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Mellar la regarda, comme frappé par la foudre. Elle ne l’avait jamais réprimandé avant ça, et ça ne lui plaisait pas, surtout en public. Le sourire chaleureux avait disparu. Sa bouche se tordit et une lueur rancunière s’alluma dans ses yeux. Mais il ne pouvait rien faire, sinon s’incliner avec raideur.

— Aux ordres de ma Reine, murmura-t-il d’une voix rauque.

Il se retira, faisant aussi bonne figure que possible. Il emprunta rageusement le couloir, prêt à piétiner quiconque sur son chemin. Elayne songea qu’elle devrait dire à Rosaria de faire attention. Mellar risquait de reporter tout son fiel sur ceux qui avaient vu et entendu la scène. Merilille et Careane avaient hoché la tête à l’unisson ; cela faisait longtemps qu’elles attendaient de voir Mellar rappelé à l’ordre, voire chassé du palais.

— Même s’il a eu tort, dit Sareitha avec prudence, et je ne suis pas convaincue que ce soit le cas, le Capitaine Mellar vous a sauvé la vie, à vous et à Dame Dyelin, en risquant la sienne, Elayne. Était-il vraiment indispensable de l’humilier devant nous toutes ?

— Je paye toujours mes dettes, Sareitha. Ne l’oubliez jamais.

Elayne sentit Aviendha saisir une de ses mains, Birgitte l’autre, et elle les pressa doucement toutes les deux. Quand on est entouré d’ennemis, c’est bon d’avoir près de soi une sœur et une amie.

— Maintenant, je vais me prendre un bon bain chaud, et à moins que l’une de vous ne veuille me gratter le dos…

Elles comprirent qu’elles étaient congédiées et se retirèrent de bonne grâce. Careane et Sareitha se demandaient déjà si les Pourvoyeuses-de-Vent allaient exiger leurs leçons ce jour-là. Merilille, elle, s’efforçait de les éviter à tout prix. Mais de quoi parleraient-elles plus tard ? De la possibilité qu’Elayne ait eu une prise de bec avec le père de son enfant ? De la culpabilité qu’elles pouvaient ressentir d’avoir tué Adeleas et d’avoir réussi à le dissimuler ?

Je paye toujours mes dettes, pensa Elayne, les regardant sortir. Et j’aide toujours mes amies à payer les leurs.

12

Une bonne affaire

Elayne attendait dans le couloir, fronçant les sourcils sur les portes sculptées de lions menant à ses appartements, les flammes des torchères tremblotant dans les courants d’air pendant que Rosaria et deux Gardes-Femmes entraient pour les fouiller. Quand elles furent sûres qu’aucun assassin ne lui avait tendu une embuscade, et qu’elles eurent déployé des gardes dans les couloirs et l’antichambre, Elayne entra et trouva Essande qui l’attendait dans la chambre à coucher avec Naris et Sephanie, les deux demoiselles de compagnie qu’elle formait. Essande était mince, avec le Lys d’or d’Elayne brodé sur le cœur, et d’une grande dignité encore soulignée par sa démarche assurée, bien qu’atteinte par l’âge et des rhumatismes qu’elle refusait d’admettre. Naris et Sephanie étaient sœurs, fraîches, robustes et timides, fières de leur livrée et d’avoir été choisies pour cette charge plutôt que pour nettoyer les couloirs. Elles étaient presque autant intimidées par Essande que par Elayne. Bien qu’il existât des femmes de chambre plus expérimentées, qui travaillaient au palais depuis des années, elles avaient été choisies parce que, étrangères au palais, elles étaient corvéables à merci et présentaient moins de danger.

L’un des tapis avait été roulé. Deux baignoires en cuivre reposaient sur une épaisse couche de serviettes posées sur les dalles roses, preuve que la nouvelle de son retour l’avait devancée. Les domestiques avaient un don pour sentir ce qui se passait, qu’auraient pu leur envier les yeux-et-oreilles de la Tour. Après l’atmosphère glacée des couloirs, la chambre paraissait chaude avec un bon feu ronflant dans la cheminée et ses fenêtres hermétiquement closes. Dès qu’Elayne fut entrée, Essande envoya Sephanie chercher les hommes qui devaient apporter l’eau chaude. Elle serait transportée dans des seaux fermés à double paroi, pour qu’elle ne se refroidisse pas depuis les cuisines, mais son arrivée serait peut-être un peu différée par les Gardes-Femmes qui vérifieraient qu’il n’y avait pas de couteaux cachés dans l’eau.

