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Servaz reposa l’appareil sur la table de chevet. Il se sentait étrangement ému.

— Si je comprends bien ce que vous me dites, articula le juge stupéfait, les doigts joints sous son menton, vous étiez à Paris en compagnie du probable futur candidat de l’opposition à l’élection présidentielle le soir où Claire Diemar a été tuée.

Le magistrat n’était plus du tout pressé de rentrer chez lui à présent. Plus du tout. Paul Lacaze hocha la tête.

— C’est ça. Je suis rentré de nuit par l’autoroute. Mon chauffeur pourra vous le confirmer.

— Et, bien sûr, il y a d’autres personnes que votre chauffeur qui pourraient en témoigner le cas échéant ? Ce membre de l’opposition, par exemple ? Ou bien son entourage immédiat ?

— Si cela devient nécessaire uniquement. Mais j’espère que nous n’aurons pas à en arriver là…

— Pourquoi ne pas l’avoir dit avant ?

Le député esquissa un sourire triste. Le palais de justice s’était vidé et ses couloirs étaient silencieux. Ils ressemblaient à deux conspirateurs. Ce qu’ils étaient, tout compte fait.

— Vous vous rendez bien compte que si cela vient à se savoir, ma carrière politique est finie… Et vous savez comme moi qu’il n’y a pas de secret de l’instruction dans ce pays, que tout finit toujours dans la presse. Vous comprendrez donc qu’il était extrêmement difficile pour moi d’en parler dans ces bureaux ou dans ceux de la police.

Les mâchoires du juge d’instruction se crispèrent. Il n’aimait pas que la probité des représentants de la justice soit mise en cause.

— Mais en prenant le risque d’être mis en examen, vous en avez aussi pris un énorme pour votre carrière.

— Le temps me manquait. Il fallait que je réagisse… et que je choisisse entre deux maux. Je n’avais évidemment pas prévu qu’il arriverait le même soir ce… ce qui s’est passé. Et c’est pourquoi il faut que vous trouviez le coupable le plus rapidement possible, monsieur le juge. Parce que ainsi je serai blanchi, ceux qui auront suggéré que je puisse être coupable seront décrédibilisés et je reviendrai sur le devant de la scène comme l’homme politique intègre qu’on a cherché à abattre.

— Mais alors, pourquoi me faire ces aveux maintenant ?

— Parce que j’ai cru comprendre que vous aviez une autre piste… cette histoire d’accident…

Le juge fronça les sourcils. Le député était décidément bien renseigné.

— Et ?

— Dès lors, il n’est peut-être pas nécessaire de consigner cet… entretien informel que nous avons quelque part. D’ailleurs, je ne vois aucun greffier, dit Lacaze en feignant de regarder autour de lui.

Sartet eut à son tour un demi-sourire :

— D’où la visite tardive…

— J’ai parfaitement confiance en vous, monsieur le juge, insista Lacaze. Mais en vous seulement. J’ai beaucoup moins confiance dans ceux qui vous entourent. On m’a vanté votre probité.

Le juge prit avec un sourire cette flatterie un peu grossière, mais, bien qu’il n’en laissât rien paraître, elle fit néanmoins son effet. En outre, il était tout aussi flatté de se retrouver, lui, petit juge d’instruction, au cœur d’une possible affaire d’État.

— Les informations concernant votre relation avec cette enseignante ont commencé à filtrer dans la presse, fit-il remarquer. Elles aussi risquent de nuire à votre carrière. Surtout compte tenu de l’état de santé de votre femme…

Un pli se dessina sur le front de Lacaze, mais il balaya l’argument d’un geste.

— Beaucoup moins cependant qu’une collusion avec le parti adverse ou un meurtre, répondit-il. Et une lettre que j’ai écrite à Claire peu avant sa mort va opportunément tomber dans les mains de la presse. On y lit que j’avais décidé de rompre avec elle pour me dévouer entièrement à mon épouse malade. Que je ne voulais plus la voir, mais consacrer au contraire toute mon énergie et mon dévouement à Suzanne. Je précise que cette lettre, je l’ai vraiment écrite. Elle est parfaitement authentique. Simplement, je n’avais pas prévu de la rendre publique…

Sartet transperça son vis-à-vis du regard avec un frisson de dégoût et d’admiration mêlés.

