plus grand plaisir, ma Reine.

— Hier, le Capitaine Mellar a pris la tête d’une sortie de sa propre initiative, dit Birgitte d’un ton soigneusement neutre. Cette fois, les combats se sont poursuivis presque jusqu’à la Porte de Far Madding, qu’il avait ordonne de laisser ouverte en vue de son retour.

Elayne sentit son visage se durcir.

— Oh, non ! protesta Sareitha. Ce n’est pas ça du tout. Une centaine d’hommes du Seigneur Luan ont tenté de rejoindre la cité pendant la nuit, mais ils étaient partis trop tard, et l’aube les a surpris face à un détachement de trois cents soldats du Seigneur Nasin. Si le Capitaine Mellar n’avait pas ouvert les portes pour les secourir, ils auraient été taillés en pièces devant les murailles. Il en a sauvé ainsi quatre-vingts pour notre cause.

Souriant, Mellar se délectait de ces louanges comme s’il n’avait pas entendu les critiques de Birgitte. Naturellement, il semblait ne pas voir non plus l’air désapprobateur de Careane et Merilille. Il s’arrangeait toujours pour ignorer la critique.

— Comment saviez-vous que c’étaient des hommes du Seigneur Luan, Capitaine ? demanda doucement Elayne.

Un petit sourire, qui aurait pu servir d’avertissement à Mellar, parut sur le visage de Birgitte. Mais il était de ceux qui semblaient ne pas croire qu’elle était une Lige. Et même s’il le croyait, peu de gens en dehors des Liges et des Aes Sedai savaient ce que supposait le lien. Au contraire, il prit un air encore plus suffisant.

— Sûrement pas à leurs bannières, ma Reine. N’importe qui peut brandir n’importe quoi. En fait, j’ai reconnu Jurad Accan grâce à ma lunette d’approche. Accan est dévoué à Luan jusqu’au bout des ongles. Dès que j’ai su ça…

Il eut un geste dédaigneux dans un tourbillon de dentelle.

— … le reste ne fut plus qu’une promenade de santé.

— Et ce Jurad Accan a-t-il apporté un message du Seigneur Luan signé et scellé affirmant le soutien de la Maison Norwelyn pour Trakand ?

— Rien d’écrit, ma Reine, mais comme je l’ai dit…

— Le Seigneur Luan ne s’est pas déclaré en ma faveur, Capitaine.

Le sourire de Mellar s’estompa. Il n’avait pas l’habitude qu’on l’interrompe.

— Mais, ma Reine, Dame Dyelin dit que Luan vous est pratiquement acquis à l’heure qu’il est. L’arrivée d’Accan est la preuve de…

— De rien du tout, Capitaine, dit froidement Elayne. Peut-être le Seigneur Luan finira-t-il par se rallier à mon camp, Capitaine, mais jusqu’à ce qu’il se déclare, il faudra surveiller les quatre-vingts hommes.

Quatre-vingts sur cent. Et combien des siens avait-il perdus ? Il avait mis Caemlyn en danger, qu’il soit réduit en cendres !

— Puisque, en plus du commandement de ma garde rapprochée, vous trouvez le temps de sortir, vous trouverez celui d’organiser leur surveillance. Je ne dégarnirai pas les murailles pour ça. Affectez Maître Accan et ses soldats à l’entraînement des hommes que j’ai ramenés des manoirs. Cela les occupera et les empêchera de faire des bêtises, mais c’est vous qui devrez les éloigner des murailles le reste du temps. Et j’entends qu’ils n’approchent pas des remparts et qu’ils ne provoquent pas de troubles. Vous pouvez disposer maintenant.