Aviendha lorgna la deuxième baignoire d’un air aussi perplexe qu’Essande lorgnait Birgitte, l’une toujours mal à l’aise à l’idée de se plonger dans l’eau, l’autre n’acceptant pas l’idée que quelqu’un assiste à son bain. Essande se dépêcha d’entraîner Elayne et Aviendha dans l’antichambre, où un autre feu, brûlant dans une grande cheminée de marbre, réchauffait un peu l’atmosphère. Aidée d’Essande, elle se débarrassa de sa tenue d’équitation avec soulagement. Elle était bien consciente que des affaires autrement plus sérieuses l’attendaient après ce bain pris à la hâte dans une ambiance de fausse sérénité, mais au moins elle était chez elle et pouvait se permettre d’oublier un instant ce fanal brillant qui s’était allumé à l’ouest. Un instant de répit.

Aviendha écarta d’une tape les mains de Naris et ôta elle-même ses bijoux. Puis, elle tenta de s’emmailloter dans une robe de chambre de soie brodée. Elle s’y reprit à trois fois avant de laisser Naris officier, marmonnant qu’elle s’amollissait tellement qu’il lui faudrait bientôt quelqu’un pour lui lacer ses bottes. Elayne, déjà prête, et la tête entourée d’une serviette blanche, partit d’un éclat de rire auquel elle se joignit, rejetant la tête en arrière, de sorte que Naris dut tout recommencer. Elles retournèrent dans la chambre, où les baignoires avaient été remplies, et humèrent l’essence de rose qu’on y avait versée. Les hommes qui avaient apporté l’eau étaient partis, et Sephanie attendait, les manches relevées au-dessus des coudes, au cas où l’une ou l’autre voudrait qu’elle lui frotte le dos. Birgitte était assise au pied du lit sur un coffre incrusté de turquoises, les coudes sur les genoux.

Elayne laissa Essande l’aider à ôter sa robe de chambre vert clair brodée d’hirondelles, et entra immédiatement dans la baignoire, se plongeant jusqu’au menton dans une eau presque trop chaude. Ses genoux pointaient à la surface, mais tout le reste de son corps était immergé dans la chaleur. Elle soupira d’aise, sentant sa fatigue la quitter et une délicieuse langueur l’envahir. L’eau chaude lui semblait le plus grand bienfait de la civilisation.

Fixant l’autre baignoire, Aviendha sursauta quand Naris tenta de lui ôter sa robe de chambre couleur lavande aux larges manches brodées de fleurs. Grimaçant, elle finit par se laisser faire et entra dans l’eau avec circonspection. Elle arracha le savon rond des mains de Sephanie et commença à se savonner vigoureusement, tout en prenant bien soin de ne pas répandre par terre ne fût-ce qu’une goutte d’eau. Les Aiels avaient coutume de se laver dans des tentes-étuves, utilisant l’eau essentiellement pour se rincer le corps et les cheveux du savon qu’ils fabriquaient à partir de plantes grasses du désert ; cette eau de rinçage était ensuite utilisée pour arroser les récoltes. Aussi avait-elle été impressionnée lorsque Elayne lui avait montré deux des immenses citernes construites sous Caemlyn, alimentées par deux larges rivières souterraines. Mais Aviendha était une fille du Désert…

Ignorant l’air affairé d’Essande – elle était peu loquace, et trouvait que les baignoires n’étaient pas des endroits pour faire la conversation –, Birgitte bavardait pendant qu’elles se savonnaient, surveillant tout de même ses paroles devant Naris et Sephanie. Il était peu probable qu’elles soient à la solde d’une autre Maison, mais les servantes cancanaient presque autant que les hommes – c’était presque une tradition. Néanmoins, certaines rumeurs étaient bonnes à entretenir. Birgitte parla surtout de deux immenses convois de marchandises arrivés de Tear la veille, avec des chariots chargés de grain et de bœuf salé, et un autre arrivé d’Illian avec de l’huile, du sel et du poisson fumé. Il était toujours bon de rappeler au peuple que les denrées alimentaires continuaient à affluer dans la cité. Peu de marchands bravaient les intempéries de l’hiver andoran, encore moins pour y acheminer des denrées alimentaires bon marché. Les portails signifiaient cependant qu’Arymilla pouvait intercepter tous les marchands qu’elle voulait avant que Caemlyn ne ressente les premières affres de la faim. Les Pourvoyeuses-de-Vent, qui tiraient le plus grand profit des portails, rapportaient que le Haut Seigneur Darlin – il revendiquait le titre de Gouverneur de Tear pour le Dragon Réincarné ! – était assiégé dans la Pierre de Tear par des nobles qui voulaient expulser de Tear le Dragon Réincarné. Eux-mêmes ne risquaient sûrement pas d’arrêter un riche commerce de grains, et d’autant moins qu’ils croyaient que les femmes de la Famille qui accompagnaient les Pourvoyeuses-de-Vent étaient des Aes Sedai. Non qu’on ait tenté consciemment de les tromper, mais on avait fabriqué des anneaux du Grand Serpent pour celles de la Famille qui avaient passé le test d’Acceptées avant de pouvoir être envoyées à la Tour. Si quelqu’un en tirait des conclusions erronées, personne ne leur avait menti sciemment.