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Mais il n’était pas au bout de ses peines. En revenant des champs, deux heures plus tard, il fut arrêté par un acolyte qui lui annonça de but en blanc :

— Vous avez ordre de vous rendre immédiatement au port de Taleis où vous guiderez les nouveaux pèlerins.

Valentin fut abasourdi. Être renvoyé au point de départ était bien la dernière chose qu’il souhaitait.

Il devait se mettre en route sur-le-champ et rebrousser chemin, à pied et seul, de terrasse en terrasse, et parvenir à la Terrasse de l’Évaluation dans le laps de temps le plus court possible. On lui fournit au magasin de vivres de la terrasse une ration suffisante pour atteindre la Terrasse des Fleurs. On lui remit également un appareil d’orientation qu’il devait fixer à son bras, qui détectait les bornes enfouies dans le sol le long du chemin et émettait des impulsions sonores faibles et aiguës.

Il quitta la Terrasse de la Dévotion à midi. Mais le chemin qu’il choisit était celui de l’intérieur, qui menait à la Terrasse du Renoncement, et non celui qui le ramenait vers la côte.

La décision s’imposa brusquement et avec une force irrésistible. Il ne pouvait tout simplement pas se permettre d’être ainsi éloigné de la Dame. S’écarter du droit chemin sur cette île où régnait une stricte discipline était une entreprise pleine de risques, mais il n’avait pas le choix.

Valentin longea le bord de la terrasse et s’engagea sur le sentier herbeux qui coupait en diagonale à travers le terrain de jeux jusqu’à la route principale. C’était l’endroit où il était supposé tourner à gauche en direction des terrasses extérieures. Mais – ayant l’affreuse impression d’attirer tous les regards, – il tourna à droite et prit d’un pas vif la direction de l’intérieur. Il se trouva bientôt au-delà de la zone aménagée de la terrasse, et la large route pavée se transforma en une piste de terre battue qui s’enfonçait dans la forêt.

Au bout d’une demi-heure, il arriva à un embranchement. Il s’engagea au hasard sur la piste de gauche, mais les impulsions sonores du détecteur cessèrent et ne réapparurent que lorsqu’il eut fait demi-tour pour prendre l’autre piste. Un appareil bien pratique, pensa-t-il.

Il marcha sans s’arrêter jusqu’à la tombée de la nuit. Il choisit pour bivouaquer un riant bosquet près d’un clair ruisseau et fit un frugal dîner composé de fromage et d’une tranche de viande. Il dormit d’un sommeil agité, allongé sur le sol humide et frais entre deux arbres élancés.

La première lueur rose de l’aube le réveilla. Il remua, s’étira et ouvrit les yeux. Un petit plongeon dans le ruisseau, et puis manger un morceau, et puis…

Valentin entendit du bruit derrière lui, dans la forêt… des craquements de brindilles, quelque chose qui se déplaçait à travers les buissons. Il se glissa tranquillement derrière un arbre au tronc épais, au bord du ruisseau, et sortit précautionneusement la tête pour regarder. Et il vit un homme bâti en force, avec une barbe brune, sortir du sous-bois, s’arrêter devant le bivouac et regarder prudemment autour de lui. C’était Farssal.

En robe de pèlerin. Mais avec un poignard dans sa gaine attaché à l’avant-bras gauche…

Sept à huit mètres séparaient les deux hommes. Les sourcils froncés, Valentin envisagea les possibilités qui s’offraient à lui et réfléchit à sa tactique. Où Farssal avait-il bien pu dénicher un poignard sur cette île paisible ? Pourquoi le suivait-il à la trace dans la forêt sinon pour se débarrasser de lui ?

La violence était étrangère à Valentin. Mais prendre Farssal par surprise semblait être la seule solution raisonnable. Il oscilla d’avant en arrière sur la pointe des pieds pendant quelques secondes, se concentrant comme s’il se préparait à jongler, et bondit hors de sa cachette.

Farssal pivota sur lui-même et réussit à dégainer son poignard juste au moment où Valentin arrivait sur lui pour le culbuter. D’un geste brusque et désespéré, Valentin frappa du tranchant de la main le dessous du bras de Farssal, l’engourdissant, et le poignard tomba par terre ; mais l’instant d’après, Farssal nouait ses bras musculeux autour de Valentin, comme s’il avait voulu le broyer.

