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Servaz fut déçu.

— Donc, l’enregistrement de vendredi dernier a sûrement été écrasé par les enregistrements des jours suivants, c’est ça ? dlt-il.

— Je ne crois pas, non, sourit le directeur. La caméra dont vous parlez fonctionne aussi sur détection de mouvement, comme celle du distributeur. Elle ne se déclenche que quand il se passe quoique chose sur le parking, ce qui arrive assez régulièrement dans la journée mais très peu la nuit. En outre, la caméra enregistre un nombre limité d’images par seconde pour économiser de la mémoire. Et, si la mienne est bonne, l’appareil a un disque dur de 1 To. Ça devrait largement suffire. Nous conservons les enregistrements pendant le délai légal.

Servaz sentit son pouls augmenter légèrement.

— Ne me demandez pas comment ça marche, dit le directeur en lui tendant la télécommande. Vous voulez que j’appelle le type qui a installé ça ? Il sera là d’ici une demi-heure.

Servaz regarda l’horloge au coin de l’écran. Puis la feuille glissée dans une pochette plastifiée et collée à la table avec du ruban adhésif. Il était écrit « mode d’emploi système de surveillance » tout en haut.

— Pas la peine, je devrais y arriver tout seul.

Le directeur consulta sa montre.

— On ferme dans moins de dix minutes. Vous pourriez peut-être revenir demain…

Servaz réfléchit. La curiosité et l’urgence le tenaillaient. Il ne voulait pas perdre une seule minute.

— Non, je vais rester là. Dites-moi comment fermer derrière moi.

Le directeur parut légèrement contrarié.

— Je ne peux pas laisser la banque ouverte comme ça après l’heure de fermeture, protesta-t-il. Même si vous êtes à l’intérieur… (Il hésita pendant une demi-seconde.) Je vais vous enfermer dedans. De toute façon, je vais couper le système d’alarme : je ne voudrais pas que vous le déclenchiez sans vous en rendre compte et que la gendarmerie débarque ici. (Il présenta l’écran de son BlackBerry à Servaz.) Quand vous aurez fini, appelez-moi à ce numéro, je viendrai fermer derrière vous et remettre l’alarme. J’habite à côté.

Servaz entra le numéro du banquier dans son propre téléphone. Le directeur ressortit, mais il laissa la porte du cagibi entrouverte. Servaz entendit les derniers clients s’en aller, puis les employés ramasser leurs affaires, se dire au revoir et quitter à leur tour l’établissement.

— Vous vous en tirerez ? demanda le directeur en passant la tête par la porte, une serviette à la main, cinq minutes plus tard.

Servaz acquiesça, même s’il commençait à en douter. Ce mode d’emploi avait l’air foutrement compliqué — en tout cas pour quelqu’un comme lui qui avait un problème cardinal avec la technologie. Il commença par manipuler les touches de la télécommande ; l’image disparut puis revint ; il obtint ensuite une image plein écran, mais ce n’était pas la bonne. Il pesta. Il n’était écrit nulle part dans ce fichu mode d’emploi comment lire les enregistrements. Évidemment… Avait-il jamais rencontré un seul mode d’emploi qui fût utile jusqu’au bout ?

À 18 h 45, il se rendit compte qu’il était en nage. Il devait bien faire trente-cinq degrés dans le cagibi. Il ouvrit la petite fenêtre. Elle était protégée par deux gros barreaux fichés dans le mur. Il constata qu’elle donnait sur une impasse et qu’il s’était remis à pleuvoir, le bruit de la pluie entrant dans l’espace exigu en même temps qu’une fraîcheur bienvenue.

À 19 h 07, il comprit enfin la marche à suivre. Quand il eut obtenu les enregistrements de la caméra filmant le parking, il s’aperçut qu’il n’y avait qu’un seul moyen d’atteindre le moment qu’il cherchait — s’il existait — un peu avant 20 h 30 vendredi dernier : faire défiler l’enregistrement en lecture accélérée.

Il fit une première tentative mais, mystérieusement, la lecture accélérée se bloqua au bout de quelques minutes et l’enregistrement revint à son point de départ.

— MERDE, MERDE, MERDE, MERDE !

