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— Je vous souhaite un fructueux voyage, répondit-elle, et elle s’enfonça dans la forêt.

Comme ils avaient perdu énormément de temps à cause du barrage, Zalzan Kavol, contrairement à ses habitudes, décida de ne pas s’arrêter pour la nuit. Valentin, épuisé par sa longue course et par les heures de jonglerie, et sentant encore son esprit enveloppé de brumes persistantes dues à l’ingestion du fruit du dwikka, s’endormit assis à l’arrière de la roulotte et ne se souvint de rien d’autre jusqu’au lendemain matin. Les derniers mots qui lui parvinrent furent le début d’une discussion passionnée sur l’opportunité de s’aventurer à l’intérieur du territoire métamorphe : Deliamber émettant la supposition que la rumeur publique avait exagéré les périls auxquels on s’exposait à Ilirivoyne, Carabella faisant observer que Zalzan Kavol serait parfaitement en droit d’engager des poursuites contre Sleet et de lui réclamer des dommages-intérêts s’il y avait rupture du contrat, et Sleet répétant avec une conviction quasi hystérique qu’il craignait les Métamorphes et qu’il refusait de les approcher à moins de mille kilomètres. Shanamir et Vinorkis exprimèrent à leur tour leur crainte des Métamorphes qui, d’après eux, étaient sinistres, sournois et dangereux.

Valentin se réveilla pour trouver sa tête confortablement blottie dans le giron de Carabella. La lumière du soleil ruisselait dans la roulotte. Ils avaient installé leur campement dans un parc vaste et agréable, avec de larges pelouses gris-bleu et des arbres de haute taille étroits et effilés. L’endroit était entouré de collines basses et très arrondies.

— Où sommes-nous ? demanda-t-il.

— Dans les faubourgs de Mazadone. Le Skandar a conduit comme un fou toute la nuit.

Carabella éclata d’un rire charmant et ajouta :

— Et toi, tu as dormi d’un sommeil de plomb.

Dehors, à quelques mètres de la roulotte, Zalzan Kavol et Sleet avaient une violente discussion. La fureur semblait grandir le petit homme aux cheveux blancs. Il marchait de long en large, frappait du poing dans la paume de sa main, vociférait, tapait du pied ; il parut même à un moment sur le point de se lancer physiquement à l’assaut du Skandar qui lui, quand on connaissait sa facilité à s’emporter, semblait remarquablement calme et patient. Il restait debout, tous ses bras croisés, dominant Sleet de toute sa taille, se contentant de temps à autre d’une réponse brève et paisible à ses éclats de voix.

— Cela a suffisamment duré, dit Carabella en se tournant vers Deliamber. Pouvez-vous intervenir, magicien, avant que Sleet ne dise quelque chose d’irréparable ?

Le Vroon avait l’air mélancolique.

— Sleet a une terreur irraisonnée des Métamorphes. C’est peut-être dû à ce message du Roi qu’il a reçu il y a bien longtemps à Narabal et qui lui a blanchi les cheveux en une seule nuit. Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, il est peut-être plus sage pour lui de se retirer de la troupe, quelles qu’en soient les conséquences.

— Mais nous avons besoin de lui !

— Et s’il pense que des choses affreuses vont lui arriver à Ilirivoyne ? Pouvons-nous lui infliger de telles souffrances ?

— Je peux essayer de le calmer, dit Valentin.

Il se leva pour sortir, mais au même instant, Sleet, le visage sombre et fermé, se précipita dans la roulotte. Sans un mot, le petit jongleur trapu commença à entasser ses maigres possessions dans un sac ; puis il se rua dehors, toujours sous l’empire de la rage et, passant à grandes enjambées devant le Skandar immobile, il s’éloigna à une vitesse stupéfiante en direction des basses collines du Nord.

Impuissants, ils le regardaient partir. Personne ne fit un geste pour se lancer à sa poursuite avant qu’il soit presque hors de vue.

— Je vais le rattraper, dit alors Carabella. Je peux le faire changer d’avis. Elle partit en courant en direction des collines.

