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— Mon armée, dit Valentin. Le mot avait un goût amer.

— Les armées sont une survivance de l’époque de lord Stiamot, Deliamber. Depuis combien de milliers d’années n’y a-t-il pas eu de guerre sur Majipoor ?

— Il est vrai que la paix règne depuis longtemps, répondit le Vroon. Il existe cependant de petites armées. Les gardes du corps de la Dame, les serviteurs du Pontife… sans oublier les chevaliers du Coronal. Comment peut-on les qualifier autrement que d’armée ? Ils portent des armes, ils font des exercices sur les champs de manœuvre du Mont du Château… De quoi s’agit-il, Valentin ? De dames et de seigneurs s’adonnant à des jeux ?

— C’était ce que je croyais, Deliamber, lorsque j’étais l’un d’eux.

— Il est temps de réviser votre jugement, monseigneur. Les chevaliers du Coronal forment le noyau d’une force militaire et il faudrait être innocent pour croire le contraire. Et vous vous en apercevrez inéluctablement quand vous vous rapprocherez du Mont du Château.

— Dominin Barjazid peut-il envoyer mes propres chevaliers livrer bataille contre moi ? demanda Valentin d’une voix horrifiée.

Le Vroon lui jeta un long regard froid.

— L’homme que vous appelez Dominin Barjazid est, pour l’instant, lord Valentin le Coronal, auquel les chevaliers du Mont du Château sont liés par serment. Auriez-vous oublié cela ? Avec de la chance et de l’habileté, vous pourriez réussir à les convaincre que leur serment les lie à l’âme et à l’esprit de lord Valentin et non à son visage et à sa barbe. Mais certains resteront fidèles à celui qu’ils croient être vous et ils tireront l’épée contre vous en son nom.

Cette pensée le révolta. Depuis qu’il avait retrouvé la mémoire, Valentin avait maintes fois pensé aux compagnons de sa vie antérieure, à ces nobles jeunes gens avec lesquels il avait grandi, en compagnie desquels il s’était initié aux arts princiers en des jours plus heureux, dont l’amour et l’amitié avaient occupé une place essentielle dans sa vie, jusqu’au jour où l’usurpateur avait brisé cette vie. Elidath de Morvole, le hardi chasseur, le blond et agile Stasilaine, et Tunigorn, si vif à manier l’arc, et tant d’autres qui n’étaient plus maintenant pour lui que des noms, des formes indistinctes dans un passé lointain, mais qui pouvaient pourtant en un instant retrouver vie, couleur et vigueur. Allaient-ils maintenant lui livrer bataille ? Ses amis, ses compagnons bien-aimés de naguère… s’il lui fallait se battre contre eux dans l’intérêt de Majipoor, il s’y résignerait, mais cette perspective était accablante.

— Peut-être pouvons-nous éviter cela, dit-il en secouant la tête. Il est temps de partir d’ici.

Près de la porte connue sous le nom d’Entrée des Eaux, Valentin réunit ses fidèles et fit connaissance avec les officiers que les ministres du Pontife avaient mis à sa disposition. Ils paraissaient former une équipe tout à fait capable, l’esprit visiblement stimulé par cette chance qui leur était offerte de sortir des sinistres profondeurs du Labyrinthe. Leur chef était un homme trapu et robuste, répondant au nom de Ermanar, aux cheveux roux coupés ras et à la barbe taillée en pointe, qui, par sa morphologie, ses gestes et sa franchise ressemblait à Sleet comme un frère. Il plut immédiatement à Valentin. Ermanar fit hâtivement et pour la forme le signe de la constellation, adressa à Valentin un sourire chaleureux et déclara :

— Je resterai à vos côtés, monseigneur, jusqu’à ce que le Château soit de nouveau à vous.

— Espérons que le voyage vers le nord sera facile, dit Valentin.

— Avez-vous choisi un itinéraire ?

— Le plus rapide serait de remonter le Glayge en bateau, n’est-ce pas ?

