Выбрать главу

Soudain, il aperçut devant lui un cahier ouvert sur le bureau. Il se pencha et lut :

Ami est quelquefois un mot vide de sens, ennemi jamais.

Sur la première page.

Il tourna les autres. Blanches… Approcha le cahier de ses narines. Neuf… Selon toute évidence, Claire Diemar venait de l’acheter. Il relut la phrase, perplexe. Qu’est-ce qu’elle avait voulu dire avec cette phrase ? Et à qui était-elle destinée ? À elle-même ou à quelqu’un d’autre ? Il la nota dans son carnet.

Sa pensée revint au téléphone portable de la victime.

Si Hugo était coupable, il n’avait aucune raison de le faire disparaître alors que tout l’accusait déjà : sa présence sur les lieux, son état, y compris son propre téléphone trouvé dans sa poche et qui témoignait des nombreux appels qu’il lui avait passés. C’était absurde. Et si l’assassin n’était pas Hugo et qu’il avait fait disparaître le portable de la victime, alors c’était un idiot. Avec ou sans téléphone, dans quelques heures, les Télécoms leur auraient fourni la liste des appels entrants et sortants du numéro de la jeune femme. Et après ? Est-ce que la plupart des criminels n’étaient pas, par chance, des imbéciles ? Sauf que, à supposer qu’Hugo ait été drogué et placé là pour servir de bouc-émissaire, à supposer que, dans l’ombre, soit tapi un prestidigitateur habile, celui-ci ne pouvait pas être assez stupide pour avoir commis une erreur pareille.

Il y avait une troisième solution. Hugo était bien le coupable et le téléphone avait disparu pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec le crime. Souvent, dans une enquête, un petit fait têtu ressemblait à une épine dans le pied des enquêteurs, jusqu’au jour où on s’apercevait qu’il n’avait strictement rien à voir avec tout le reste.

L’atmosphère était étouffante dans la pièce et il ouvrit grand la vitre centrale. Une bouffée d’humidité caressa son visage. Il s’assit devant l’ordinateur. L’antique appareil gémit et crissa un moment avant que le fond d’écran ne s’affiche. Pas de mot de passe. Servaz repéra l’icône de la messagerie et cliqua dessus. Cette fois, il lui en fallait un. Il regarda ses notes, essaya plusieurs combinaisons avec la date de naissance et les initiales à l’endroit et à l’envers. Rien ne se passa. Il tapa le mot Poupées. Pas ça non plus. Claire enseignait les langues et cultures de l’Antiquité, il passa donc la demi-heure suivante à tester des noms de philosophes et de poètes grecs et latins, des titres d’œuvres, des noms de dieux et de personnages mythologiques — et même des termes comme « oracle » ou « rhètres », qui désignait la réponse donnée par un oracle. Chaque fois, il retombait sur le message « Login ou mot de passe incorrects ».

Il allait renoncer lorsqu’il regarda une nouvelle fois le mur couvert d’images et la phrase qui y était affichée. Il tapa André Breton et la messagerie s’ouvrit enfin.

Vide. Un écran blanc. Pas le moindre message.

Servaz cliqua sur « Messages envoyés » et sur « Corbeille ». Même chose. Il se rejeta dans le fauteuil.

Quelqu’un avait vidé la messagerie de Claire Diemar.

Servaz sut qu’il avait raison de penser cette affaire moins simple qu’elle ne le paraissait. Il y avait un angle mort. Trop de faits qui ne rentraient pas dans le cadre. Il sortit son portable et appela le service des traces technologiques. Une voix lui répondit à la deuxième sonnerie.

— Un ordinateur chez Claire Diemar ? demanda-t-il.

— Oui. Un portable.

C’était désormais la routine d’éplucher les communications et les disques durs des victimes.

— Vous l’avez examiné ?

— Pas encore, répondit la voix.

— Tu peux jeter un coup d’œil à la messagerie ?

— D’accord, je finis un truc et je m’y mets.

Il se pencha par-dessus le vieux PC et débrancha toutes les prises une par une. Il fit de même avec le téléphone fixe, après avoir soulevé la montagne de paperasses pour suivre le trajet du fil électrique, sortit de sa veste un sachet pour pièces à conviction et glissa dedans le cahier ouvert.

Il alla jusqu’à la porte du bureau, l’ouvrit, revint empiler le téléphone fixe et le cahier sur l’ordinateur et prit le tout dans ses bras. L'engin était volumineux et lourd. Il dut faire deux haltes et déposer son chargement sur les marches à mi-parcours avant d’atteindre le bas de l’escalier. Puis il remonta le long couloir en direction du hall.

Il se retourna et poussa les portes battantes avec les fesses avant d’émerger sur le perron, posa une nouvelle fois sa cargaison, sortit la clé électronique du tout-terrain de sa poche, le déverrouilla à distance et pressa ensuite le pas vers le Cherokee en regardant les gouttes cribler le sac étanche dans lequel était enfermé le cahier. Il allait confier l’ordinateur et le téléphone au service des traces technologiques et faire examiner le cahier par l’identité judiciaire. Quand il eut posé l’ensemble sur la banquette arrière, il se redressa et alluma une cigarette.

L’averse trempait à présent le col de sa veste et de sa chemise, mais il ne la sentait pas. Il était bien trop absorbé par ses pensées. Il tira sur la cigarette, et la caresse stimulante du tabac s’insinua dans ses poumons et dans son cerveau. La pluie déposait sur son visage un fin voile de fraîcheur. La musique… Il l’entendait de nouveau. Les Kindertotenlieder… Était-ce possible ?

Il regarda autour de lui — comme s’il pouvait se trouver là — et, tout à coup, son œil accrocha quelque chose.

Il y avait bien quelqu’un.

Une silhouette. Enveloppée dans un vêtement de pluie vert bouteille. La tête dans l’ombre d’une capuche. Il devina le bas d’un visage juvénile en dessous.

Un élève.

Il observait Servaz depuis un petit tertre, à une dizaine de mètres de là, sous un bouquet d’arbres, les mains dans les poches de sa cape plastifiée. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Comme s’ils se connaissaient, se dit le flic.

— Hé, vous ! lança-t-il.

Le jeune homme se détourna tranquillement et se mit en marche sans hâte vers les salles de cours. Servaz dut lui courir après.

— Hé, attendez !

L’étudiant se retourna. Il était un peu plus grand que Servaz, avec une mèche et une barbe blondes brillant dans l’ombre de la capuche. De grands yeux clairs. Interrogateurs. Une bouche étirée. Instantanément, Servaz se demanda si Margot le connaissait.

— Pardon ? C’est à moi que vous parlez ?

— Oui. Bonjour. Vous savez où je peux trouver le professeur Van Acker ? Il a cours le samedi matin ?