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Dans cette zone intermédiaire de l’Ile, l’accent était mis beaucoup moins sur l’enseignement que sur le labeur. Il savait que lorsqu’il atteindrait la Troisième Falaise, il se joindrait à ceux qui effectuaient réellement le travail de la Dame dans tout le vaste monde, car ce n’était pas la Dame en personne, il le comprenait maintenant, qui envoyait la plupart des messages sur toute la surface de la planète, mais les millions d’acolytes les plus avancés de la Troisième Falaise dont les esprits servaient d’amplificateurs à la bienveillance de la Dame. Bon nombre des plus anciens acolytes, à ce qu’il avait cru comprendre, avaient passé plusieurs décennies sur la Seconde Falaise, accomplissant d’obscures tâches administratives, sans espoir ni désir d’accéder aux responsabilités plus lourdes de la zone centrale.

Dans le courant de sa troisième semaine à la Terrasse de la Dévotion, Valentin fit un rêve qui était indiscutablement un rêve de convocation.

Il se vit traversant la plaine pourpre et desséchée qui avait perturbé son sommeil à Pidruid. Le soleil descendait sur l’horizon et le ciel était lourd et sinistre, et devant lui se dressaient deux grandes chaînes de montagnes, comme deux poings géants brandis. La vallée jonchée de blocs de pierre aux arêtes vives qui les séparait recevait les derniers rougeoiements du soleil couchant, une curieuse et inquiétante lumière huileuse qui tenait plus du suintement que du rayonnement. Un vent sec et frais soufflait dans cette vallée étrangement éclairée et apportait avec lui des soupirs et des chants, de douces mélodies empreintes de mélancolie. Valentin marchait depuis des heures, mais il ne progressait pas : les montagnes ne se rapprochaient pas, les sables du désert s’étiraient à l’infini sous ses pas, l’ultime clarté qui baignait la vallée ne disparaissait pas. Il sentait ses forces décliner. Des mirages menaçants dansaient devant ses yeux. Il vit Simonan Barjazid, le Roi des Rêves, et ses trois fils. Il vit l’abominable et sénile Pontife rugissant sur son trône souterrain. Il vit de monstrueux amorfibots rampant pesamment dans les dunes et les groins d’énormes dhumkars perçant le sable comme des tarières et humant l’air en quête de proies. Il entendait des chuintements, des nasillements, des susurrements ; de petits nuages d’insectes venaient bourdonner à ses oreilles ; une fine pluie de sable sec commença à tomber, l’aveuglant et lui obstruant les narines. Il était las et prêt à tout moment à baisser les bras et à s’arrêter, à s’allonger dans le sable et à se laisser recouvrir par les dunes mouvantes, mais quelque chose le poussait à continuer, car dans la vallée une forme rayonnante allait et venait, une femme souriante, la Dame, sa mère, et aussi longtemps qu’il la verrait là-bas, il ne cesserait d’aller de l’avant. Il sentait la chaleur de sa présence, l’attraction de son amour.

— Viens, murmurait-elle. Viens à moi, Valentin. Elle tendait les bras vers lui par-dessus ce monstrueux désert. Les épaules de Valentin tombaient. Ses genoux fléchissaient. Il se sentait incapable de continuer, et pourtant il savait qu’il le fallait.

— Ma Dame, souffla-t-il, je suis à bout, il faut que je me repose, il faut que je dorme !

À ces mots, le rayonnement entre les montagnes se fit plus vif et plus chaud.

— Valentin, cria-t-elle, Valentin, mon fils !

Il parvenait à peine à garder les yeux ouverts. Il était si tentant de s’allonger sur le sable chaud.

— Tu es mon fils, lui disait la voix de la Dame à travers cette infranchissable distance, et j’ai besoin de toi.

Et comme elle prononçait ces mots, il sentit ses forces revenir, il accéléra le pas, puis commença à courir avec légèreté sur la surface durcie du désert, reprenant courage et allongeant sa foulée. La distance qui les séparait commençait à diminuer rapidement, et Valentin la voyait maintenant distinctement, qui l’attendait sur une terrasse de pierre violette, souriant, les bras tendus vers lui, l’appelant par son nom d’une voix qui résonnait comme les cloches de Ni-moya.

Il s’éveilla avec le son de cette voix résonnant toujours dans sa tête.

C’était l’aube. Son esprit débordait d’une prodigieuse énergie. Il se leva d’un bond et se dirigea vers le grand bassin d’améthyste qui était la piscine de la Terrasse de la Dévotion et plongea bravement dans l’eau de source glacée. Après quoi, il trottina jusqu’à la chambre de Menesipta, son interprète des songes sur cette terrasse ; une femme trapue, aux yeux noirs étincelants et au visage émacié et tiré, et lui débita tout son rêve d’une seule haleine.

Menesipta l’écouta en silence.

La froideur de sa réaction tempéra l’exubérance de Valentin. Il se souvint de sa visite à Stauminaup sur la Terrasse de l’Évaluation pour lui raconter le fallacieux rêve de convocation du volevant et de la rapidité avec laquelle Stauminaup avait rejeté ce rêve. Mais là, il n’y avait pas de supercherie. Il n’avait pas Deliamber pour agir sur son esprit par des pratiques magiques.

— Puis-je vous demander une appréciation ? dit finalement Valentin.

— Ce rêve a des résonances familières, répondit calmement Menesipta.

— C’est là toute votre interprétation ?

— Qu’aimeriez-vous que je vous dise d’autre ? demanda-t-elle, l’air amusé.

Valentin serra les poings de frustration.

— Si quelqu’un venait me voir pour une interprétation d’un tel rêve, j’appellerais cela un rêve de convocation.

— Très bien.

— Vous êtes d’accord ? Appelleriez-vous cela un rêve de convocation ?

— Si cela peut vous faire plaisir.

— La question n’est pas de me faire plaisir, reprit Valentin au comble de l’irritation. Soit ce rêve était un rêve de convocation, soit il ne l’était pas. Quel est votre point de vue ?

— Je considère que votre rêve est un rêve de convocation, répondit l’interprète avec un sourire en coin.

— Et maintenant ?

— Maintenant ? Eh bien, maintenant vous vous acquittez de vos tâches matinales.

— Un rêve de convocation, si je ne me trompe, fit sèchement Valentin, est nécessaire pour être admis en présence de la Dame.

— Absolument.

— Ne devrais-je donc pas accéder maintenant au Temple Intérieur ?

— Nul ne passe de la Seconde Falaise au Temple Intérieur, répondit Menesipta en secouant la tête. Ce n’est que lorsque vous atteindrez la Terrasse de l’Adoration qu’un rêve de convocation sera la condition suffisante pour vous permettre de pénétrer à l’intérieur. Votre rêve est intéressant et important, mais il ne change rien. Allez vaquer à vos taches, Valentin.

Il tremblait de colère en quittant la chambre de Menesipta. Il savait que sa réaction était ridicule et qu’un simple rêve ne pouvait suffire à renverser tous les obstacles qui le séparaient encore de la Dame, et pourtant il avait tant attendu de ce rêve… il avait espéré voir Menesipta battre des mains, pousser des cris de joie et l’expédier sur l’heure vers le Temple Intérieur, mais rien de cela ne s’était produit, et la déception était cruelle et le rendait furieux.