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— Je le sens mal, ce coup-là. Il y a… il y a sûrement quelque chose à faire… merde, on ne peut pas… on ne peut pas l’abandonner…

— La ferme.

La voix de Virginie. Elle avait claqué comme un coup de fouet.

— Tu ne dois pas craquer maintenant, tu m’entends ?

Mais David ne semblait pas entendre. Margot perçut des sanglots à travers la haie. Comme un gémissement sourd et prolongé. Un grincement de dents aussi.

— Oh putain… putain… putain, gémit-il. Oh, merde de merde…

— Tu es fort, David. Et nous sommes là. Nous sommes ta seule famille, ne l’oublie pas. Sarah, Hugo, moi et les autres… On ne va pas laisser tomber Hugo, pas question…

Un silence. Margot se demanda de quoi Virginie voulait parler. David venait d’une famille connue : son père était un industriel et le P-DG du groupe Jimbot. En graissant des pattes à tous les échelons, en cajolant des élus, en finançant leurs campagnes électorales, il avait décroché une bonne partie des nombreux marchés autoroutiers, d’aménagement et de travaux publics de la région au cours des dernières décennies. Son frère aîné, après des études à Paris et à Harvard, dirigeait l’entreprise familiale avec son père. David les haïssait, Hugo le lui avait dit un jour.

— On doit réunir le Cercle en urgence, dit soudain David.

Un autre silence.

— Pas possible. La réunion aura lieu le 17, comme prévu. Pas avant.

La voix de Virginie, encore une fois. Pleine d’autorité.

— Mais Hugo est en taule ! geignit David.

— On ne va pas laisser tomber Hugo. Jamais. De toute façon, ce flic va bien finir par comprendre et, si nécessaire, on l’aidera à le faire…

Margot sentit le sang quitter lentement son visage. La façon dont Virginie avait parlé de son père lui faisait froid dans le dos ; il y avait dans le fond de sa voix une brutalité glaçante.

— Ce flic, comme tu dis, c’est le père de Margot.

— Justement.

— Justement quoi ?

Un silence. Virginie ne répondit pas.

— Ne t’inquiète pas, on l’a à l’œil, dit-elle finalement. Et sa fille aussi…

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je dis simplement qu’il faut faire comprendre à ce flic qu’Hugo est innocent… D’une manière ou d’une autre… Et, pour le reste, on doit être prudents…

— Tu n’as pas remarqué que, ces derniers temps, chaque fois qu’on tourne la tête elle est là ? intervint Sarah. Pas loin ? Toujours à traîner là où on est…

— Qui ça ?

— Margot.

— Tu insinues que Margot nous espionne ? C’est absurde !

C’était David. Elias tourna la tête et interrogea Margot du regard dans la pénombre. Elle cligna les yeux, nerveusement.

— Je veux dire qu’il faut qu’on soit prudents. C’est tout. Je ne la sens pas, cette fille.

La voix de Sarah coulait comme un ru glacé. Margot eut soudain envie de déguerpir. Au-dessus du labyrinthe obscur, des nuages livides couraient dans la nuit.

Soudain, son smartphone imita, faiblement mais distinctement, le son d’une harpe dans sa poche. Elias lui lança un regard furibard, les yeux ronds comme des soucoupes. Margot sentit son cœur effectuer un saut périlleux dans sa poitrine.

— Je lui parlerai, si vous voulez… commença David.

— CHUT ! C’était quoi, ce bruit ? Vous n’avez pas entendu ?

— Quel bruit ?

— On aurait dit… une harpe, un truc dans ce genre… Là… Tout près…

— Je n’ai rien entendu, dit David.

— Je l’ai entendu aussi, dit Sarah. Il y a quelqu’un ici !

« ON COURT ! », murmura Elias dans son oreille. Sur ces mots, il l’attrapa par la main et ils piquèrent un sprint vers la sortie sans plus chercher à dissimuler leur présence.

— Putain ! hurla David. Il y avait quelqu’un !

