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— Il dit que le Coronal est trop précieux pour risquer sa vie à de telles distractions.

— Dites-lui que je suis d’accord et que si je réintègre le Château, je consacrerai toute mon énergie à ma tâche et j’éviterai toutes ces diversions.

Sepulthrove, le médecin du Pontife, s’avança et dit d’une voix calme :

— Nous le fatiguons. Je crains qu’il ne faille mettre un terme à cette audience.

— Encore un instant, dit Valentin.

Sepulthrove fronça les sourcils. Mais Valentin, avec un sourire, s’avança de nouveau jusqu’au pied du trône et, s’agenouillant, il tendit les bras vers le vieillard dans sa bulle de verre et, se laissant glisser dans l’état de transe, il projeta son esprit vers Tyeveras pour lui transmettre son respect et son affection. Quelqu’un avait-il jamais montré de l’affection envers le redoutable Tyeveras ? Très probablement pas. Mais pendant des décennies cet homme avait été le centre et l’âme de Majipoor, et maintenant, perdu sur son trône dans un rêve intemporel de grandeur, ne prenant conscience que par intermittence des responsabilités qui naguère avaient été siennes, il était digne de toute l’affection que son fils adoptif et successeur lui portait et que Valentin lui offrait avec toute l’intensité que le pouvoir de son bandeau lui permettait. Et Tyeveras sembla reprendre des forces, ses yeux s’animèrent et ses joues se colorèrent. Était-ce un sourire qui commença à flotter sur ses lèvres desséchées ? La main gauche du Pontife s’éleva-t-elle en un geste presque imperceptible de bénédiction ? Mais oui. Mais oui. Il était hors de doute que le Pontife sentait la chaleur émanant de Valentin, qu’il la recevait avec plaisir et qu’il y répondait.

Tyeveras émit quelques mots qui étaient presque cohérents.

— Il dit qu’il vous apporte son soutien sans réserve, lord Valentin, dit Hornkast.

Longue vie, vieil homme, pensa Valentin en se relevant avant de s’incliner devant le Pontife. Vous préféreriez probablement vous endormir du sommeil éternel ; mais il me faut vous souhaiter une vie encore plus longue que celle que vous avez déjà eue, car de lourdes tâches m’attendent sur le Mont du Château. Il se retourna.

— Allons-y, dit-il aux cinq ministres. J’ai obtenu ce que je voulais.

Ils se retirèrent lentement de la salle du trône. Quand la porte se fut refermée derrière eux, Valentin regarda Sepulthrove et lui demanda :

— Combien de temps peut-il survivre ainsi ?

— Presque indéfiniment, répondit le praticien en haussant les épaules. Le système le soutient parfaitement. Avec quelques légères rectifications de temps à autre, nous pouvons le maintenir en vie pendant encore cent ans.

— Ce ne sera pas nécessaire. Mais il faudra peut-être qu’il reste avec nous encore une douzaine ou une quinzaine d’années. Est-ce en votre pouvoir ?

— Vous pouvez y compter, répondit Sepulthrove.

— Bien. Très bien.

Valentin regardait le passage clair et sinueux qui s’élevait devant eux. Il avait passé suffisamment de temps dans le Labyrinthe. Le moment était venu de retrouver le monde du soleil, du vent et de la vie et d’en finir avec Dominin Barjazid. Se tournant vers Hornkast, il dit :

— Retournez voir mes compagnons et prenez les dispositions nécessaires pour nous transporter à l’extérieur. Et avant mon départ, je voudrais avoir un dossier détaillé des forces armées que vous serez en mesure de mettre à ma disposition.

— Bien entendu, monseigneur, répondit le porte-parole.

Monseigneur. C’était la première indication de soumission qu’il ait reçue des ministres du Pontife. La bataille décisive était encore à venir, mais en entendant ce petit mot, Valentin sentit presque qu’il avait déjà reconquis le Mont du Château.

LE LIVRE DU CHÂTEAU

1

La remontée des profondeurs du Labyrinthe fut accomplie beaucoup plus rapidement que ne l’avait été la descente, car pendant l’interminable spirale descendante Valentin n’avait été qu’un aventurier anonyme qui avait dû vaincre l’indifférence du lourd appareil bureaucratique, alors qu’au retour il était une Puissance du royaume.