Au moment où elle passait devant lui, Zalzan Kavol l’appela, mais elle n’en tint aucun compte. Le Skandar, secouant la tête, fit venir les autres occupants de la roulotte.

— Où va-t-elle ? demanda-t-il.

— Essayer de ramener Sleet.

— C’est sans espoir. Sleet a choisi de quitter la troupe. Je ferai en sorte qu’il regrette sa défection. Valentin, des responsabilités plus lourdes vont désormais peser sur vous et j’augmente votre salaire de cinq couronnes par semaine. Cela vous paraît acceptable ?

Valentin acquiesça de la tête. Il pensait à la présence tranquille et solide de Sleet dans la troupe et cette perte lui faisait mal.

Deliamber, poursuivit le Skandar, j’ai décidé, comme vous pouvez vous en douter, d’aller chercher du travail pour nous chez les Métamorphes. Connaissez-vous l’itinéraire pour aller à Ilirivoyne ?

— Je n’y suis jamais allé, répondit le Vroon. Mais je sais où c’est.

— Et quelle est la route la plus rapide ?

— Je pense que d’ici, il faut passer par Khyntor, puis prendre la direction de l’est en suivant la rivière en bateau sur environ six cents kilomètres, et à Verf, il y a une route qui part droit au sud en s’enfonçant dans la réserve. Ce n’est pas une bonne route, mais elle est assez large pour la roulotte, du moins je le crois. Je vérifierai.

— Et combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre Ilirivoyne ?

— À peu près un mois, si rien ne nous retarde.

— Juste à temps pour le festival des Métamorphes, fit Zalzan Kavol avec jubilation. Parfait ! Quel genre de retards craignez-vous ?

— Les retards habituels, répondit Deliamber. Des désastres naturels, la roulotte qui tombe en panne, des troubles locaux, des agressions. Au milieu du continent, les populations sont beaucoup moins policées que le long des côtes. On ne voyage pas sans risques dans ces régions.

— Voilà qui est bien dit ! rugit une voix familière. Et ce qu’il vous faut, c’est une protection !

L’imposante Lisamon Hultin venait de se mêler à eux. Elle paraissait fraîche et détendue, pas le moins du monde comme quelqu’un qui vient de chevaucher toute une nuit, et sa monture non plus ne semblait pas particulièrement fourbue.

— Comment avez-vous fait pour arriver ici si rapidement ? demanda Zalzan Kavol, l’air perplexe.

— J’ai pris des pistes de forêt. Je suis peut-être grosse, mais pas autant que votre roulotte, et je peux prendre des raccourcis. Alors, vous allez à Ilirivoyne ?

— Oui, répondit le Skandar.

— Bien. Je le savais. Et je me suis lancée à votre poursuite pour vous proposer mes services. Je n’ai pas de travail, vous abordez une région dangereuse… notre association est logique. Je vous escorterai sans encombre jusqu’à Ilirivoyne, cela je vous le garantis !

— Vos exigences sont trop élevées pour nous.

— Vous vous imaginez que je reçois toujours cinq royaux pour un petit boulot comme ça ? Si je vous ai pris si cher, c’est parce que vous m’aviez mise en colère, à marcher sur moi pendant que je faisais un festin solitaire. Je vous accompagne jusqu’à Ilirivoyne pour cinq autres royaux, quelle que soit la durée du voyage.

— Trois, fit sèchement Zalzan Kavol.

— La leçon n’a pas porté, je vois.

La géante cracha presque aux pieds du Skandar.

— Je ne marchande pas. Allez à Ilirivoyne sans moi et que la fortune vous soit favorable. Mais j’en doute.

Elle fit un clin d’œil à Valentin.

— Où sont passés les deux autres ?

— Sleet a refusé d’aller à Ilirivoyne. Il est parti d’ici hors de lui il y a dix minutes.

— Je ne lui donne pas tort. Et la femme ?

Elle a couru après lui pour essayer de le convaincre de revenir. Par là.