Face à face, ils luttaient corps à corps. Farssal mesurait une tête de moins que Valentin, mais il était plus large de poitrine et d’épaules et fort comme un taureau. Il s’efforçait de jeter Valentin au sol ; Valentin luttait pour se dégager ; aucun des deux ne réussissait à déséquilibrer l’autre, les veines saillaient sur leurs fronts et leurs visages étaient gonflés et empourprés par l’effort.

— C’est de la folie, murmura Valentin. Lâche-moi et va-t’en. Je ne te veux pas de mal.

Pour toute réponse, Farssal accentua son étreinte.

— Qui t’envoie ? demanda Valentin. Que veux-tu de moi ?

Toujours pas de réponse. Les bras puissants, aussi forts que ceux d’un Skandar, continuaient inexorablement à se refermer. Valentin suffoquait ; la douleur était insupportable. Il essaya d’écarter les coudes pour se dégager de la prise. Rien à faire. Le visage de Farssal était enlaidi et tordu par l’effort, le regard farouche, les lèvres serrées. Lentement, insensiblement, il poussait Valentin vers le sol.

Il était impossible de résister à cette terrible étreinte. Valentin cessa brusquement de le faire et se laissa complètement aller. Farssal, surpris, le poussa sur le côté ; Valentin fléchit les genoux et n’offrit aucune résistance pendant que Farssal le projetait au sol. Mais il tomba sur le dos avec légèreté, les jambes repliées au-dessus de lui, et au moment où Farssal se précipitait furieusement sur lui, Valentin lança de toutes ses forces ses pieds dans le ventre de son adversaire. Farssal hoqueta, poussa un grognement et recula en titubant, étourdi. Valentin se releva d’un bond, saisit Farssal avec des bras que des mois de jonglerie avaient fortement musclés et le projeta brutalement au sol. Il le maintenait allongé sur le dos, les genoux sur les bras écartés de Farssal, les mains plaquant ses épaules au sol.

Comme il est étrange, se dit Valentin, de lutter ainsi corps à corps avec un autre être humain, comme si nous étions de petits garnements ! Cela lui semblait irréel.

Farssal lui jetait des regards flamboyants de haine, tapait furieusement du pied contre le sol et essayait en vain de repousser Valentin.

— Tu vas parler maintenant, fit Valentin. Explique-moi ce que cela signifie. Es-tu venu ici pour me tuer ?

— Je ne dirai rien.

— Toi qui parlais tant quand nous jonglions.

— C’était avant.

— Que vais-je faire de toi ? demanda Valentin. Si je te laisse te relever, tu vas recommencer. Et si je te tiens comme cela, je ne peux pas bouger non plus !

— Tu ne me tiendras pas longtemps ainsi.

Une nouvelle fois, Farssal essaya de se soulever. Il avait une force de colosse. Mais la poigne de Valentin était solide. Le visage de Farssal était devenu écarlate ; de grosses cordes saillaient sur sa gorge ; ses yeux flamboyaient de fureur et de frustration. Pendant un long moment, il resta absolument immobile. Puis il parut rassembler toutes ses forces et, bandant ses muscles, il se souleva. Valentin ne put résister à la terrible poussée. Pendant quelques instants, ni l’un ni l’autre ne contrôla la situation, Valentin à demi rejeté sur le côté, Farssal se tortillant et gigotant pour essayer de rouler sur lui-même. Valentin saisit Farssal par ses larges épaules et tenta de le repousser contre le sol. Farssal se dégagea et lança la main en avant, visant les yeux de Valentin. Valentin esquiva le coup de griffe et, sans prendre le temps de réfléchir, il empoigna Farssal par sa rude barbe noire et le tira sur le côté, lui cognant la tête contre un bloc rocheux qui affleurait juste à côté d’eux. Farssal poussa un long gémissement et cessa de remuer. Se relevant d’un bond, Valentin ramassa le poignard et se pencha sur son adversaire. Il tremblait, non pas de peur, mais à cause du relâchement de la tension, comme la corde d’un arc après que la flèche a été décochée. Ses côtes étaient endolories par la féroce étreinte et les muscles de ses bras et de ses épaules étaient parcourus de contractions et de tressaillements convulsifs.