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— On peut le lire ? demanda-t-il au gérant.

L’homme leur montra les ordinateurs alignés dans l’espace multimédia.

— Non, pas ici. Un endroit plus discret.

Patrick repassa de l’autre côté du comptoir et tira un rideau rouge. Une pièce exiguë, sans fenêtre, remplie de cartons d’emballage de matériel informatique, de caisses de bouteilles, d’un vieux percolateur hors d’usage et, dans un coin, d’un bureau avec un ordinateur et une lampe.

— La femme qui vous a remis l’enveloppe, dit Servaz, elle était seule ?

— Oui.

— Quelle impression vous a-t-elle fait ?

Patrick réfléchit.

— Mignonne, je m’en souviens. À part ça, plutôt austère… Maintenant que vous en parlez, j’ai eu l’impression qu’elle portait une perruque, en effet…

— Et elle vous a demandé de nous remettre ça ? Pourquoi ne pas avoir appelé la police ?

— Parce qu’à aucun moment il n’a été question de police ou de quoi que ce soit d’illégal. Elle m’a juste dit que plusieurs personnes viendraient pour me parler d’elle et qu’il fallait leur remettre cette enveloppe.

— Pourquoi avoir accepté ? Vous n’avez pas trouvé ça louche ?

L’homme se fendit d’un sourire.

— Il y avait deux billets de 50 avec.

— C’est encore plus louche, non ?

L’homme ne répondit pas.

— Rien d’autre ne vous a frappé à part sa perruque ?

— Non.

— Vous avez une caméra de vidéo-surveillance ?

— Oui. Mais elle ne s’active que le soir, une fois le magasin fermé, à partir d’un détecteur de mouvement.

Il lut la déception dans les yeux de Servaz et parut s’en délecter. Patrick ne paraissait pas très préoccupé par le sort de ses concitoyens, mais très soucieux en revanche de ne pas trop faciliter le travail de la police. Sans doute un lecteur de George Orwell, des théories sur Big Brother, convaincu que son pays était un État policier.

— Et les billets, vous les avez toujours ?

Nouveau sourire.

— Non. L’argent, ici, ça circule.

— Merci, lui dit Espérandieu pour le congédier.

Servaz regarda son adjoint se pencher vers l’ordinateur. L’homme ne bougeait pas.

— Ce type que vous cherchez, c’est qui ?

— Vous pouvez vous retirer, lui dit Servaz avec un large sourire. On vous appellera si on a besoin de vous.

Le gérant les toisa. Puis il haussa les épaules et tourna les talons. Dès qu’il fut repassé de l’autre côté du rideau, Espérandieu glissa le disque dans l’appareil. Une fenêtre s’ouvrit sur l’écran de l’ordinateur et le logiciel de lecture multimédia se mit en route automatiquement.

Servaz se tendit instinctivement. À quoi devaient-ils s’attendre ? Un message de Hirtmann ? Une vidéo ? Et qui était cette femme dont parlait le gérant ? Une complice ? La tension agissait physiquement sur eux. Servaz vit le triangle de sueur qui assombrissait le tee-shirt de son adjoint entre ses omoplates, ce n’était pas seulement à cause de la chaleur qui régnait dans le réduit. De la salle leur parvenait un brouhaha de conversations étouffées.

Le silence s’éternisait. Troublé uniquement par le grésillement de l’électricité statique dans les haut-parleurs. Espérandieu avait monté le son.

Tout à coup, une musique terrifiante jaillit à plein volume et les fit sauter en l’air comme un coup de fusil.

— Bordel ! s’exclama Espérandieu en se précipitant pour baisser le son.

— C’est quoi ça ? dit Servaz, le cœur cognant à tout rompre, tandis que le morceau continuait, mais moins fort.

— Marilyn Manson, répondit Espérandieu.

— Il y a des gens qui écoutent ça ?

Malgré la tension, Espérandieu ne put s’empêcher de sourire. Le morceau se poursuivit jusqu’à son terme. Ils attendirent encore quelques secondes, la lecture s’interrompit.

— C’est fini, dit Espérandieu en regardant le curseur sur l’écran.

— Rien d’autre ?

— Non, c’est tout.

Sur le visage de Servaz, l’inquiétude avait fait place à la perplexité et à la déconvenue.

— Qu’est-ce que ça veut dire, d’après toi ?

— Je ne sais pas. De toute évidence, il s’agit d’un canular. Une chose est sûre : ce n’était pas Hirtmann.

— Non.

— Donc, ce n’est pas Hirtmann non plus qui t’a envoyé ce mail.

Servaz comprit le message et il sentit la colère revenir.

— Vous croyez que je suis parano, c’est ça ?

— Écoute, on le serait à moins. Ce cinglé est là, dehors. Toutes les polices d’Europe sont à sa recherche, mais elles n’ont pas le moindre indice. Pour autant qu’on sache, il pourrait se trouver n’importe où. Et ce malade s’est confié à toi avant de disparaître.

Servaz regarda son adjoint.

— En tout cas, je sais une chose…

Il eut conscience — au moment où il les prononçait — que ses paroles pouvaient être un argument de plus à verser au dossier de sa paranoïa :

— … Un jour ou l’autre, ce cinglé va réapparaître.

18.

Santorin

Irène Ziegler baissa les yeux et regarda le paquebot qui mouillait dans la caldeira, cent mètres en contrebas. Vu d’ici, le grand navire avait l’air d’un joli jouet tout blanc. La mer et le ciel étaient d’un bleu presque artificiel, qui contrastait avec le blanc aveuglant des terrasses, l’ocre rouge des falaises et le noir des petits îlots volcaniques au centre de la baie.

Elle trempa les lèvres dans son café grec très sucré et tira une longue bouffée de sa cigarette. 11 heures du matin. Il faisait déjà chaud. Tout en bas, au pied de la falaise, un ferry débarquait son contingent de touristes. Sur une terrasse voisine, un couple d’Anglais coiffés de chapeaux de paille écrivait des cartes postales. Sur une autre, un homme d’une trentaine d’années lui adressa un petit salut amical sans cesser de parler dans son téléphone satellite. Taille moyenne, allure athlétique, short blanc et chemise bleue décontractée mais coûteuse. Plus buriné que bronzé, une Tag Heuer au poignet. Il commençait à perdre ses cheveux. Un trader allemand célibataire et plein de fric. Elle l’avait vu rentrer à plusieurs reprises à l’hôtel passablement ivre et accompagné d’une fille différente chaque fois. À 225 euros la nuit en basse saison, l’hôtel accueillait une clientèle plutôt aisée. Heureusement, ce n’était pas elle, avec son salaire de gendarme, qui avait payé la chambre.

Elle lui répondit et se leva. Elle portait un débardeur rouge paprika et une jupe blanche en chiffon ultralégère. Une petite brise marine combattait la chaleur naissante, mais elle sentit néanmoins un filet de sueur couler dans son dos. Elle franchit la porte-fenêtre.

— Ne bouge pas, dit la voix dans son oreille.

Ziegler sursauta. La voix était chargée de menace.

— Si tu fais le moindre geste, tu le regretteras.

Elle sentit un lien se refermer sur ses poignets dans son dos et la chair de poule hérissa ses avant-bras malgré la chaleur. Puis sa vision s’obscurcit quand on lui noua un bandeau sur les yeux.

— Marche jusqu’au lit. Ne tente rien.

Elle obtempéra. Une main la poussa sans ménagement à plat ventre sur le lit. Aussitôt, on lui retira sa jupe et son maillot de bain.