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— Nous serons après-demain à l’Entrée des Lames, dit Nascimonte.

Valentin se souvenait qu’il y avait en tout sept entrées, disposées à équidistance tout autour de l’énorme édifice. Lorsqu’il était venu en tant qu’émissaire de Voriax, il avait emprunté l’Entrée des Eaux, du côté opposé, là où le Glayge, après avoir descendu les pentes du Mont du Château, arrosait les fertiles provinces du Nord-Est. C’était la voie d’accès la plus confortable, celle qu’empruntaient les hauts fonctionnaires lorsqu’ils avaient des affaires à traiter avec les ministres du Pontife. Sur tout le reste du pourtour du Labyrinthe, le paysage était beaucoup moins hospitalier, le pire étant le désert par lequel Valentin approchait. Mais il était réconfortant de savoir qu’après avoir traversé cet endroit désolé, il quitterait le Labyrinthe par son côté le plus riant.

Le Labyrinthe couvrait une surface énorme, et comme il était construit sur plusieurs niveaux, s’enfonçant en spirale dans le sol et s’étageant dans les entrailles de la planète, il était impossible de dénombrer avec exactitude sa population. Le Pontife lui-même n’occupait que le secteur le plus profond du Labyrinthe, où seuls de rares privilégiés étaient admis. La zone qui l’entourait immédiatement était le domaine des agents supérieurs du pouvoir exécutif, une multitude d’âmes mystérieuses et dévouées consacrant toute leur vie à des tâches obscures qui dépassaient l’entendement de Valentin, tenue d’archives, création de taxes, recensement, et bien d’autres encore. Et autour de la zone gouvernementale s’était développé, au fil des millénaires, l’épiderme protecteur du Labyrinthe, un dédale de passages circulaires peuplé de millions de formes indécises, bureaucrates et commerçants, mendiants et employés, et toute une racaille, un univers qui ignorait tout de la douce chaleur du soleil, où les clairs rayons de lune ne pouvaient pénétrer, où toutes les beautés, les merveilles et les joies de l’immense planète avaient été troquées contre les plaisirs blafards d’une vie souterraine.

Les flotteurs longèrent le bord du monticule pendant une heure environ avant d’atteindre enfin l’Entrée des Lames. Ce n’était qu’une ouverture au toit de bois donnant accès à un tunnel qui disparaissait dans la terre. Une rangée de sabres anciens et rouillés fixés dans du béton en défendait l’entrée, formant une barrière plus symbolique qu’efficace, car ils étaient fort espacés. Combien de temps faut-il, se demanda Valentin, pour que des sabres se rouillent avec ce climat sec et désertique ?

Les gardiens du Labyrinthe attendaient dans l’entrée.

Ils étaient sept – deux Hjorts, un Ghayrog, un Skandar, un Lii et deux humains –, et tous étaient masqués, comme l’était l’ensemble des fonctionnaires du Labyrinthe. Le masque lui aussi avait surtout une valeur symbolique, une simple banda d’étoffe jaune lustrée, posée sur les yeux et l’arête du nez des humains et à des endroits équivalents pour les autres ; mais produisait un effet d’une grande étrangeté, ce qui était le but recherché.

Les gardiens impassibles faisaient face en silence à Valentin et à ses compagnons.

— Ils vont demander un prix pour l’entrée, souffla Deliamber. Tout cela est traditionnel. Avancez vers eux et exposez le motif de votre visite.

Valentin s’adressa aux gardiens.

— Je suis Valentin, frère de Voriax, fils de la Dame de l’Ile, et je suis venu demander une audience au Pontife.

Malgré le côté bizarre et provocant de cette déclaration, les masques ne manifestèrent guère de réactions. Le Ghayrog se contenta de dire :

— Le Pontife n’admet personne en sa présence.

— Alors, je sollicite une audience auprès de ses ministres qui lui transmettront mon message.

