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Il hésitait sur la conduite à tenir. En même temps, l’impatience et l’urgence lui mordaient les talons. Il posa une main tremblante sur la barre métallique. Le battant grinça quand il le repoussa. Aussitôt, l’orage, les éclairs, le vent et la pluie lui sautèrent à la figure. Il sentit que le vent était beaucoup plus fort ici, à découvert, qu’en bas. Ses semelles écrasèrent du gravier, la terrasse en était recouverte. Elle n’était qu’un vaste espace plat avec une bordure en béton d’à peine vingt centimètres. Son estomac se noua. Il apercevait les toits de Marsac au-delà, la flèche de l’église cernée par les nuées, les collines noyées, le ciel immense comme une mer et plein de nuages. Il laissa la porte se refermer derrière lui. Où était-il passé ? Le vent le décoiffait. Il regarda à droite et à gauche. Une rangée de massifs de maçonnerie d’un mètre de haut, percés par les ouvertures de la ventilation, émergeait de la terrasse. Il y avait aussi de gros tuyaux qui couraient au ras du sol, trois paraboles — et c’était tout.

Où était-il passé ? !

La pluie avait repris avec violence. Elle dégoulinait dans son col et sur sa nuque, lui tambourinait sur le crâne, lui rinçait la figure. Des nuages noirs stationnaient au-dessus de la ville. Des éclairs blêmissaient les collines. Il avait la sensation d’être suspendu en plein ciel.

Le vent à ses oreilles.

Un bruit sur sa gauche…

Il tourna la tête de ce côté, l’arme pointée. Au même instant, son cerveau analysa la situation en un centième de seconde et conclut : « piège ». Un caillou, un objet… On avait jeté quelque chose pour l’attirer dans la mauvaise direction.

Il entendit — mais trop tard — la cavalcade dans son dos, sentit le choc brutal contre sa colonne vertébrale quand il fut heurté de plein fouet, empoigné par la taille et poussé rapidement en avant. Son torse se vida comme un siphon sous l’effet de la panique. Ses jambes s’arc-boutèrent. Il lâcha l’arme, ses mains battirent.

Il fut bousculé, entraîné. Son agresseur avait l’avantage de l’impulsion initiale et de la surprise. Avant même d’avoir eu le temps de réagir, il se sentit précipité à toute vitesse vers le bord du toit.

Vers le vide !

— NNNOOOONNNNNNN !

Il s’entendit hurler, vit le bord arriver beaucoup trop vite, le paysage tout entier bondir à sa rencontre, malgré ses semelles qui agrippaient désespérément le gravier.

Dix étages.

Sa vision — des arbres, un petit parc qui ressemblait à un square anglais avec ses immeubles de briques rouges et ses corniches blanches, ses toits, son clocher carré et pointu, ses voitures, un pigeon — s’élargit et se troubla, distordue par la peur, la pluie, le vertige… Il hurla. Il vit la totalité de la place dans l’ombre, l’enfilade des balcons à ses pieds, les traits verticaux et convergents de la pluie, la pointe de ses chaussures heurtant la bordure en béton. Son corps plongeant en avant, le basculement fatal…

L’espace d’un instant, il se balança ainsi au bord du gouffre, seulement retenu par une main dans son dos.

Puis il reçut un coup violent sur la tête, des taches lumineuses envahirent son champ visuel et il sombra dans un trou noir.

Irène Ziegler et Zuzka Smatanova atterrirent à l’aéroport de Toulouse-Blagnac, en provenance de Santorin, à 20 h 30, ce soir-là. Le vol avait duré moins de deux heures et elles avaient encore à l’esprit l’image de leur avion survolant l’îlot volcanique, avec sa vertigineuse falaise de cent vingt mètres de haut s’abîmant dans la mer scintillante et les maisons blanches posées comme de la fiente d’oiseau au sommet de l’ancien volcan.

