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Il haussa les épaules, gêné. Une serveuse se faufila entre les tables et déposa un café et un Perrier devant eux.

— Et ta nouvelle affectation ?

Elle haussa les épaules à son tour.

— Des contrôles routiers, de temps en temps une bagarre entre poivrots dans un bar, des cambriolages, des actes de vandalisme ou un type surpris en train de vendre du shit à la sortie du lycée… Mais ça me permet de voir à quel point j’étais privilégiée à la SR… Des locaux vétustes, des logements insalubres, des décisions absurdes prises par une hiérarchie déconnectée… Tu connais le syndrome du « gendarme qui se tortille » ?

— Le quoi ?

— Les crânes d’œuf qui nous dirigent ont décidé que le plus urgent, c’était d’équiper nos bureaux avec de nouveaux fauteuils. Problème : leurs accoudoirs ne sont pas assez écartés pour un gendarme avec une arme sur la hanche. Résultat : tous les gendarmes de ce pays passent leur temps à se tortiller dans leurs nouvelles tenues pour pouvoir s’asseoir.

L’image le fit sourire. Mais pas longtemps.

— Tu as rendu visite à Lisa Ferney en zonzon, hier, dit-il. Pourquoi ?

Elle le regarda droit dans les yeux. Il se souvint de cette nuit de tempête dans cette gendarmerie de montagne où elle lui avait raconté comment elle avait été violée dans sa jeunesse par les mêmes hommes qui avaient violé Alice Ferrand et les autres adolescents de la colonie des Isards. Elle avait presque le même regard que cette nuit-là. Sombre.

— Je… j’ai lu dans la presse que Hirtmann avait repris contact avec toi, qu’il t’avait écrit ce mail… Je… (Elle prit le temps de choisir ses mots.) Depuis ce qui s’est passé à Saint-Martin, je n’ai pas cessé de… penser à lui. Comme je viens de te le dire, il n’y a pas grand-chose d’excitant à faire à la brigade… Alors, pour passer le temps, je réunis le maximum d’infos sur Hirtmann. C’est devenu une sorte d’obsession depuis l’enquête de Saint-Martin, de… hobby. Comme les trains électriques, les collections de timbres ou les papillons, tu vois ? Sauf que le papillon que je rêve d’épingler à mon tableau de chasse est un tueur en série.

Elle porta son Perrier à ses lèvres. Servaz l’observa. Elle avait toujours ce petit tatouage dans le cou — un idéogramme chinois — et son piercing discret à la narine gauche. Pas vraiment une tenue classique pour une gendarme. Ce n’était pas pour lui déplaire. Il appréciait Irène Ziegler. Il avait aimé travailler avec elle. Il la fixa intensément.

— Tu veux dire que tu collectes tout ce qui se dit et s’écrit sur lui ?

— Oui… Quelque chose comme ça. J’essaie de recouper les informations, de voir si ça peut me mener quelque part. Jusqu’à présent sans grand succès. C’est comme s’il avait disparu de la surface de la terre. Personne ne sait s’il est vivant ou mort. Alors quand, en rentrant de vacances, j’ai vu qu’il avait repris contact avec toi, j’ai tout de suite pensé à Lisa Ferney. Et je suis allée la voir.

— C’est peut-être un canular, dit-il. Ou un copycat.

Elle le vit hésiter.

— Mais il y a autre chose, ajouta-t-il.

Elle ne dit rien. Elle croyait savoir ce qu’il allait dire, mais elle ne pouvait pas lui parler de ce qu’elle avait trouvé dans son ordinateur.

— Un motard qui correspond à Hirtmann et parlant avec un accent possiblement suisse a été vu sur une aire de l’autoroute A20. Les images d’une caméra de surveillance à un péage un peu plus au sud ont confirmé le témoignage du gérant du magasin. Si c’est lui, il se dirigeait vers Toulouse à ce moment-là.

— Il y a combien de temps ? demanda-t-elle, bien qu’elle connût déjà la réponse.