— Ils refuseront également de vous recevoir, dit l’un des Hjorts.

— Dans ce cas, reprit Valentin, je m’adresserai aux ministres des ministres. Ou aux ministres des ministres des ministres, s’il le faut. Tout ce que je vous demande est d’accorder à mes compagnons et à moi-même l’autorisation de pénétrer dans le Labyrinthe.

Les gardiens se consultèrent solennellement, émettant un murmure sourd et confus, mais ils accomplissaient de toute évidence une sorte de rituel purement automatique, car ils paraissaient à peine écouter ce qu’ils se disaient. Quand leurs marmonnements se furent éteints, le porte-parole Ghayrog pivota sur lui-même pour faire face à Valentin et demanda :

— Quelle est votre offre ?

— Mon offre ?

— Le prix d’entrée.

— Fixez-le et je paierai.

Valentin fit un signe à Shanamir qui portait une bourse pleine de pièces. Mais les gardiens parurent mécontents, secouant la tête d’un air réprobateur, certains d’entre eux allant jusqu’à se détourner quand Shanamir sortit quelques pièces d’un demi-royal.

— Pas de l’argent, fit le Ghayrog d’un ton dédaigneux. Une offre !

Valentin était désemparé. Il jeta un regard embarrassé à Deliamber qui agita ses tentacules, les levant et les baissant en cadence. Valentin fronça les sourcils. Puis il comprit. Jongler !

— Sleet… Zalzan Kavol…

Ils allèrent chercher des balles et des massues dans l’un des flotteurs. Sleet, Carabella et Zalzan Kavol se mirent en position devant les gardiens et, à un signal du Skandar, commencèrent à jongler. Immobiles comme des statues, les sept masques regardaient. Tout cela paraissait à Valentin tellement absurde qu’il avait toutes les peines du monde à garder son sérieux et il dut à plusieurs reprises réprimer un rire ; mais les trois jongleurs continuaient leur numéro imperturbablement et avec une parfaite dignité, comme s’ils accomplissaient un rite religieux crucial. Ils exécutèrent trois combinaisons complètes d’échanges et s’arrêtèrent d’un commun accord, s’inclinant avec raideur devant les gardiens. Le Ghayrog les remercia d’un signe de tête presque imperceptible.

— Vous pouvez entrer, dit-il.

5

Ils franchirent la barrière de lames dans les flotteurs et pénétrèrent dans une sorte de sombre vestibule où flottait une odeur de moisi et qui s’ouvrait sur une large voie en pente. Un peu plus bas, ils arrivèrent à l’intersection d’un tunnel, le premier des anneaux du Labyrinthe.

Il était haut de plafond et éclairé à giorno, et aurait fort bien pu être une rue commerçante de n’importe quelle grande ville, avec ses étals, ses échoppes, ses piétons et ses véhicules flottants, de toute forme et de toute taille. Mais un examen plus attentif permettait de déterminer qu’il ne s’agissait manifestement pas d’une quelconque Pidruid, ou Piliplok, ou Ni-moya. Les gens dans les rues étaient d’une pâleur irréelle, avec des mines de déterrés révélatrices de vies entières passées hors d’atteinte des rayons du soleil. Leurs vêtements, de couleurs sombres et ternes, avaient quelque chose d’archaïque. Nombreux étaient ceux qui portaient un masque, les fonctionnaires pontificaux, qui passaient inaperçus dans le contexte du Labyrinthe et se mêlaient à la foule sans que leurs masques attirent la moindre attention. Mais Valentin trouva aussi que tous, masqués ou non, avaient une expression tendue et farouche, quelque chose de hagard dans les yeux et la bouche. Dehors, à l’air libre, sous le chaud et joyeux soleil, les habitants de Majipoor souriaient largement et facilement, pas seulement avec la bouche, mais avec les yeux, les joues, le visage tout entier, de toute leur âme. Mais ici, dans ces catacombes, les âmes étaient d’une autre espèce.