Pas question pour lui d’effectuer la tortueuse montée, niveau après niveau, anneau après anneau, de rebrousser chemin à travers le dédale de la tanière du Pontife, la Chambre des Archives, l’Arène, la Place des Masques, la Salle des Vents et tout le reste. Il remonta avec ses compagnons, rapidement et sans encombre, en utilisant le passage réservé exclusivement aux Puissances.

Il ne lui fallut que quelques heures pour atteindre l’anneau extérieur, cette étape populeuse et bien éclairée sur le pourtour de la cité souterraine. Malgré toute la rapidité de son ascension, la nouvelle de son identité s’était répandue encore plus vite. Le bruit s’était propagé à travers le Labyrinthe que le Coronal était ici, un Coronal mystérieusement transformé, mais Coronal malgré tout, et lorsqu’il déboucha du passage impérial, une grande foule s’était déjà assemblée comme s’il devait en sortir quelque créature à neuf têtes et à trente pattes.

C’était une foule silencieuse. Quelques-uns firent le signe de la constellation, d’autres crièrent son nom, mais la plupart se contentèrent de le regarder passer bouche bée. Après tout, le Labyrinthe était le domaine du Pontife, et Valentin savait que l’adulation dont un Coronal recevrait les témoignages partout ailleurs sur Majipoor était ici peu vraisemblable. De la crainte, oui. Du respect, certes. De la curiosité, par-dessus tout. Mais certainement pas les acclamations ni les saluts que Valentin avait vus répandus sur le passage du faux lord Valentin lorsqu’il avait parcouru les rues de Pidruid pendant le grand défilé. C’était aussi bien ainsi, se dit Valentin. Il avait perdu l’habitude d’être un objet d’adoration et, de toute façon, il n’y avait jamais beaucoup tenu. Il était suffisant – largement suffisant – qu’ils l’acceptent maintenant comme le personnage qu’il prétendait être.

— Tout sera-t-il toujours aussi facile ? demanda-t-il à Deliamber. Me suffira-t-il de traverser Alhanroel en me proclamant le véritable lord Valentin pour que tout me tombe entre les mains ?

— J’en doute fort. Barjazid a encore le visage du Coronal. Il détient encore les sceaux du pouvoir. Ici, si les ministres du Pontife affirment que vous êtes le Coronal, les citoyens vous salueront comme Coronal. S’ils avaient déclaré que vous étiez la Dame de l’Ile, on vous aurait probablement salué comme la Dame de l’Ile. Je pense qu’il n’en sera pas de même à l’extérieur.

— Je ne veux pas d’effusion de sang, Deliamber.

— Personne ne le veut. Mais le sang coulera avant que vous repreniez possession du Trône de Confalume. Il n’y a pas moyen de l’éviter, Valentin.

— Je crois, dit Valentin, l’air sombre, que je préférerais presque abandonner le trône au Barjazid plutôt que de plonger le pays dans un bain de sang. Je tiens par-dessus tout à la paix, Deliamber.

— Et la paix finira par régner, répondit le petit magicien. Mais la route qui mène à la paix n’est pas toujours de tout repos. Regardez, là-bas… votre armée se rassemble déjà, Valentin.

Et, pas très loin, Valentin vit tout un rassemblement de gens. Certains visages lui étaient familiers et d’autres inconnus. Tous ceux qui l’avaient accompagné jusqu’au Labyrinthe étaient là, la troupe qui s’était formée autour de lui au cours de son voyage autour du monde, les Skandars, Lisamon Hultin, Vinorkis, Khun, Shanamir, Lorivade et les gardes du corps de la Dame et les autres. Mais il y en avait également plusieurs centaines portant les couleurs du Pontife, déjà rassemblés, le premier détachement de… de quoi ? Ce n’étaient pas des troupes ; le Pontife n’avait pas de troupes. Une milice civile, alors ? En tout cas, c’était l’armée de lord Valentin.