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Il salua le barman, traversa la rue et pénétra dans un immeuble peint en jaune, sur le trottoir d’en face. Une seule plaque à l’entrée, en métal doré, la sienne : « Z. Jovanovic, agence de détectives privés. Filatures/Surveillances/Enquêtes. A votre disposition 24 H/24 et 7 J/7. Déclaré en préfecture. » Le pluriel au mot « détective » était une pieuse exagération : Jovanovic était le seul membre du cabinet, il avait juste une secrétaire qui venait deux jours par semaine pour mettre un peu d’ordre dans son bazar. Le grand panneau sur la porte au troisième étage était plus explicite : « ENQUÊTES POUR CONCURRENCE DÉLOYALE, ADMINISTRATION DE LA PREUVE, RECHERCHES DE DÉTOURNEMENT DE CLIENTÈLE, CONTRÔLES D’ARRÊTS DE TRAVAIL, VÉRIFICATIONS DE CV, ENQUÊTES DE SOLVABILITÉ, VÉRIFICATIONS D’AUTHENTICITÉ DE DOCUMENTS, RECHERCHES DE PERSONNES DISPARUES, VOLS EN ENTREPRISE, DÉTECTIONS D’ÉCOUTES, AUDITS DE SÉCURITÉ, VÉRIFICATION DE L’EMPLOI DU TEMPS DE VOTRE CONJOINT, RECHERCHE D’INFIDÉLITÉ, FRÉQUENTATION DE VOS ENFANTS, TARIFS CALCULÉS EN FONCTION DE LA COMPLEXITÉ DES INVESTIGATIONS ET BASÉS SUR L’INVESTISSEMENT HUMAIN, TECHNIQUE ET LOGISTIQUE DE NOS ÉQUIPES. NOUS SOMMES SOUMIS AU SECRET PROFESSIONNEL (ARTICLE 226-13 DU NOUVEAU CODE PÉNAL), NOUS OPÉRONS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER AVEC NOTRE RÉSEAU D’AGENCES PARTENAIRES, NOS RAPPORTS SONT UTILISABLES DEVANT LES TRIBUNAUX, NOS DÉTECTIVES FONT L’OBJET D’UN AGRÉMENT PRÉFECTORAL. » La moitié de ces informations était fausse, mais Zlatan Jovanovic n’était pas sûr qu’un seul visiteur se soit jamais donné la peine de lire l’affiche jusqu’au bout. Et une bonne partie de ses activités n’aurait certainement pas obtenu l’agrément préfectoral.

La personne avec qui il avait rendez-vous était déjà là, en haut des marches, et Zlatan lui serra la main en reprenant sa respiration. Il glissa sa clé dans la serrure et donna un léger coup d’épaule pour ouvrir le battant. Le minuscule appartement qui lui servait de cabinet sentait le renfermé, le tabac froid et la poussière. Zlatan marcha directement jusqu’à la pièce du fond, une pièce aussi terne et grise que lui.

— Elles sont où, tes équipes, Zlatan ? demanda la voix derrière lui d’un ton badin. Planquées dans le placard à balais ?

Jovanovic ne releva pas. Jusqu’ici, le détective avait toujours su lui donner satisfaction, avec ou sans équipes, et c’était tout ce qui comptait, il le savait. D’ailleurs, il avait un associé — même si celui-ci ne mettait jamais les pieds au cabinet.

Il alluma une cigarette sans filtre sans se soucier de la personne qu’il avait en face de lui, remua une pile de papiers près de l’ordinateur et finit par trouver ce qu’il cherchait : un petit carnet à spirale.

Cet outil aurait fait sourire son unique associé, lequel n’utilisait ni carnet ni crayon et travaillait uniquement à domicile : un ingénieur informaticien, que Zlatan avait recruté un an plus tôt. C’était dans ce secteur-là que se trouvaient dorénavant les activités de l’agence les plus « limites » côté légalité, mais aussi les plus lucratives : vol massif de données électroniques, introduction dans des messageries privées, piratage d’ordinateurs, espionnage de téléphones portables, traçage des connexions Internet… Car c’était désormais dans ce domaine que le cabinet faisait le plus gros de son chiffre d’affaires. Zlatan avait vite compris que les entreprises ont des moyens financiers supérieurs à la plupart des particuliers et qu’il lui fallait sous-traiter ces tâches-là à quelqu’un possédant des compétences qu’il n’avait pas. Il tira sur sa cigarette pendant qu’il écoutait attentivement la personne lui expliquer ce qu’elle voulait. Cette fois, on faisait plus que flirter avec l’illégalité. Quand son client eut terminé, il émit un long sifflement.

— J’ai peut-être l’homme qu’il vous faut, dit-il finalement, mais je ne sais pas s’il va accepter. Il va falloir… se montrer très convaincant.

— L’argent n’est pas un problème. En revanche, je ne veux rien d’écrit nulle part.

— Cela va sans dire. Toutes les informations dont vous aurez besoin seront stockées sur une clé USB, et il y aura zéro copie. Votre nom ne sera mentionné nulle part. Pas de mémo, pas de factures, pas de notes, pas de traces…

— Il reste toujours des traces. Les ordinateurs ont une fâcheuse tendance à en laisser.

Jovanovic sortit un mouchoir de sa poche et essuya la sueur qui coulait dans sa nuque. La chaleur déjà étouffante qui régnait dans son cabinet n’était combattue par aucune climatisation.

— L’ordinateur de ce cabinet ne sert qu’à la paperasse ordinaire et à rien d’autre, dit-il. Il est aussi vierge qu’un petit cul évangélique. Toutes les tâches confidentielles sont traitées ailleurs et personne à part moi ne sait où. Et la personne qui m’assiste est prête à tout détruire au moindre signal de ma part.

Le client parut satisfait de la réponse.

Servaz fut réveillé par un rayon de soleil. Il ouvrit les yeux et s’étira. Regarda la chambre illuminée par le jour neuf. Les murs chocolat, le mobilier clair et les lourds rideaux gris pâle. Les lampes et les bibelots partout. Deux secondes de totale désorientation.

Marianne entra, vêtue de son pyjama-short en satin bleu, un plateau à la main. Servaz bâilla. Il était affamé. Autant qu’un tigre. Il saisit une tartine et la plongea dans son bol de café, puis avala une rasade de jus d’orange. Elle le regarda manger en silence, un petit sourire aux lèvres. Quand il eut fini, il déposa le plateau sur l’épaisse descente de lit bouclée couleur sable.

— Tu as une cigarette ? dit-il.

Il avait laissé son paquet dans ses vêtements. Elle attrapa le sien sur la table de nuit, lui en tendit une et l’alluma. L’instant d’après, elle prit sa main libre dans la sienne. Après le sommeil, les doigts de Marianne étaient souples et chauds.

— Tu as réfléchi à ce qui s’est passé cette nuit ?

— Et toi ?

— Non, mais j’ai envie de continuer…