Dans l’aérogare, elles récupérèrent leurs bagages et se dirigèrent vers le hall D. Là, une navette gratuite les transporterait jusqu’au parc « économique » où leur voiture les attendait depuis un mois. Total : 108 euros de stationnement. Ziegler avait fait des additions dans sa tête pendant tout le voyage. La quasi-totalité des vacances avait été réglée par la Slovaque. Irène n’avait payé que son billet d’avion aller et retour et deux restaurants, l’un à Paros, l’autre à Naxos. Assurément, le métier de stripteaseuse et de gérante de boîte de nuit était plus rémunérateur que celui de gendarme. Elle s’était déjà demandé comment sa hiérarchie réagirait si elle apprenait un jour qu’elle avait pour compagne la gérante d’une boîte de strip-tease, laquelle réglait aussi une partie de ses factures, mais elle avait décidé une fois pour toutes que, si elle devait choisir un jour entre son métier et Zuzka, elle n’hésiterait pas une seconde.

Elles traînaient leurs valises à roulettes derrière elles en regardant la pluie tomber derrière les vitres et en songeant avec nostalgie au soleil grec lorsqu’elles passèrent devant un kiosque à journaux. Irène s’immobilisa.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda la Slovaque.

— Attends.

Zuzka lui jeta un regard interrogateur. La gendarme avait lâché sa valise. Elle s’approchait du présentoir. La photo était de mauvaise qualité mais le visage familier. Martin Servaz la regardait depuis la une d’un journal, le visage blanc dans la lueur des flashes. Le titre clamait : « Hirtmann écrit à la police. »

20.

Nuages

Des nuages gris et livides. Bulbeux comme des champignons. Empilés dans le ciel comme des buildings. Le regard levé vers eux, il sentit une goutte de pluie heurter sa cornée. Dure comme une bille. Puis une deuxième, une troisième. Il cligna les yeux. La pluie le frappait au visage. La bouche ouverte, il la recevait aussi sur la langue.

Une douleur terrible à l’arrière du crâne, là où sa tête reposait sur le gravier. Il la souleva, la douleur augmenta, s’étendant comme des racines à son cou et à ses épaules. En grimaçant, il roula sur le côté, vers la gauche… Son visage se retrouva aussitôt au-dessus de l’abîme et il eut un haut-le-cœur en découvrant le vide.

Il était étendu au bord du toit ! À quelques centimètres seulement d'une chute mortelle. Avec effroi, il roula dans l’autre sens, sur les gravillons qui piquèrent sa chair à travers ses vêtements — puis il rampa hors de portée du danger avant de se remettre sur ses jambes flageolantes.

Il porta une main à son crâne et tâta précautionneusement. Aussitôt, la douleur irradia et il la retira. Il avait cependant eu le temps de sentir l’énorme bosse sous son cuir chevelu. Il regarda ses doigts et la pluie lava le sang qui les rougissait. Cela ne voulait rien dire. Le cuir chevelu saignait toujours abondamment.

Il aperçut son arme un peu plus loin. Fit deux pas et se baissa pour la ramasser.

Il se traîna vers la porte métallique qui, de ce côté, était pourvue d'une poignée. Tentant d’analyser ce qui s’était passé.

Une pensée fusa. L’enregistrement…

Il dévala les deux volées de marches d'un pas incertain, ouvrit la porte du dixième étage et se rua vers les ascenseurs. Parvenu au rez-de-chaussée, les portes de la cabine s'ouvrirent et il chercha des yeux celle de l’escalier. Il la franchit, avisa la porte de secours de la banque qu’il avait empruntée quelques minutes plus tôt. Le groom automatique l’avait refermée. Il ressortit de l’immeuble et se dirigea vers les portes vitrées de l’agence. Elles étaient toujours verrouillées. Il était enfermé dehors. Il sortit son téléphone et joignit le directeur.

— Vous avez terminé ?

— Non. Mais il s’est produit quelque chose.