Sa voix résonna dans le couloir et dans le hall vides. Il prit une inspiration. Du calme. Tu vas y arriver. Il suait à grosses gouttes, et sa chemise collait à son dos. Il décida de faire défiler l’enregistrement en lecture accélérée jusqu’à un certain point, puis en lecture normale ensuite, avant de reprendre la lecture accélérée un peu plus loin.

À 19 h 23, son cœur se mit à battre plus vite. 20 h 12… C’étaient les chiffres qui s’affichaient à l’écran. Il remit l’enregistrement en lecture normale. Quelque chose avait déclenché la caméra à ce moment-là. Une voiture qui quittait le parking. Une succession d’images fixes qui décomposa légèrement la manœuvre du véhicule. Servaz regarda la voiture passer devant la caméra. Un éclair illumina l’écran. L’orage se déchaînait sur Marsac, les essuie-glaces du véhicule allaient et venaient et il avait du mal à voir quoi que ce soit à l’intérieur. Jusqu’à ce qu’il distingue pendant un fugace instant un couple dans la cinquantaine… De nouveau, il fut déçu. L’image fut interrompue et se ralluma à : 0 h 26. Une autre voiture passait, à l’arrière du rideau de pluie et du parking… La lumière baissait, mais le système compensait le manque de luminosité. Dans le fond, cependant, l’entrée du pub était de plus en plus floue. Il se demanda s’il distinguerait quoi que ce soit si quelqu’un venait à sortir maintenant… Il se frotta les paupières. Ses yeux le cuisaient à force de fixer l’écran. Le bruit de la pluie était assourdissant. On aurait dit qu’il venait de l’enregistrement. Soudain, il se raidit. Hugo… Il venait de franchir la porte du pub. Malgré l’image floue et l’orage, il n’y avait pas le moindre doute sur l’identité de la silhouette qui venait d’apparaître. Les vêtements étaient les mêmes que ceux qu’il portait le soir du meurtre. La coupe de cheveux et la forme du visage correspondaient.

Servaz avala sa salive. Conscient que les secondes suivantes allaient être décisives.

Vas-y. Avance…

Les yeux braqués sur l’écran, il vit le jeune homme marcher dans l’allée entre les voitures. Le défilement d’une dizaine d’images par seconde hachait quelque peu sa progression. Le jeune homme s’immobilisa au beau milieu de l’allée, leva les yeux vers le ciel. Il demeura ainsi pendant plusieurs secondes.

Qu'est-ce que tu fous, bon Dieu ?

Servaz se demanda si l’image ne s’était pas à nouveau bloquée tant Hugo était immobile. En même temps, il surveillait l’entrée du pub. Mais rien ne se passait de ce côté-là… Son sang battait au bout de ses doigts en sueur qui avaient laissé une trace humide sur la télécommande. Avance… Servaz cherchait la voiture des yeux, celle qu’Hugo avait laissée devant chez Claire Diemar, mais il ne la voyait pas. Pourtant, elle devait être là, quelque part, dans cette allée… Brusquement, Hugo pivota sur la droite et il disparut… Merde ! Une sorte de local technique s’élevait au milieu du parking, une construction en dur, et Hugo était garé derrière I Servaz pesta une fois de plus et il allait donner un coup de poing sur la table lorsque, dans le fond, la porte du pub s’ouvrit…

Bon Dieu !

Il avait vu juste. Il ouvrit la bouche, les yeux rivés sur l’écran. Il avait une chance. Une toute petite. Une minuscule. Approche… La silhouette s’engagea dans l’ailée, marchant dans la direction de la caméra, toujours avec la même démarche un peu saccadée par le défilement des images fixes. Elle avançait vers l’endroit où Hugo était garé. Servaz avait la gorge sèche. Le nouveau venu était grand et mince. Il portait un sweat, dont la capuche était rabattue sur sa tête. Merde ! Tout à coup, Servaz fut certain qu’il ne verrait pas son visage et il enragea. Mais il y avait au moins un point positif : cet enregistrement rendait de plus en plus crédibles les déclarations d’Hugo. Même s’il ne constituait pas une preuve définitive. La silhouette à la capuche disparut à son tour derrière le local technique.