Et maintenant ?
Il avait encore une chance… La voiture allait faire marche arrière, elle entrerait dans le champ de la caméra à un moment donné… Peut-être verrait-il qui était au volant. Servaz attendait, la gorge serrée, les nerfs à vif. Trop long. C’était trop long… Quelque chose se passait.
Un bruit.
Il se redressa comme si on lui avait flanqué un coup de pied. Il avait entendu un bruit — pas à l’extérieur : dans la banque.
— IL Y A QUELQU’UN ?
Pas de réponse. Il avait peut-être rêvé. La pluie d’été faisait un tel vacarme par la fenêtre qu’il n’était pas sûr. De nouveau, le tonnerre fit trembler l’air du soir. Il voulut reporter son attention sur l’écran. Non, il avait bien entendu quelque chose… Il pressa le bouton « pause » et se leva. Sortit dans le couloir.
— Hé ! Qui est là ?
Sa voix résonna, portée par l’écho du hall vide qui s’ouvrait à un bout du couloir. À l’autre extrémité, une porte de secours métallique pourvue d’une barre horizontale. Elle était fermée.
Il hésita, puis se mit finalement en marche en direction du hall. Personne. Les guichets, les rangées de fauteuils de couleur, la ligne blanche… Le hall était désert. Il fit demi-tour.
Sauf que… il le sentait à présent…
Un léger courant d’air.
Vraisemblablement entre la fenêtre de son cagibi et… une autre ouverture. Il pivota sur lui-même au centre du hall, regarda la place déserte à travers les portes vitrées. Elles étaient verrouillées. À l'intérieur, l’ombre gagnait les recoins du hall. L’ombre et le silence. Servaz eut l’impression qu’on passait une râpe sur ses nerfs. Il chercha son arme sur sa hanche, défit l’étui. Un geste qu’il n’avait pas accompli depuis des mois, depuis l’hiver 2008–2009 pour être exact.
Depuis Hirtmann…
Merde !
Il longea le comptoir des guichets. Il y avait un second couloir de l’autre côté. Servaz marchait à présent à pas comptés, son arme fermement en main. Il espérait que personne n’allait passer à ce moment-là devant les portes vitrées de la banque et l’apercevrait. Il n’était pas encore tout à fait sûr de ne pas céder à la paranoïa. Il n’en tenait pas moins l’arme dans la position réglementaire, tout en espérant ne pas avoir à s’en servir. La sueur lui coulait des sourcils dans les yeux et il clignait des paupières.
L’autre couloir était moins long que le premier. Il ne comportait qu’une seule porte. Celle des toilettes.
Il plia les genoux, tendit la main vers le sol, jusqu’à l’espace de deux centimètres sous la porte des toilettes.
Le courant d'air passait par là.
Il ouvrit lentement le battant, le groom lui opposant une certaine résistance. Une odeur de nettoyant industriel. D’un coup, le courant d’air augmenta et il fut plus que jamais sur ses gardes. La porte des toilettes pour hommes.
Elle était ouverte.
Quelqu’un avait oublié de fermer cette fenêtre, et comme le directeur n’avait pas branché le système d’alarme, personne ne s’en était aperçu. Il essayait de trouver une explication simple. Rasoir d’Occam. L’explication selon laquelle quelqu’un se serait introduit dans la banque pour s’en prendre à lui alors que cette même personne aurait pu le faire n’importe où à l’extérieur et en plus d’une occasion lui paraissait terriblement tirée par les cheveux.
Il mit les deux pieds sur la cuvette des W-C et se hissa à la hauteur de la petite fenêtre. Les mêmes barreaux que dans son cagibi. La pluie dégringolait au-delà. Rien à signaler de ce côté. Il redescendait de la cuvette lorsqu’il entendit un nouveau bruit, à l’extérieur des toilettes mais à l’intérieur de la banque. Cette fois, le sang se rua dans ses veines comme l’eau d’un barrage dans une turbine. D’un coup, la peur fut là. Il se tourna vers la porte, le cœur battant, les jambes en coton. Il y avait bien quelqu'un… Quelque part dans cette banque. Il resserra sa prise sur l’arme, mais sa main moite glissait sur la crosse humide.
Appeler des renforts. Mais s’il se trompait ? Il imagina les gros titres : « Un flic fait une crise de paranoïa dans une banque vide. » Il pouvait aussi appeler le directeur et prétexter qu’il n’arrivait pas à lire les enregistrements. Et après ? Il resterait enfermé ici en attendant que quelqu’un se pointe ? Il en était là de ses réflexions quand le bruit de l’issue de secours se refermant en claquant parvint jusqu’à lui.
Bon sang !
Il se rua hors des toilettes, passa en courant devant les guichets, dérapa dans le virage et fonça vers le fond du couloir. Il franchit à son tour le battant métallique. Un escalier. Des pas au-dessus de lui, une cavalcade dans les marches. Merde ! Servaz s’élança. Deux volées de marches en béton et une porte par étage. Les marches vibraient sous ses pieds. Il prêta l’oreille pour essayer d’entendre si le fuyard quittait la cage d’escalier, mais eut la certitude qu’il continuait de grimper. Au bout de trois étages, il fut à bout de souffle, la poitrine en feu. Il s’agrippa à la rampe métallique. Au septième, il s’arrêta pour reprendre sa respiration, plié en deux, les mains sur les genoux. Ses poumons faisaient un bruit de soufflet. La sueur lui coulait du nez et le dos de sa chemise était trempé. Sa cible, elle, continuait de grimper : il sentait les vibrations sous ses semelles. Il reprit son ascension. Il atteignait le septième étage lorsqu’une porte métallique grinça puis claqua bruyamment en se refermant au-dessus de lui. Il ouvrit celle du septième. Elle ne grinça pas et ne se referma pas non plus. Ce n’était pas une porte d’étage que le fuyard avait empruntée… Son cœur cognait dans sa poitrine comme s’il allait exploser. L’espace d’un instant, il se demanda s’il pouvait crever d’une crise cardiaque, en grimpant un escalier à la poursuite d’un assassin.
Il dépassa le neuvième.
Ses muscles étaient en ciment lorsqu’il franchit enfin les deux dernières volées de marches. Le toit… Le bruit métallique venait de là. C’était là que le fuyard s’était réfugié. L’appréhension revint à toute vapeur. Servaz se souvint de l’enquête dans les Pyrénées. Du vertige. De sa peur du vide. Il hésita.
Il était inondé de sueur. Faisant passer son arme d’une main dans l’autre, il essuya ses paumes contre son pantalon, puis il épongea son visage d’un revers de manche. Il attendit que son cœur se calme un peu, fixant la porte métallique fermée.
Qu’est-ce qui l'attendait derrière ? Et si c’était un piège ?
Il savait qu’avec sa peur du vide il serait en position d’infériorité. Mais il avait une arme…
Celui qu’il poursuivait était-il armé ?