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— Oui.

— Est-ce que vous avez tué Claire Diemar ?

— Je suppose que je devrais vous rappeler que vous ne pouvez me mettre en cause sans garde à vue et donc sans levée préalable de mon immunité — et aussi que je devrais appeler sans tarder mon avocat —, mais, pour répondre à votre question, non, commandant, je ne l’ai pas tuée : j’aimais Claire — et Claire m’aimait.

— Ce n’est pas ce que dit Hugo Bokhanowsky. Selon lui, Claire s’apprêtait à vous quitter.

— Pour quelle raison ?

— Claire et Hugo étaient amants.

Lacaze lui jeta un regard surpris.

— Vous êtes sérieux ?

Servaz opina. Il vit le doute passer sur le front du député.

— Ce gamin affabule… Claire ne m’a jamais parlé de lui. Et nous formions des projets d’avenir…

— Pourtant, vous m’avez dit la dernière fois qu’elle refusait que vous quittiez votre femme.

— Exact. Tant qu’elle n’était pas tout à fait sûre de ce qu’elle voulait. Et, sans doute aussi, tant que Suzanne était… dans cet état.

— Vous voulez dire… vivante ?

Une ombre noire voila les yeux du politicien.

— Lacaze, avez-vous espionné Claire ces derniers temps ? Aviez-vous des doutes sur elle ?

— Non.

— Étiez-vous au courant de sa liaison avec Hugo Bokhanowsky ?

— Non.

— Étiez-vous avec elle vendredi soir ?

— Non.

Trois réponses fermes.

— Où étiez-vous, vendredi soir ?

De nouveau, le sourire revint — et le regard vide.

— Ça, je… Je ne peux pas vous le dire.

Lacaze avait prononcé ces mots avec un sourire plein d’ironie, cette fois, comme si, soudain, le comique de la situation lui apparaissait — en même temps que son côté désespéré. Servaz soupira.

— Nom de Dieu, Lacaze ! Je vais être obligé d’appeler le juge et il va sans doute décider de demander la levée de votre immunité si vous refusez de coopérer. Vous êtes en train de foutre votre carrière en l’air !

— Vous ne comprenez pas, commandant : c’est si je vous le dis que ma carrière est morte. D’un côté comme de l’autre, je suis coincé.

Espérandieu écoutait ce qu’il considérait personnellement comme l’un des deux ou trois meilleurs albums rock de l’année 2009, Wess Ryder Pauper Lunatic Asylum de Kasabian, et, à ce moment précis, le morceau intitulé Fast Fuse, sur le lecteur de la Mégane, lorsque l’on cogna à la vitre, côté passager.

Vincent baissa le son avant d’ouvrir la portière.

— On a quelqu’un à voir, dit Servaz en s’asseyant.

— Et Margot ?

— Il y a un fourgon de gendarmerie à l’entrée (Servaz désigna le véhicule bleu garé au bord de la route, tout au bout de l’allée bordée de chênes et de la prairie), Samira surveille derrière et Margot est en cours. Je connais Hirtmann. S’il doit agir, il ne prendra aucun risque. Et surtout pas celui de retourner dans une cellule.

— Et on va où ?

— Roule.

Ils entrèrent en ville et Servaz donna les indications à Espérandieu au fur et à mesure. L’entretien avec Lacaze avait dissipé tout son enthousiasme. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi le député s’obstinait à refuser de dire où il était ce soir-là. Quelque chose clochait. Il avait senti que Lacaze avait de bonnes raisons de camper fermement sur ses positions. Pas du tout l’attitude de quelqu’un qui a commis un meurtre.

Mais peut-être que Lacaze était tout simplement très fort à ce jeu-là. Après tout, c’était un politicien, donc un acteur et un menteur professionnel.

— C’est ici, dit Servaz.

La résidence universitaire se trouvait sur une des collines qui dominaient la ville. Une série de cinq bâtiments. Tous identiques. Ils franchirent un petit portail, un panneau indiquait « Cité universitaire Philippe-Isidore Picot de Lapeyrouse ». Ils se garèrent sous les arbres, les pelouses étaient désertes. Contrairement au lycée de Marsac, la saison à la fac des sciences était terminée, la plupart des étudiants avaient déserté les lieux. Ils avaient l’air abandonnés. Extérieurement, le long bâtiment de quatre étages avait fière allure avec ses rangées de larges fenêtres qui devaient rendre les chambres claires et agréables, mais, dès le hall d’entrée, ils comprirent que quelque chose clochait. Des banderoles étaient tendues sur les murs : « NOUS PAYONS UN LOYER, NOUS EXIGEONS LE MINIMUM », « MARRE DES CAFARDS » OU encore « Crous = Crasse ». Il n’y avait pas d’ascenseur. En montant dans les étages, ils constatèrent vite que les banderoles étaient justifiées : les lames en plastique du plafond s’effondraient, la peinture jaune des murs s’écaillait et, sur la porte des douches, un écriteau annonçait « hors d’usage ». De fait, Servaz crut apercevoir une ou deux bestioles ramper sur le sol. Les Stups leur avaient donné un numéro de chambre. 211. Ils s’immobilisèrent devant. De la musique traversait la porte. À tue-tête. Espérandieu cogna et prit sa voix la plus juvénile.

— Heisenberg, t’es là, mon pote ?

La musique s’interrompit. Ils attendirent trente bonnes secondes en se demandant si « Heisenberg » n’avait pas filé par la fenêtre lorsque la porte s’ouvrit sur une fille maigre en débardeur et en short. Ses cheveux formaient des épis et leur blond était aussi peu naturel que les racines noires. Ses bras étaient si maigres qu’os et veines saillaient sous la peau bronzée. Elle battit des paupières dans la pénombre du store presque entièrement baissé et ses yeux délavés les examinèrent l’un après l’autre.

— Heisenberg est pas là ? demanda Vincent.

— Z’êtes qui, les mecs ?

— Surprise ! lança joyeusement son adjoint en exhibant sa carte et en repoussant la blonde pour entrer.

Les murs étaient presque entièrement recouverts de photos, posters, affichettes, prospectus. Espérandieu reconnut Kurt Cobain, Bob Marley et Jimi Hendrix parmi les photos, les idoles des jeunes gens épris de liberté mais aussi des camés — ce qui représentait un sacré paradoxe. Dès ses premiers pas dans la pièce, il identifia le fantôme d’odeur qui planait : THC, tétrahydro-cannabinol, sous sa forme la plus commune : hasch.

— Heisenberg est pas là ?

— Qu’est-ce que vous lui voulez ?

— Ça ne te regarde pas, dit Espérandieu. T’es sa meuf ?

Elle leur lança un regard haineux.

— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?

— Réponds.

— Foutez le camp.

— On partira pas sans l’avoir vu.

— Z’êtes pas des Stups, constata-t-elle.

— Non, Affaires criminelles.

— Appelez les Stups, z’avez pas le droit de toucher à Heisenberg.

— Qu’est-ce que t’en sais ? C’est ton copain ?

Elle ne répondit pas, ses grands yeux délavés allaient de l’un à l'autre avec une lueur mauvaise.

— Bon, moi, je me casse, dit-elle.

Elle fit un pas vers la porte, Espérandieu tendit le bras et la saisit au niveau du poignet. Aussitôt, comme un chat qui se rebiffe, elle fit volte-face et lui planta ses griffes dans l’avant-bras jusqu’au sang.