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Pendant cinq autres jours, ils remontèrent vers le nord en suivant la basse vallée du Glayge, et le sixième, les éclaireurs d’Ermanar revinrent, porteurs de nouvelles.

— L’inondation n’est pas aussi grave qu’on l’avait dit, annonça Ermanar.

— Parfait, dit Valentin en hochant la tête. Alors, nous allons continuer jusqu’au lac et nous nous embarquerons de là-bas.

— Il y a des forces ennemies entre le lac et nous.

— Celles du Coronal ?

— On peut le supposer, monseigneur. Les éclaireurs m’ont seulement dit qu’ils étaient montés sur la crête de Lumanzar, d’où l’on a une excellente vue sur le lac et la plaine environnante, et qu’ils ont vu des troupes qui y cantonnaient, ainsi qu’une forte concentration de mollitors.

— Enfin la guerre ! s’écria Lisamon Hultin d’une voix qui n’exprimait aucun déplaisir.

— Non, dit Valentin, l’air morose. Il est encore trop tôt. Nous sommes à des milliers de kilomètres du Mont du Château. Nous ne pouvons engager le combat si loin au sud. De plus, j’espère encore éviter l’affrontement… ou tout au moins le retarder jusqu’au dernier moment.

— Qu’allez-vous faire, monseigneur ?

— Continuer à remonter la vallée du Glayge comme nous l’avons fait jusqu’à présent, mais commencer à obliquer vers le nord-ouest si cette armée fait mouvement vers nous. Mon intention, si c’est possible, est de contourner leurs positions et de remonter le fleuve dans leur dos en les laissant à Roghoiz attendre notre arrivée.

— Les contourner ? demanda Ermanar en ouvrant de grands yeux.

— À moins de me tromper du tout au tout, le Barjazid les a installés là pour défendre les abords du lac. Ils ne nous suivront pas très loin dans les terres.

— Mais dans les terres…

— Oui, je sais.

La main de Valentin se posa légèrement sur l’épaule d’Ermanar, et il poursuivit avec toute la chaleur et la sympathie dont il était capable :

— Pardonnez-moi, l’ami, mais je crains qu’il ne nous faille faire le détour jusqu’à Velalisier.

— Ces ruines me font peur, monseigneur, et je ne suis pas le seul dans ce cas.

— C’est possible. Mais nous avons en notre compagnie un puissant magicien et nombre de vaillants amis. Que peuvent faire un ou deux fantômes contre des gens comme Lisamon Hultin ou Khun de Kianimot, ou Sleet, ou Carabella ? Sans parler de Zalzan Kavol ; il suffira de laisser le Skandar pousser quelques rugissements devant eux et ils partiront ventre à terre jusqu’à Stoien !

— Monseigneur, votre parole fait loi. Mais depuis mon enfance, j’ai entendu d’inquiétantes légendes sur Velalisier.

— Y êtes-vous déjà allé ?

— Bien sûr que non.

— Connaissez-vous quelqu’un qui y soit allé ?

— Non, monseigneur.

— Alors, pouvez-vous prétendre connaître, connaître de manière certaine, les périls qui nous y guettent ?

— Non, monseigneur, répondit Ermanar en tortillant sa barbe.

— Alors que devant nous se trouve une armée ennemie et une horde d’affreux mollitors de guerre, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas la moindre idée de ce que des fantômes peuvent nous faire ; en revanche, nous connaissons parfaitement les ennuis que peut apporter la guerre. Je propose donc d’éviter l’affrontement et de courir notre chance avec les fantômes.

— J’aurais préféré l’inverse, dit Ermanar avec un sourire forcé. Mais je resterai à vos côtés, monseigneur, même s’il me fallait traverser Velalisier à pied par une nuit sans lune. Vous pouvez compter là-dessus.

— Très bien, dit Valentin. Et les fantômes de Velalisier nous laisseront repartir sains et saufs, Ermanar. Vous pouvez compter là-dessus.

Ils continuèrent la route qu’ils avaient suivie, gardant le Glayge à leur droite. À mesure qu’ils avançaient vers le nord, le sol s’élevait lentement.

