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Leurs corps avaient tout de suite trouvé la bonne cadence, comme s’ils avaient été amants depuis des mois et avaient eu une longue habitude l’un de l’autre. Elle avait enroulé ses jambes minces et vigoureuses autour de la taille de Valentin et ils commencèrent à rouler l’un sur l’autre jusqu’au moment où ils approchèrent du bord du ruisseau et sentirent la fraîcheur des gouttelettes d’eau sur leurs corps baignés de sueur. Ils éclatèrent de rire et repartirent en roulant en sens inverse. Ils s’arrêtèrent cette fois contre un des buissons gris-vert et Carabella le plaqua contre elle, supportant tout son poids sans difficulté.

— Maintenant ! cria-t-elle, et il l’entendit haleter et gémir, et sentit ses doigts s’enfoncer profondément dans sa chair.

Un spasme furieux la secoua et, au même instant, il s’abandonna totalement aux forces qui explosaient en lui. Après quoi il resta étendu, reprenant sa respiration, à demi étourdi entre les bras de Carabella, attentif au battement sourd de son propre cœur.

— Nous allons dormir ici, murmura-t-elle. Personne ne viendra nous déranger cette nuit.

Elle lui caressa le front, écarta de ses yeux les soyeux cheveux blonds et les remit en place en les lissant. Elle lui embrassa délicatement le bout du nez. Elle était détendue, d’humeur folâtre et câline. Sa sombre fureur érotique l’avait abandonnée, probablement consumée dans le brasier de la passion. Mais Valentin, de son côté, se sentait secoué, hébété, interdit. Bien sûr, il y avait eu cette violente extase. Mais pendant ce bref instant de plaisir, il avait eu la vision fugitive d’un royaume mystérieux dépourvu de couleur, de forme et de substance, et il était resté en équilibre précaire à la lisière de cet inconnu avant de retomber dans le monde de la réalité.

Il était incapable de parler. Rien de ce qu’il aurait pu dire ne lui semblait adéquat. Il ne s’attendait pas à être aussi désorienté par l’acte d’amour. Carabella était de toute évidence consciente de cette inquiétude, car elle ne disait rien et se contentait de le tenir, de le bercer lentement, de serrer sa tête contre sa poitrine, de chantonner doucement à son oreille.

Dans la chaleur de la nuit, il glissa petit à petit dans le sommeil.

Quand les images du rêve commencèrent à défiler, elles étaient dures et terrifiantes.

Il fut transporté une nouvelle fois dans cette plaine pourpre et morne qui lui était devenue familière. Du ciel pourpre, les mêmes faces moqueuses le reluquaient, mais cette fois il n’était pas seul. Devant lui se dressait une forme au visage sombre et à la présence oppressante que Valentin reconnut comme son frère, bien que la lumière éblouissante du soleil ambré l’empêchât de distinguer avec précision les traits de l’autre homme. Et le rêve se déroulait sur un fond de musique lugubre, la mélopée funèbre et grave de la musique intérieure annonciatrice d’un rêve périlleux, d’un rêve menaçant, d’un rêve de mort.

Les deux hommes étaient engagés dans un âpre combat singulier dont un seul sortirait vivant.

— Frère ! cria Valentin d’une voix vibrante d’horreur. Non !

Il s’agita, se débattit et remonta à la surface du sommeil où il resta quelques instants en suspens. Mais toute son éducation était trop profondément ancrée en lui. On ne fuyait pas les rêves, on ne s’y dérobait point, aussi effroyables fussent-ils. On s’y plongeait totalement et on acceptait leurs conseils. Dans les rêves se trouvait aux prises avec l’inexplicable, et l’éviter à ce moment-là impliquait un inévitable affrontement et une inéluctable défaite dans l’état de veille.

Valentin s’enfonça délibérément de nouveau franchissant la frontière qui sépare la veille du sommeil, et il sentit de nouveau tout autour de lui la présence hostile de son ennemi, de son frère.