— À n’importe quelle autre époque de l’année, certainement, répondit Ermanar en hochant lentement la tête. Mais les pluies d’automne sont déjà arrivées et elles ont été exceptionnellement abondantes.

Il sortit une petite carte du centre d’Alhanroel qui montrait en rouge brillant sur un fond sombre les régions séparant le Labyrinthe du Mont du Château.

— Voyez, monseigneur, le Glayge descend du Mont et se jette dans le lac Roghoiz, puis il ressort ici et continue jusqu’à l’Entrée des Eaux devant nous. En ce moment, le fleuve est en crue et dangereux de Pendiwane jusqu’au lac… c’est-à-dire sur plusieurs centaines de kilomètres. Je vous propose d’aller par la route au moins jusqu’à Pendiwane. De là, nous pourrons nous arranger pour nous embarquer presque jusqu’à la source du Glayge.

— Cela me parait sage. Connaissez-vous les routes ?

— Fort bien, monseigneur. Il posa le doigt sur la carte.

— Tout dépend si les inondations de la plaine du Glayge sont aussi graves que les rapports le prétendent. Je préférerais traverser la vallée du Glayge de cette manière et simplement contourner la rive nord du lac Roghoiz sans jamais beaucoup m’éloigner du fleuve.

— Et si la vallée est inondée ?

— Alors, il existe plus au nord des routes que nous pouvons utiliser. Mais c’est une contrée sèche, inhospitalière, presque un désert. Nous risquons d’avoir de la peine à trouver des provisions. Et nous passerions beaucoup trop près de cet endroit à mon gré.

Il indiqua sur la carte un point situé juste au nord-est du lac Roghoiz.

— Velalisier ? demanda Valentin. Les ruines ? Pourquoi avez-vous l’air si troublé, Ermanar ?

— C’est un endroit malsain, monseigneur, un endroit qui porte malheur. Il y a des esprits qui y rôdent. L’air est souillé de crimes impunis. Je n’aime pas les histoires que l’on raconte sur Velalisier.

— Des inondations d’un côté, des ruines hantées de l’autre, c’est bien cela ? demanda Valentin en souriant. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas passer franchement au sud du fleuve ?

— Au sud ? Non, monseigneur. Vous vous souvenez du désert que vous avez traversé lors de votre voyage depuis Treymone ? Eh bien, c’est encore pire là-bas, bien pire. Pas une goutte d’eau, rien d’autre à se mettre sous la dent que des pierres et du sable. Je préférerais traverser les ruines de Velalisier que d’essayer le désert du Sud.

— Alors, nous n’avons pas le choix ? Nous passerons donc par la vallée du Glayge, en espérant que l’inondation ne sera pas trop grave. Quand partons-nous ?

— Quand désirez-vous partir ? demanda Ermanar.

— Dans deux heures, répondit Valentin.

2

En début d’après-midi, les forces de lord Valentin quittèrent le Labyrinthe par l’Entrée des Eaux. C’était une porte monumentale, richement ornementée, comme il convenait à l’accès principal de la cité pontificale, celui qu’empruntaient traditionnellement les Puissances. Une foule d’habitants du Labyrinthe s’était assemblée pour assister au départ de Valentin et de ses compagnons.

Comme il était bon de revoir le soleil. Comme il était bon de respirer de nouveau l’air frais et pur… pas l’air sec et brûlant du désert, mais le bon air, doux et suave, de la basse vallée du Glayge. Valentin avait pris place dans le véhicule de tête d’un long convoi de flotteurs. Il ordonna d’ouvrir les fenêtres toutes grandes.

— Comme du vin nouveau ! s’écria-t-il en respirant à pleins poumons. Ermanar, comment pouvez-vous supporter de vivre dans le Labyrinthe en sachant qu’il y a cela juste dehors ?

— Je suis né dans le Labyrinthe, répondit paisiblement l’officier. Ma famille est au service du Pontife depuis cinquante générations. Nous sommes habitués à l’air ambiant.