Valentin savait qu’il ne s’agissait pas encore de la gigantesque élévation de terrain qui marquait les premiers contreforts du Mont du Château, mais d’une infime ondulation annonçant l’énorme protubérance à la surface de la planète. Le fleuve se trouva bientôt à une trentaine de mètres en contrebas dans la vallée, un étroit ruban brillant bordé de fourrés de broussailles. La route commença à monter en lacet, suivant une longue couche inclinée de terrain. Ermanar leur dit qu’il s’agissait de la crête de Lumanzar, du sommet de laquelle la vue s’étendait sur une distance extraordinaire.

Accompagné de Deliamber, Sleet et Ermanar, Valentin alla jusqu’au bord de la crête pour examiner la situation. En contrebas, le terrain s’étageait en terrasses naturelles, descendant en gradins depuis la crête jusqu’à la vaste plaine dont le lac Roghoiz occupait le centre.

Le lac paraissait énorme, presque un océan. Valentin se souvenait qu’il était grand, ce qui n’avait rien d’étonnant, puisque le Glayge arrosait toute la face sud-ouest du Mont du Château et qu’il déversait pratiquement toutes ses eaux dans ce lac ; mais la taille qu’il avait gardée en mémoire n’avait rien de commun avec ce qu’il avait sous les yeux. Il comprenait maintenant pourquoi les villes construites sur les rives du lac étaient toutes bâties sur de hauts pilotis : ces cités lacustres n’étaient plus à la périphérie du lac, mais bien à l’intérieur de ses limites et l’eau devait venir lécher les étages inférieurs des bâtiments sur pilotis.

— Il est énormément gonflé, dit-il à Ermanar.

— Oui, il a presque doublé de volume. Mais ce que l’on racontait nous faisait craindre encore pire.

— Comme c’est souvent le cas, dit Valentin. Et où se trouve l’armée que vos éclaireurs ont repérée ?

Ermanar scruta longuement l’horizon avec sa lunette d’approche. Valentin se prit à espérer avec ferveur qu’ils avaient levé le camp et étaient repartis vers le Mont, ou bien que c’était une erreur des éclaireurs, qu’il n’y avait jamais eu d’armée ici, ou bien peut-être…

— Là-bas, monseigneur, dit finalement Ermanar. Valentin saisit la lunette et regarda en bas de la crête. Il ne vit au début que des arbres, des prairies et des nappes d’eau à l’endroit où le lac avait débordé, mais Ermanar orienta la lunette dans la bonne direction, et soudain Valentin les vit. À l’œil nu, les soldats ressemblaient à une colonie de fourmis près du bord du lac.

Mais il ne s’agissait pas de fourmis.

Cantonnée à proximité du lac, se trouvait une troupe de mille à quinze cents hommes – ce n’était pas une armée gigantesque, mais déjà assez importante sur un monde où la notion même de guerre était tombée dans l’oubli. L’ennemi était très nettement supérieur en nombre aux troupes de Valentin. À côté, pâturaient près d’une centaine de mollitors – ces créatures massives et cuirassées dont l’origine synthétique remontait à un lointain passé. Dans les jeux auxquels s’adonnait la chevalerie sur les pentes du Mont du Château, les mollitors étaient fréquemment utilisés comme instruments de combat. Ils se déplaçaient avec une vélocité surprenante sur leurs pattes courtes et épaisses et étaient capables de faire de grands dégâts lorsqu’ils sortaient leur lourde tête hors de leur impénétrable carapace pour happer, arracher et broyer. Valentin les avait vus défoncer complètement un champ avec leurs sabots recourbés, en allant et venant d’un pas pesant, se bousculant et se poussant de la tête dans des accès de rage aveugle. Une douzaine d’entre eux, bloquant une route, formeraient une barrière aussi efficace qu’un mur.

— Nous pourrions les prendre par surprise, dit Sleet, envoyer une escouade créer la confusion au milieu des mollitors et prendre l’ennemi à revers quand…