— Environ deux semaines.

Elle regarda autour d’elle, comme si le Suisse avait pu se trouver là, quelque part dans la foule, en train de les espionner. La plupart des clients étaient des étudiants ; la terrasse, avec ses murs de brique rose, sa vigne vierge et sa fontaine de pierre, évoquait une placette provençale. Elle se remémora la teneur exacte du mail. Elle aurait voulu lui dire ce qu’elle en pensait — mais, là encore, elle ne pouvait le faire sans lui avouer qu’elle était entrée dans son ordinateur.

— Ce mail, dit-elle à tout hasard. Tu en as une copie ?

Il plongea une main dans sa veste, en sortit une feuille pliée en quatre et la lui tendit. Elle prit le temps de relire un texte qu’elle connaissait déjà par cœur.

— Cette histoire te met à cran, pas vrai ?

Il acquiesça.

— Tu en penses quoi ? voulut-il savoir.

— Mmm. (Elle feignit de continuer sa lecture.)

— Hirtmann ou pas ?

Elle fit semblant de réfléchir.

— Pour moi, ça lui ressemble.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Comme je te l’ai dit, j’ai passé des mois à étudier sa personnalité, son comportement… Sans me vanter, je crois que je le connais mieux que personne. Ce message : il sonne vrai, il y a quelque chose là-dedans. C’est comme si j’entendais sa voix quand on s’est rendus là-bas, dans sa cellule…

— Pourtant, c’est une femme qui l’a envoyé, d’un cybercafé de Toulouse.

— Une victime ou une complice, commenta-t-elle. S’il a trouvé une femme qui a les mêmes perversions que lui, c’est très inquiétant, ajouta-t-elle en le dévisageant.

Il sentit un grand froid descendre en lui malgré la chaleur qui régnait.

— Tu dis que tu t’ennuies dans ta nouvelle affectation ? releva-t-il avec un demi-sourire.

Elle le fixa en se demandant manifestement où il voulait en venir.

— Disons que ce n’est pas pour ça que je suis rentrée dans la gendarmerie.

Il parut réfléchir puis se décida.

— Samira et Vincent s’occupent de collecter toutes les informations disponibles sur Hirtmann. Seulement, je leur ai aussi demandé de veiller sur ma fille. Margot est scolarisée au lycée de Marsac. Comme la plupart des élèves, elle est pensionnaire, loin de sa mère et de moi. Elle constitue donc une cible idéale. (Il se rendit compte qu’il avait baissé la voix en disant cela, comme s’il craignait que dire les choses à voix haute les fasse se réaliser.) Que dirais-tu si je te faisais parvenir toutes les informations que nous obtenons concernant Hirtmann ? J’aimerais bien que tu me donnes ton avis là-dessus.

Il vit son visage s’illuminer.

— Consultante, en somme, c’est ça ?

— Tu viens de le dire : tu es devenue experte en tueurs en série suisses, confirma-t-il en souriant.

— Pourquoi pas… Tu n’as pas peur que cela t’attire des ennuis ?

— On n’est pas obligés de le crier sur les toits. Seuls Vincent et Samira seront dans la confidence, c’est eux qui te communiqueront les infos. J’ai confiance en eux. Et ton point de vue m’intéresse. On a fait du bon boulot tous les deux, l’autre hiver…

Il vit que le compliment l’avait touchée.

— Qui t’a dit que j’avais été voir Lisa Ferney en prison ? voulut-elle savoir.

— Elle-même. Je lui ai rendu visite deux heures environ après toi. Les grands esprits…

— Et que t’a-t-elle dit au sujet de Hirtmann ?

— Qu’elle n’avait aucun contact avec lui. Et à toi ?

— La même chose… Tu la crois ?

— Elle m’a eu l’air très déprimée…

— Et frustrée.

— Ou alors, c’est une excellente comédienne.

— Possible.

— Comment se comporterait-elle si Hirtmann était dans le coin et s’il était entré en contact avec elle ?