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— Quoi qu’il en soit, lord Valentin, cette ascension vous attend, et ce n’est pas moi qui vous la prépare.

Il hoqueta de surprise en l’entendant lui donner le titre royal, puis il éclata de rire devant l’énormité et le mauvais goût de la plaisanterie.

— Lord Valentin ! Lord Valentin ? Non, vous me faites beaucoup trop d’honneur, madame Tisana. Pas lord Valentin. Valentin tout court, Valentin le jongleur, le nouveau venu dans la troupe de Zalzan Kavol le Skandar.

Le regard de Tisana restait fixé sur Valentin. D’une voix paisible, elle reprit :

— Mille pardons. Je ne voulais pas vous offenser.

— Comment cela pourrait-il m’offenser ? Mais, de grâce, pas de titre royal pour moi. Ma vie de jongleur est bien assez royale comme cela, même si mes rêves me transportent parfois en illustre compagnie.

Elle le regardait toujours sans ciller.

— Voulez-vous reprendre un peu de thé ? demandât-elle.

— J’ai promis au Skandar d’être prêt à partir ce matin à la première heure et je vais bientôt devoir m’en aller. Que me réserve encore la prophétie ?

— J’ai terminé, répondit Tisana.

Valentin n’avait pas prévu cela. Il s’attendait à une analyse, une exégèse, des conseils. Et tout ce qu’il avait tiré d’elle avait été…

— Je suis tombé et je dois reconquérir ma haute position. C’est tout ce que vous me dites pour un royal ?

— Tout ne cesse d’augmenter à notre époque, répondit-elle sans aigreur. Vous ressentez cela comme une escroquerie ?

— Pas du tout. Cela m’a été fort utile, d’une certaine manière.

— Vous dites cela par politesse, mais vous ne le pensez pas. En tout cas, vous en avez reçu ici pour votre argent. Tout s’éclairera avec le temps.

Elle se leva et Valentin en fit autant. Une impression de force et de confiance se dégageait d’elle.

— Je vous souhaite un bon voyage, dit-elle, et une heureuse ascension.

13

Autifon Deliamber fut le premier à l’accueillir quand il revint de chez l’interprète des rêves. Dans la sérénité de l’aube, le petit Vroon s’entraînait près de la roulotte à une sorte de jonglerie avec des fragments miroitants d’une substance cristalline. Mais c’était beaucoup plus de la magie que de la jonglerie, car Deliamber faisait seulement semblant de lancer et de recevoir et, en vérité, il déplaçait les éclats brillants par la seule force de son esprit. Il se tenait debout sous l’étincelante cascade et les éclats chatoyants décrivaient un cercle au-dessus de lui comme une couronne de lumière brillante et restaient en l’air sans que Deliamber les touche.

Pendant que Valentin approchait, Deliamber donna un petit coup sec de l’extrémité de ses tentacules et les éclats cristallins se regroupèrent instantanément pour former un petit bloc compact que Deliamber saisit adroitement. Il le tendit à Valentin.

— Ce sont des fragments d’un temple de la cité Ghayrog de Dulorn qui est à quelques jours de voyage à l’est d’ici. C’est un endroit d’une beauté absolument magique. Y êtes-vous déjà allé ?

Les énigmes de cette nuit pesaient encore lourdement sur l’esprit de Valentin et il ne se sentait pas d’humeur à apprécier les élans poétiques de Deliamber si tôt le matin.

— Je ne m’en souviens pas, fit-il en haussant les épaules.

— Si vous y étiez allé, vous vous en souviendriez. Une ville de lumière, une ville de poésie de glace !

Le bec du Vroon claqua ; il ébaucha un sourire vroonesque.

— Mais il est possible que vous ne vous en souveniez pas. Oui, c’est bien possible. Vous avez oublié tant de choses. Mais vous y retournerez bientôt.

— Y retourner ? Je n’y suis jamais allé.

— Si vous y êtes déjà allé une fois, vous y retournerez quand nous y arriverons. Sinon, non. Quoi qu’il en soit, Dulorn est notre prochaine étape, d’après notre bien-aimé Skandar.