— Dites-moi juste une chose. La raison de cette rencontre à haut risque avec l’opposition, c’était bien pour refaire le coup de Chirac en 1981, n’est-ce pas ? Vous vous entendez avec le futur candidat probable de l’opposition à la prochaine élection présidentielle, vous lui assurez que bien des voix de votre parti se reporteront sur lui au second tour et comme ça, dans cinq ans, vous vous présentez contre lui.

— On n’est plus en 1981, le corrigea Lacaze. Les gens de mon parti ne voteront certainement pas pour un candidat de l’opposition sauf — peut-être — si sa politique économique est raisonnable et a déjà fait ses preuves ailleurs. Et s’ils désapprouvent celle de notre actuel Président… J’ai peur que sa cote de popularité ne lui permette pas de se faire réélire, de toute façon.

— Cela suppose tout de même que la personne que vous avez rencontrée vendredi dernier emporte les primaires de son parti et soit bien le candidat de l’opposition à la présidentielle, fit remarquer le juge avec l’air de s’amuser de plus en plus. Dans deux ans…

Lacaze lui renvoya son sourire.

— C’est un risque à courir.

On cogna à la porte. Servaz tourna la tête dans cette direction. Il entendit Espérandieu bouger dans son fauteuil.

— Oh, excusez-moi, dit une voix de jeune homme. Je venais voir s’il s’était endormi.

— Pas de problème, répondit son adjoint.

La porte se referma. Espérandieu retraversa la chambre et le fauteuil couina sous son poids. Il y avait moins de bruit à présent dans les couloirs. La pluie tombait sans relâche derrière les vitres et le tonnerre continuait de gronder.

— Qui c’était ?

— Un infirmier — ou un interne…

— Rentre chez toi, dit-il.

— Non, c’est bon, je peux rester.

— Qui surveille Margot ?

— Samira et Pujol. Plus deux gendarmes.

— Rejoins-les. Tu seras plus utile là-bas.

— Tu en es sûr ?

— Si Hirtmann veut s’en prendre à moi, c’est à elle qu’il s’attaquera. (Sa voix trembla quelque peu.) Il ne sait même pas que je suis ici. Et puis, il préférera s’attaquer à une femme… Je suis inquiet, Vincent. Inquiet pour Margot. Je serai plus tranquille si tu es là-bas avec Samira.

— Et la personne qui t’a tiré dessus, tu y penses ?

— Même chose. Elle ignore que je suis ici. Et tirer sur quelqu’un la nuit au milieu des bois, ce n’est pas la même chose que de le faire dans un hôpital.

Il devina que son adjoint réfléchissait.

— D’accord. Compte sur moi. Je ne vais pas lâcher Margot d’une semelle.

Espérandieu attrapa la main de Servaz et y plaça et son téléphone portable.

— Au cas où, dit-il.

— OK. File. Appelle-moi dès que tu seras là-bas. Et merci.

Il entendit la porte se refermer et le silence retomba. De l’autre côté de la fenêtre, les échos du tonnerre roulaient dans tous les coins du ciel. Ils semblaient se répondre les uns les autres. Ils cernaient l’hôpital.

Un klaxon strident retentit dans la rue. Suivi d’un coup de tonnerre. Ziegler perçut un mouvement derrière elle. Comprit qu’il avait fait le tour par une autre porte pour la prendre à revers et attendu qu’il y eût du bruit pour passer à l’acte. Elle se retourna. Trop tard… Le coup de poing la cueillit à la tempe avec une violence qui la fit tomber à genoux sur le plancher. Étourdie. Les oreilles bourdonnantes. À peine avait-elle eu le temps de détourner la tête pour amortir un peu le choc au moment de l’impact.