Ils étaient tous deux armés, mais la lutte était inégale. Alors que l’arme de Valentin était une fragile rapière, son frère maniait un sabre massif. Valentin déployait toute son adresse et son agilité pour tenter de franchir la garde de son adversaire. Impossible. À grands coups de sabre puissants l’autre parait toutes ses bottes, le repoussant inexorablement sur le sol crevassé.

Des vautours décrivaient des cercles au-dessus de leurs têtes. Une musique funèbre semblait tomber du ciel en sifflant. Il allait bientôt y avoir une effusion de sang et une vie allait retourner à la Source.

Valentin reculait pied à pied et il savait qu’un ravin s’ouvrait juste derrière lui et que bientôt toute retraite allait lui être coupée. Son bras était endolori, sa vue se brouillait de fatigue, il avait un goût de sable dans la bouche et sentait ses ultimes forces décliner. En arrière… en arrière…

— Frère ! cria-t-il avec angoisse. Au nom du Divin… Sa supplication ne lui valut qu’un rire méprisant et une cruelle obscénité. Valentin vit le sabre descendre sur lui en décrivant un grand arc de cercle et il porta une botte. Il fut ébranlé par un choc terrible qui lui engourdit tout le corps au moment où les deux lames s’entrechoquèrent et où son épée effilée fut brisée net près de la garde. Au même instant, il trébucha sur une racine qui dépassait du sable et tomba lourdement, atterrissant sur des plantes rampantes aux tiges épineuses. L’homme gigantesque se dressait au-dessus de lui occultant le soleil, emplissant tout le ciel. Le timbre de la musique funèbre prit une intensité aiguë. Les vautours battirent des ailes et fondirent sur leur proie. Valentin gémissait et tremblait dans son sommeil. Il se retourna et se nicha contre Carabella pour prendre un peu de sa chaleur alors que le froid horrible de ce rêve de mort l’enveloppait. Il eût été si facile de se réveiller maintenant, d’échapper à l’horreur et à la violence de ces images et de se réfugier en lieu sûr en regagnant les franges de la conscience. Mais il n’en était pas question. Obéissant à sa rigoureuse discipline, il se plongea de nouveau dans le cauchemar. La silhouette gigantesque ricana. Le sabre s’éleva. Le monde tanguait et s’effritait sous le corps étendu de Valentin. Il recommanda son âme à la Dame et attendit le coup de grâce.

Mais le coup qui arriva était faible et maladroit et le sabre de son frère s’enfonça profondément dans le sable avec un absurde son mat. La texture et l’essence du rêve se trouvèrent soudain modifiées, car Valentin cessa d’entendre la plaintive et sifflante musique funèbre et il s’aperçut qu’il y avait un complet renversement de la situation et que des courants d’énergie nouvelle et inattendue affluaient en lui. Il se leva d’un bond. Son frère jurait en tirant sur le sabre pour l’arracher du sol, mais Valentin le brisa d’un coup de pied dédaigneux. Il engagea le combat à mains nues. C’était maintenant à Valentin d’être maître de la situation et c’était son frère qui tremblait en battant en retraite sous une grêle de coups, ployant les genoux pendant que Valentin continuait à le frapper, gémissant comme un animal blessé, secouant sa tête ensanglantée, recevant la correction sans esquisser un geste de défense, murmurant seulement : « Frère… frère… », pendant que Valentin continuait à le frapper à terre.

Il cessa de bouger et Valentin resta debout près de lui, triomphant.

En priant pour que l’aube soit déjà arrivée, Valentin sortit du sommeil.

Il faisait encore nuit. Il cligna des yeux et frissonna en serrant ses bras contre ses côtes. Des images violentes et délirantes, fragmentées mais vivaces, se bousculaient dans son esprit fiévreux.

Carabella l’observait pensivement.

— Tu vas bien ? demanda-t-elle.

— J’ai rêvé.

— Tu as crié trois fois. J’ai cru que tu allais te réveiller. Le rêve était fort ?

— Oui.

— Et maintenant ?