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Et soudain Carabella arriva en bondissant vers lui, l’air rayonnant.

— Tout est arrangé, dit-elle. J’ai demandé à Deliamber de s’occuper de lui. Un attouchement par-ci par-là, un frôlement avec l’extrémité d’un tentacule… enfin, ses pratiques habituelles. Il a changé d’avis. Ou plutôt, nous l’avons changé pour lui.

Valentin fut surpris par l’intensité du soulagement qu’il éprouva.

— Alors je peux rester ?

— Si tu vas le voir pour lui demander pardon.

— Pardon de quoi ?

— Cela n’a aucune importance, fit Carabella en souriant. Il a pris la mouche, le Divin seul sait pourquoi ! Sa fourrure était trempée. Son nez était gelé. Va savoir pourquoi ? C’est un Skandar, Valentin, il a ses propres critères de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Il n’est pas supposé penser de la même manière que les humains. Tu l’as mis en colère et il t’a renvoyé. Demande-lui poliment de te reprendre, et il le fera. Vas-y tout de suite. Vas-y.

— Mais… mais…

— Mais quoi ? Vas-tu te draper dans ta dignité, maintenant ? Veux-tu qu’il te reprenne dans la troupe ou non ?

— Bien sûr que je le veux.

— Alors vas-y, répéta Carabella.

Elle le prit par les bras et le tira légèrement pour le faire bouger de l’endroit où il restait, l’air gauche et hésitant. Mais, ce faisant, il dut lui venir à l’esprit à qui appartenait le bras qu’elle était en train de tirer, car elle hoqueta, le lâcha et s’écarta de lui, hésitant visiblement à se prosterner et à faire le symbole de la constellation.

— Je t’en prie, fit-elle doucement, je t’en prie, va le voir, Valentin. Avant qu’il ne change encore d’avis. Si tu quittes la troupe, je serai obligée de la quitter aussi, et je ne veux pas. Vas-y. Je t’en prie.

— D’accord, répondit Valentin.

Elle le conduisit sur le sol spongieux et humide de bruine jusqu’à la roulotte. Zalzan Kavol, la mine maussade, était assis sur les marches, enveloppé dans la chaleur moite de la brume violette. Valentin s’approcha de lui et déclara sans hésiter :

— Je n’avais aucunement l’intention de vous mettre en colère. Je vous demande pardon.

Zalzan Kavol émit un grondement sourd, presque à la limite de l’audible.

— Vous êtes insupportable, dit le Skandar. Je me demande pourquoi j’accepte de vous pardonner. Dorénavant, vous ne me parlerez que lorsque je vous aurai adressé la parole le premier. Compris ?

— Compris, oui.

— Vous ne tenterez plus d’infléchir la route que nous suivons.

— D’accord, dit Valentin.

— Si vous m’irritez de nouveau, il sera mis fin à votre engagement sans indemnité, et vous aurez dix minutes pour disparaître de ma vue, quel que soit l’endroit où nous nous trouverons, même si nous campons au beau milieu d’une réserve de Métamorphes à la nuit tombante, vous comprenez ?

— Je comprends, dit Valentin.

Il attendit, se demandant si on allait lui commander de s’incliner, de baiser les doigts velus du Skandar, de se prosterner à ses pieds. Carabella, debout à côté de lui, semblait retenir sa respiration, comme si elle s’attendait à quelque explosion devant le spectacle d’une Puissance de Majipoor demandant pardon à un jongleur skandar itinérant.

Zalzan Kavol regardait Valentin de l’œil méprisant dont il eût examiné un poisson froid d’une fraîcheur douteuse dans une sauce congelée qu’on lui aurait présenté pour son dîner. D’un ton acerbe, il reprit :

— Je ne suis pas tenu de fournir à mes employés des renseignements qui ne les concernent pas ; je vous dirai cependant que Piliplok est ma ville natale, que j’y retourne de temps en temps, et que mon intention est d’y arriver tôt ou tard. Le temps que cela prendra dépendra des engagements que je pourrai trouver entre ici et là-bas, mais sachez que notre route se dirige approximativement vers l’est, même si parfois il nous faudra nous écarter légèrement de cette direction, car nous devons aussi gagner notre vie. J’espère que cela vous satisfait. Quand nous atteindrons Piliplok, vous pourrez vous séparer de la troupe si votre intention est toujours d’entreprendre le pèlerinage, mais si vous décidez d’autres membres de la troupe que le petit pâtre à vous accompagner dans ce voyage, j’y ferai opposition par les voies légales et je vous poursuivrai en justice. Compris ?

— Compris, acquiesça Valentin tout en se demandant si sur ce point il se conduirait de manière très honorable vis-à-vis du Skandar.

— Pour terminer, poursuivit Zalzan Kavol, je vous demande de vous souvenir que vous êtes payé un bon nombre de couronnes par semaine, plus le vivre et le couvert et des primes, pour jongler dans notre troupe. Si je m’aperçois que vous avez l’esprit occupé à des pensées ayant trait à ce pèlerinage, à la Dame ou à ses servantes, ou à quoi que ce soit d’autre que de lancer des objets en l’air et de les rattraper d’une manière tant soit peu théâtrale, je mets fin à votre engagement. Ces derniers jours, vous m’avez déjà paru sujet à des sautes d’humeur, Valentin. Changez d’attitude, besoin de trois humains pour cette troupe, mais pas nécessairement des trois que j’ai actuellement. Compris ?

— Compris, fit Valentin.

— Vous pouvez disposer.

Pendant qu’ils s’éloignaient, Carabella lui demanda :

— Cela a dû être affreusement désagréable pour toi, non ?

— Cela a dû être particulièrement agréable pour Zalzan Kavol.

— Ce n’est qu’un animal velu !

— Non, répliqua Valentin avec gravité. C’est un être sensible qui jouit des mêmes droits civils que nous. Il a seulement l’apparence d’un animal.

Valentin se mit à rire, et après quelques instants, Carabella l’imita, assez nerveusement.

— Lorsqu’on a affaire à des gens très ombrageux sur le chapitre de l’honneur et de la fierté, reprit-il, je pense qu’il est de loin préférable de se montrer accommodant, surtout quand ils mesurent deux mètres cinquante et qu’ils vous procurent votre gagne-pain. Pour l’instant, j’ai beaucoup plus besoin de Zalzan Kavol qu’il n’a besoin de moi.

— Et le pèlerinage ? demanda-t-elle. Tu as vraiment l’intention de l’entreprendre ? Quand as-tu décidé cela ?

— À Dulorn. Après une conversation avec Deliamber. Il y a des questions à propos de moi-même auxquelles je dois trouver des réponses, et si quelqu’un peut m’aider à les trouver, c’est la Dame de l’Ile. Donc je vais aller la voir, ou du moins essayer. Mais tout cela est dans un avenir bien éloigné, et j’ai juré à Zalzan Kavol de ne pas penser à ces choses.

Il prit la main de la jeune fille dans la sienne.