Les yeux malicieux de Deliamber scrutaient ceux de Valentin.

— Je vois que vous avez énormément appris chez Tisana.

— Laissez-moi tranquille, Deliamber.

— Elle est merveilleuse, n’est-ce pas ?

Valentin essaya de forcer le passage.

— Je n’ai rien appris, fit-il sèchement. J’ai perdu une soirée.

— Oh, non, non, non ! Le temps n’est jamais perdu. Donnez-moi votre main, Valentin.

Les tentacules rêches et élastiques du Vroon s’enroulèrent autour des doigts réticents de Valentin.

— Sachez ceci, et sachez-le bien, fit le Vroon d’une voix solennelle, on ne perd jamais son temps. Où que nous allions, quoi que nous fassions, chaque chose est un aspect de l’éducation. Même lorsque nous ne saisissons pas tout de suite la leçon.

— Au moment où je partais, Tisana m’a dit approximativement la même chose, murmura Valentin, l’air renfrogné. Je crois que vous êtes de mèche tous les deux. Mais qu’ai-je appris ? J’ai une nouvelle fois rêvé de Coronals et de Pontifes. J’ai monté et descendu des pistes de montagne. L’interprète des rêves a fait une plaisanterie aussi lourde qu’idiote sur mon nom. J’ai gaspillé un royal que j’aurais mieux fait de dépenser à boire et à faire la fête. Non, je n’ai pas obtenu le moindre résultat.

Il essaya de dégager sa main de l’étreinte de Deliamber, mais le Vroon le retenait avec une force surprenante. Valentin eut une sensation étrange, comme si un accord de musique funèbre se propageait dans son cerveau, et quelque part sous la surface de sa conscience une image miroita en jetant un éclair, comme un dragon de mer remuant avant de s’enfoncer dans les profondeurs océaniques, mais il fut incapable de la percevoir clairement ; la signification profonde lui échappa. C’était aussi bien ainsi. Il craignait de savoir ce qui remuait là-dessous. Une angoisse obscure et incompréhensible envahit son âme. Pendant un instant, il lui sembla que le dragon qui s’agitait dans les profondeurs de son être remontait, nageait vers la surface à travers les ténèbres de ses souvenirs confus, jusqu’au champ de la conscience. Cela l’effraya. Quelque connaissance inquiétante et terrifiante était retenue au fond de lui-même et menaçait maintenant de rompre ses chaînes. Il résista. Il lutta. Il vit le petit Deliamber le fixer avec une intensité insoutenable, comme s’il essayait de lui communiquer la force dont il avait besoin pour accepter cette inquiétante révélation, mais Valentin s’y refusait. Il dégagea sa main d’un geste brusque et violent, et se dirigea en titubant et en trébuchant vers la roulotte des Skandars. Son cœur battait la chamade et il percevait les pulsations à ses tempes. Il se sentait faible et avait la tête qui tournait. Après quelques pas mal assurés, il se retourna et lança d’une voix furieuse :

— Que m’avez-vous fait ?

— Je vous ai simplement pris la main.

— Et vous m’avez infligé une souffrance atroce !

— Je vous ai peut-être permis d’avoir accès à votre propre souffrance, répondit calmement Deliamber. Mais rien de plus. Vous portez en vous votre propre souffrance. Vous ne l’avez pas encore ressentie. Mais elle est en train de se réveiller au plus profond de votre être, Valentin. Il n’y a pas moyen de l’en empêcher.

— J’ai bien l’intention de l’en empêcher.

— Vous n’avez pas le choix. Il vous faudra écouter ces voix intérieures. La lutte est déjà engagée.

Valentin secoua sa tête douloureuse.

— Je ne veux ni souffrance ni lutte. Toute cette dernière semaine, j’ai été un homme heureux.

— Êtes-vous heureux quand vous rêvez ?

— Ces rêves vont bientôt passer. Ils doivent être des messages destinés à quelqu’un d’autre.