Ils l’entendirent qui se lançait à leur poursuite. Suivi des deux autres… Elias et elle couraient à perdre haleine à présent, prenant les virages aussi vite que possible, frôlant les haies au passage. Derrière eux, ça courait aussi, Margot percevait le bruit de la cavalcade. Elle avait l’impression que son sang cherchait à jaillir de ses tempes. Que les virages et les allées n’en finissaient pas. Quand ils passèrent à toute vitesse sous la chaîne à l’entrée du labyrinthe, l’écriteau rouillé lui griffa cruellement le dos et elle grimaça de douleur. Elle voulut repartir par où ils étaient venus, mais la main d’Elias la tira violemment en arrière.

— Pas par là ! gronda-t-il en un murmure. Ils vont nous voir !

Il l’entraîna de l’autre côté, se faufilant dans un espace étroit entre deux haies qu’elle n’avait pas remarqué, et ils se retrouvèrent dans l’ombre complète sous les arbres. Des gouttes d’eau tombaient des frondaisons dans le noir. Ils détalèrent en zigzaguant entre les troncs et émergèrent devant les grandes vitres de l’amphithéâtre en demi-cercle. Margot aperçut leurs deux reflets plaqués sur l’obscurité de l’amphi, gesticulant comme deux élèves du mime Marceau. Ils le contournèrent jusqu’à une petite porte à laquelle elle n’avait jamais prêté attention. À sa grande surprise, elle vit Elias fouiller dans ses poches puis glisser une clé dans la serrure. L’instant d’après, ils étaient à l’intérieur, l’écho de leur cavalcade se répercutant dans les couloirs déserts.

— Où est-ce que tu as trouvé cette clé ? lança-t-elle en courant derrière lui.

— Plus tard !

Un escalier. Ce n’était pas celui qu’ils avaient emprunté. Celui-ci était plus ancien, plus étroit et il sentait la poussière. Ils grimpèrent jusqu’à l’étage des dortoirs. Elias poussa une porte. Margot n’en revint pas : ils se trouvaient devant le dortoir des filles. La porte de sa chambre était à quelques mètres seulement.

— Fonce ! murmura-t-il. Ne te déshabille pas ! Glisse-toi dans ton lit et fais semblant de dormir !

— Et toi ? demanda-t-elle.

Le sang faisait un bruit de tambour dans ses veines.

— Ne t’occupe pas de moi, cours !

Elle obéit et fila jusqu’à sa porte, l’ouvrit, jeta un coup d’œil en arrière : Elias avait disparu. Elle la referma derrière elle et commençait à défaire la ceinture de son short lorsqu’elle se remémora ses paroles. Elle souleva le drap et se glissa en dessous sans se déshabiller.

Quelques secondes plus tard, son pouls s’emballa lorsque des pas rapides retentirent dans le couloir et la peur explosa dans sa poitrine quand quelqu’un tourna la poignée de la porte. Elle ferma les yeux et entrouvrit la bouche comme quelqu’un qui dort, s’efforçant de respirer amplement et calmement. À travers ses paupières closes, elle devina la lueur d’une torche qui passait sur son visage. Elle était sûre que, de là où ils étaient, ils pouvaient entendre son cœur qui battait la chamade, noter la sueur sur son front et la rougeur de son visage.

Puis la porte se referma, les pas s’éloignèrent et elle entendit Sarah et Virginie qui rentraient dans leur chambre.

Elle rouvrit les yeux dans le noir.

Des points blancs dansaient devant ses yeux.

Elle avait la gorge sèche et le corps inondé de sueur. Elle se redressa et s’assit sur son lit. Elle se rendit compte qu’elle tremblait de la tête aux pieds.

21.

Vacances romaines

La radio était allumée. La voix dans les haut-parleurs posée et profonde. « En quoi consiste le métier de député ? À passer son temps dans des comités de bienfaisance, des réunions de quartier, des assemblées départementales, à applaudir à des discours, à inaugurer des supermarchés, à être expert en pugilat local, à serrer des pognes et à savoir dire oui au bon moment. Surtout savoir dire oui au bon moment. La plupart de mes confrères ne croient absolument pas que les maux de la société puissent être résolus par une quelconque législation, ils ne croient pas davantage que le progrès social fasse partie de leurs attributions. Ils croient à la religion des privilèges, au credo du cumul et au dogme de la gratuité — pour eux-mêmes, bien entendu. »